La Place de la République, l’ultime refuge du Hirak algérien

Le mouvement populaire baptisé « Hirak », en recul en Algérie, reste toujours très populaire au sein de la diaspora algérienne en Europe et en France. Ce 19 Mars, date symbolique de la fin de la guerre de l’indépendance, les opposants comme les partisans du pouvoir algérien, vent debout contre  « le complot ourdi par des traitres » à l’étranger, ont appelé les uns et les autres à manifester à Paris. La France est devenue désormais l’ultime agora où le débat politique algérien puisse s’exprimer encore.

Les militants de l’opposition se retrouvent, ce dimanche, Place de la République, les soutiens au pouvoir militaire, eux, se rassemblent   place du Colonel Fabien

 

Beaucoup d’observateurs ont parié sur la fin du Hirak, au premier rang desquels Xavier Driencourt, l’ancien ambassadeur de France à Alger très proche du clan Bouteflika qui, lors d’une interview au site Oumma, enterrait le mouvement populaire. Pourtant ni la pandémie mondiale du Covid 19, ni la machine répressive du régime ne sont venues au bout de la mobilisation. L’a pression populaire, qui a débuté le 22 février 2019 à Kherrata et connait aujourd’hui un recul certain, continue à faire peur au régime, malgré les arrestations massives des militants et la mise en place d’un arsenal juridique répressif (1). C’est désormais la diaspora algérienne qui porte, chaque dimanche place de la République, le flambeau de cette essai qui n’a pas été transformé.

La Diaspora dans le collimateur d »Alger

Lors de leurs visites officielles en France, les militaires algériens, notamment les généraux Chenhiha et M’henna, respectivement patrons de l’armée et des services extérieurs, ont tenté de maintenir la pression sur les autorités françaises. Le pouvoir algérien exigeai la neutralisation des militants activistes algériens  qui s’exprimaient librement en France et manifestaient chaque dimanche. Juqsu’à l’obsession (voir l’article ci dessous).

Ainsi, les tribunaux d’Alger ont émis, en mars 2021, quatre mandats d’arrêt internationaux à l’encontre des activistes établis à l’étranger, des youtubeurs, des militants politiques appartenant au MAK (mouvement indépendantiste Kabyle) comme ceux de Rachad (mouvement islamiste) accusés d’appartenir à des groupes terroristes. Les pays européens, particulièrement la France, ont fait la sourde oreille aux revendications d’Alger. Il en est de même pour Interpol et autres instances judiciaires européennes. Le pouvoir algérien ne compte pas arrêter sa lutte contre ses opposants.

La visite de Macron à Alger au mois d’août s’est terminée par la réunion des deux conseils de défense traitant d’un nouvel axe de coopération sécuritaire. Le deal proposé était simple. Les services de sécurité ont demandé à Paris de neutraliser les activités de l’opposition en France. En échange, ils étaient prêts à coopérer au Sahel et à faciliter l’approvisionnement en énergie. Seulement en France il existe des lois et des medias libres qui protègent  les opposants politiques venus de l’étranger. Le grand marchandage entrevu cet été n’a pas vraiment fonctionné.

D’où la volonté désormais du pouvoir algérien d’organiser lui aussi ) Paris des manifestations  de soutien au régime .

Une trentaine de collectifs 

Dès le départ du Hirak en Algérie, le 22 février 2019, la diaspora algérienne de France a répondu en écho aux revendications de leurs compatriotes vivant au pays. La place de la République à Paris est devenue le lieu de leur rassemblement, mais le point de départ des marches organisées occasionnellement.  

Dès l’enclenchement du Hirak en Algérie, une trentaine de collectifs ont été créés intégrant toutes les tendances sous un slogan commun, « libérons l’Algérie ». Des militants du FFS et du RCD, les paris kabyles, le mouvement islamiste « Rachad », les collectifs pour la transition, ont travaillé un temps ensemble, les clivages idéologiques avaient été rangés au placard.

Les arrestations d’Algériens vivant à l’étranger lors de leur visite du pays et la présence, place de la République, d' »indicateurs » liés aux services ont incité une partie de la diaspora à faire profil bas. Le nombre de manifestants, le dimanche, a diminué, des bagarres ont éclaté. Seuls les irréductibles ont continué à battre le pavé, certains regroupés derrière le collectif « libérons l’Algérie » ou l’ONG « riposte internationale ».

La marche du 22 février 2023

Le pouvoir algérien procède désormais par l’intimidation des opposants sur leur terrain. A la date du quatrième anniversaire du mouvement de la contestation, les militants de la diaspora organisaient une marche à Paris dont le point de départ est la place de la république. L’ombre du général Djebbar Mhénna, directeur de la direction de lutte contre la subversion créée spécialement contre le hirak à l’étranger et de la DGDSE (services extérieurs algériens), est apparue sur la place parisienne.

Dix-sept nervis ont tenté de perturber la marche en provoquant des altercations. Repérés par les forces de sécurité en civil, le groupe est vite neutralisé et mis hors de place.  Un coup dur pour les services algériens nostalgiques de l’époque où Charles Pasqua, ministre de l’intérieur, a expulsé l’assassin de l’opposant Ali Mécili en première classe vers Alger en 1987 ou lorsqu’il a cantonné les islamistes à Folembray en 1993.  

Le 19 mars, date symbolique

Les militants du Hirak appellent à un rassemblement pacifique, ce dimanche, pour « un état civil, une Algérie libre et démocratique ». Les autorités sécuritaires de l’hexagone voient dans la démarche des autorités algériennes un choix délibéré de confrontation. La préfecture de Paris décide d’accorder aux deux protagonistes deux lieux distincts dans la capitale.

« Le collectif Libérons l’Algérie appelle les Algériennes et les Algériens résidents en France et en Europe à se rendre massivement au RASSEMBLEMENT qui se tiendra le 19 mars prochain, à la place de la République, à partir de 13h30, pour mettre en échec l’offensive menée par les services du Renseignement extérieur de la police politique, via un commando » avertit un militant du Hirak.

En réponse aux appels des hirakistes de France, on peut lire dans un journal très proche des services de sécurité algériens : Des patriotes algériens ont lancé un appel à un rassemblement à la Place de la République, à Paris, ce 19 mars, pour dénoncer « l’offensive politico-médiatique menée quasi quotidiennement contre l’Algérie et son peuple pour la déstabiliser ». Une offensive qui «ne peut plus durer ».

Les responsables de sécurité de la préfecture de Paris sont avisés, le service de maintien de l’ordre sera sur le qui-vive. Le Hirak maintient une position pacifique avec son slogan de Silmia, silmia (pacifique, pacifique).

(1) La loi 87 bis en Algérie prévoit que quiiconque reproduit ou diffuse sciemment des documents, imprimés ou renseignements faisant l’apologie des actes visés à la présente section, est puni d’une peine de réclusion à temps de cinq à dix ans et d’une amende de cent mille dinars à cinq cents mille dinars.