L’arrestation d’un colonel malien lanceur d’alerte


Un colonel de gendarmerie pourrait être victime d’une « disparition forcée » pour avoir dénoncé des abus de l’armée

(Nairobi, le 4 mars 2024) – Les autorités militaires du Mali ont arrêté un colonel de la gendarmerie ayant récemment publié un livre à propos des abus commis par les forces armées maliennes, faisant craindre sa disparition forcée, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Diverses sources, dont une avec laquelle Human Rights Watch s’est entretenu, ont déclaré que le 2 mars 2024, des hommes non identifiés ont enlevé le colonel de gendarmerie Alpha Yaya Sangaré à son domicile à Bamako, la capitale du Mali, et l’ont emmené dans un véhicule sans plaques d’immatriculation. L’armée a depuis confirmé l’arrestation d’Alpha Yaya Sangaré, sans toutefois révéler le lieu de sa détention.

« L’armée malienne a répondu aux allégations d’abus graves en s’en prenant au lanceur d’alerte au lieu de s’attaquer au véritable problème », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Les autorités devraient immédiatement révéler où est détenu le colonel Sangaré et le remettre en liberté en toute sécurité. »

Le 24 février, Alpha Yaya Sangaré a publié un livre, Mali : le défi du terrorisme en Afrique, qui dénonce les violations des droits humains perpétrées par les forces armées maliennes dans le cadre de la lutte contre les groupes armés islamistes. L’ouvrage s’appuie notamment sur des extraits d’un rapport de Human Rights Watch de 2017 faisant état d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, d’actes de torture ainsi que d’arrestations arbitraires d’hommes accusés de soutenir des groupes armés islamistes.

Après la publication du livre, le ministre malien de la Défense a déclaré qu’ Alpha Yaya  Sangaré avait porté des accusations « infondées » contre les forces armées maliennes et que l’officier serait traduit en justice. Le ministre de l’Administration territoriale a également dénoncé le livre.

La junte militaire du Mali exerce une répression de plus en plus forte contre la dissidence pacifique, l’opposition politiqueet les médias, restreignant ainsi l’espace civique du pays. Le 28 février 2024, les autorités ont dissous l’organisation politique Kaoural Renouveau, invoquant des « propos diffamatoires et subversifs » à l’encontre de la junte. Le 20 décembre, 2023, les autorités ont dissous l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, une organisation de la société civile chargée d’évaluer l’équité et la transparence des élections, accusant son président de s’adonner à  « à des déclarations de nature à troubler l’ordre public, y compris ses pronostics sur le taux de participation au référendum de juin 2023», organisé en vue d’amender la constitution.

L’arrestation d’Alpha Yaya Sangaré intervient alors que les relations du Mali avec les Nations Unies et les pays voisins d’Afrique de l’Ouest se sont considérablement détériorées, suscitant des inquiétudes quant à la surveillance et au signalement des violations des droits humains, ainsi qu’à l’établissement des responsabilités pour les auteurs d’abus. Le 28 janvier 2024, le gouvernement malien a annoncé qu’il quitterait la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce qui priverait les victimes de graves violations des droits humains de la possibilité de demander justice devant la Cour de justice de l’organisation régionale.

En décembre 2023, l’opération de paix des Nations Unies, connue sous le nom de Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation au Mali (MINUSMA), s’est officiellement retirée du pays à la demande des autorités nationales. La MINUSMA disposait d’un important mandat en matière de protection des droits humains. Le 30 août, la Russie a usé de son droit de veto pour s’opposer à une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU censée proroger le mandat d’un groupe d’experts chargé de répertorier les abus commis par des groupes armés, les forces de sécurité maliennes et les combattants du groupe Wagner, lié à la Russie, portant ainsi atteinte aux efforts en faveur de l’établissement des responsabilités pour les violations liées au conflit.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a déclaré que « les lanceurs d’alerte jouent un rôle essentiel en faveur du respect du droit du public à l’information, de sa participation aux affaires politiques, de la gouvernance démocratique et de l’établissement des responsabilités » et qu’ils « méritent de recevoir la protection la plus vigoureuse, en droit et en pratique ».

Human Rights Watch et d’autres ont précédemment fait état de graves abus commis par les forces de sécurité maliennes et des combattants alliés soupçonnés d’être affiliés au Groupe Wagner lors d’opérations anti-insurrectionnelles menées depuis 2022 , notamment des massacres, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, souvent dans des centres de détention non autorisés, et des disparitions forcées. Le droit international définit la disparition forcée comme la détention d’une personne par des agents de l’État ou leurs agents suivie du refus de reconnaître la détention ou de révéler le sort de la personne ou le lieu où elle se trouve.

Le gouvernement du Mali devrait promulguer une loi pour protéger les lanceurs d’alerte gouvernementaux de toute arrestation et toute autre forme de représailles à leur encontre, a recommandé Human Rights Watch.

« Le colonel Sangaré a fait preuve de courage en choisissant de ne pas rester silencieux face aux violations des droits humains », a conclu Ilaria Allegrozzi. « Cette affaire met en évidence la nécessité pour le gouvernement de protéger les lanceurs d’alerte qui divulguent publiquement des actes répréhensibles. »

Pour consulter d’autres communiqués de Human Rights Watch sur le Mali, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/afrique/mali