Serviteur dévoué et loyal du président Idriss Deby Itno, Abderamane Koulamallah, s’est mis avec le même zèle et le même enthousiasme au service de son fils Mahamat Deby dont il est aujourd’hui l’avocat et le porte-parole. Un collaborateur prêt à tout justifier, pourvu que cela plaise au patron.
Francis Sahel
Sa formation à l’Ecole supérieure d’études cinématographiques (ESEC) préparait le jeune Abderaman Koulamallah à une carrière de cinéaste-réalisateur. Mais c’est vers la politique que son destin bascule. Elevé au biberon de la politique par son père Ahmed Koulamallah, un des plus brillants politiciens du Tchad postindépendance, fondateur du Mouvement socialiste africain (MSA), Abderaman Koulamah aura une jeunesse tumultueuse et révolutionnaire. Il est arrêté à 15 ans au Lycée Félix Eboué de N’Djamena pour « ses tentatives subversives et révolutionnaires » ,puis contraint à l’exil au Cameroun.
Mille et une vies
Contaminé par le virus de la politique, il lance à son retour au Tchad l’Union démocratique tchadienne (UDT). Entretemps, Idriss Deby Itno s’est installé aux commandes du pays après avoir chassé du pouvoir par les armes Hissène Habré en décembre 1990. En 1996, lors de la première présidentielle organisée par Idriss Deby pour se légitimer, Koulamallah se présente contre le président. Histoire d’attirer sa lumière sur lui. Sa candidature est alors écartée, en raison des origines soudanaises de sa mère. Mais pour le président de l’UDT l’objectif est déjà atteint : il a réussi à braquer les projecteurs sur lui. D’opposant au président, il devient son collaborateur. Koulamallah est tour à tour conseiller, chargé de mission et ministre de Deby père.
Quand Timane et Tom Erdimi décident de rompre avec leur oncle et de prendre le chemin de la rébellion armée, Koulamallah s’embarque avec eux. Et là, il découvre sa vraie vocation : celle de porter la parole des autres. Servi par son verbe haut, ses formules chocs et la voix forte, Koulamallah, plus à l’aise dans ses boubous traditionnels que dans le costume occidental, devient le porte-parole de l’Union des forces de la résistance (UFR, regroupement de la rébellion contre Deby père). Il devient surtout la coqueluche des médias qui couvrent le Tchad. Grâce à lui, le monde entier suit en temps réel, en février 2008, la progression de la colonne rebelle partie du Soudan à l’assaut de N’Djamena.
Cette année-là, les rebelles échouent de peu à renverser le président Deby, après s’être infiltrés dans la capitale et progresser jusqu’aux portes du palais présidentiel. Koulamallah bat en retrait avec les autres figures de la rébellion qui étaient convaincus que « leur jour » était arrivé. Il ne s’en remettra jamais. Son destin bascule pour la deuxième fois lorsqu’il décide unilatéralement de rentrer à N’Djamena en 2011 et de tourner définitivement le dos à la rébellion armée. A son retour, Koulamallah est arrêté avant d’être incarcéré à la prison civile de n’Djamena pour purger sa condamnation par contumace à perpétuité « pour atteinte à la sûreté de l’Etat ». Alors qu’on le croyait fini, Koulamallah va bénéficier de la mansuétude de Deby père qui le gracie avant de l’appeler à ses côtés. Il entame alors sa seconde vie politique.
De la parole à la diplomatie
Cette fois, l’ancien porte-parole de la rébellion restera loyal et fidèle au « maréchal du Tchad » jusqu’à sa mort brutale en avril 2021. C’est véritablement avec l’arrivée de Deby fils à la tête de l’Etat que Koulamallah obtient le job de sa vie : il entre dans le premier gouvernement de Mahamat dirigé par Albert Padacké Pahimi comme ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement. Au service d’un président de la république effacé, peu à l’aise dans la prise de parole publique, Koulamallah impose son génie politique, recadrant ses collègues du gouvernement, trouvant une explication à tout et devançant même par moment la volonté du président qu’il sert. Koulamallah sait même lire dans le silence de son maître pour porter sa bonne parole.
Et lorsque son pays le Tchad connaît de graves crises, il trouve l’occasion d’illustrer sa splendeur. En octobre 2022, une manifestation pacifique du parti les Transformateurs de l’ancien Premier ministre Succès Masra tourne à la tragédie après la répression des forces de l’ordre qui a fait entre 50 et 200 morts, selon les sources. Alors que la plupart des officiels jouaient aux abonnés absents en raison de l’ampleur de la répression et de l’émotion suscitée par tant de morts, Koulamallah lui se lance dans l’incrimination des organisateurs de la manifestation, accusés d’avoir défié « les lois de la République ».
En février 2024, rebelote lorsque le pouvoir réprime dans le sang la contestation des partisans de l’opposant Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontière (PSF), qui est lui-même tué lors d’un assaut donné par l’armée. L’onde de choc dépasse le Tchad pour se propager à l’étranger. Et pourtant, ce n’est pas ce qui va empêcher à Koulamallah de dédouaner le président Deby fils et son régime. Avec son savoir-faire inégalé, le ministre porte-parole du gouvernement tchadien va renverser la responsabilité de la tragédie, en disant pratiquement que Yaya Dillo et ses partisans n’ont eu que ce qu’ils méritent pour avoir défié par la force « la République ». A une journaliste de TV5 Monde qui pensait le coincer en lui mettant sous les yeux la dépouille de l’opposant tchadien Dillo tué d’une balle dans la nuque, Koulamallah s’en est tiré avec ce coup de génie dont il est coutumier : « Madame, je vous savais journaliste, ne je savais pas que vous étiez aussi médecin légiste au point de déterminer ce qui a tué cet opposant ». Du Koulamallah pur.
Tellement fier des œuvres de son serviteur, Deby fils a fait, après son élection à la présidentielle du 6 mai 2024, de Koulamallah son ministère d’Etat, ministre des Affaires étrangères. Fait inédit au Tchad, l’ancien rebelle devient chef de la diplomatie tout en gardant les charges de porte-parole du gouvernement. Il pourra donc prêcher la bonne parole tant au Tchad qu’à l’extérieur du pays, auprès des diplomates et des partenaires internationaux.
Francis Sahel
…