La politique migratoire européenne a renforcé les réseaux criminels

Dans un article publié en mai par le Middle-East Institute, le chercheur Guillaume Soto-Mayor, spécialiste du crime organisé, affirme que les politiques anti-migratoires européennes, à travers l’externalisation du contrôle des frontières à des pays tiers, ont renforcé la criminalité et les abus commis par les partenaires locaux de l’Europe tout en échouant à atteindre leur objectif initial.

Guillaume Soto-Mayor

Guillaume Soto-Mayor est chercheur non résident au Middle-East Institute au sein du programme Afrique du nord et Sahel. Il a publié cet article avec le soutien de Florence Boyer, chercheur à l’Unité de Recherche Migrations et Société CNRS-IRD. 

La thèse de Guillaume Soto-Mayor, la voici: le financement de Bruxelles, depuis 2016, aux gouvernements libyen, nigérien et tunisien à travers le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne (EUTF for Africa) provoque des effets pervers en matière de politique d’immigration. Cet argent finance les forces de sécurité de ces trois pays, notamment les garde-côtes libyens et tunisiens, pour empêcher les migrants d’atteindre les côtes européennes. Une enveloppe de 800 millions d’euros a été attribuée au ministère de l’Intérieur libyen et à son bras opérationnel, le Directorat contre la migration illicite, qui gère 10 centres de détention officiels.

Résultat, des centres de détention officieux gérés par des milices brutales sont ainsi trop souvent financés par des gouvernements européens. Depuis dix ans, l’emprisonnement, le travail forcé, la torture et l’extorsion de fonds caractérisent une industrie criminelle dont certains des acteurs sont les interlocuteurs de l’Union Européenne et des organisations internationales.

En Libye comme en Tunisie et au Niger, cette politique a échoué à freiner la migration, tout en contribuant à provoquer des morts en Méditerranée; Soit 25 000 depuis 2014.Tout aussi grave, on assiste, sous prétexte de politique migratoire, à la mise en place d’un système criminel. « L’externalisation du contrôle des frontières de l’Union européenne à des pays tiers, concept qui a émergé il y a vingt ans, explique Guillaume Sotto Moro, a conduit à des violations des droits humains à grande échelle, renforcé des réseaux criminels et échoué à atteindre son objectif de baisse de la migration ».

« La stabilisation », un concept erroné

Il explique que cette politique repose sur un narratif erroné de « stabilisation » qui s’est révélé inefficace, comme le démontrent l’instabilité et la violence dans la région. « Pire, la priorité européenne autour des initiatives sécuritaires a aggravé le calvaire des migrants, conduisant à l’augmentation des morts et des abus le long des routes migratoires. Les initiatives financées par l’UE ont soutenu des régimes autoritaires et des réseaux criminels, ce qui sape les efforts déployés pour faire face aux défis migratoires », ajoute-t-il.  

Pour Guillaume-Soto Mayor, l’externalisation du contrôle des frontières, à travers les abus commis par les partenaires locaux, y compris criminels, de l’Europe, n’a pas seulement violé les valeurs défendues par l’UE mais aussi les règles et traités internationaux dont ses Etats membres sont signataires. 

Malgré les milliards d’euros d’aide au développement et d’aide militaire dépensés par la communauté internationale au profit des pays d’Afrique du nord et du Sahel pour les aider à contenir les flux migratoires et à combattre le terrorisme et l’instabilité politique, « les récents coups d’Etat au Mali, au Niger et au Burkina Faso, l’autoritarisme croissant du régime tunisien et la violence continue en Libye ont mis en lumière l’échec de ces efforts et du narratif plus large autour de la stabilisation », écrit l’auteur.

« Le concept de stabilisation définit le cadre d’action de la communauté internationale en matière de soutien au maintien de la paix et au développement. Dans ce contexte, un pays est jugé stabilisé lorsque la violence est cantonnée à un niveau jugé acceptable pour la communauté internationale et les élites locales, qui permet la relance de l’activité économique nationale, garantie finale de la stabilité nationale », explique Guillaume Soto-Mayor. Cette idée repose sur le présupposé que « si les promoteurs de conflit sont engagés dans le business (légal ou pas) et ont intérêt à la poursuite de leurs activités économiques, ils éviteront la guerre. »

Une économie de la violence encouragée

Le chercheur met en cause le mode opératoire des élections en Afrique qui sont souvent présentées à Paris ou à Bruxelles.  comme la meilleure porte de sortie aux situations de crise. Or il ne s’agit souvent que de démocraties d’opérette qui renforcent les situations acquises.  « L’indicateur de cette stabilité supposée, écrit le chercheur,  est la tenue d’élections, qu’elles portent ou non des démocrates au pouvoir. Or, avec le soutien plus ou moins public et direct de la communauté internationale, des hommes forts, souvent anciens chefs de guerre et criminels, ont accédé à des postes de pouvoir au niveau local et national, en échange de leur engagement à ‘stabiliser’ des territoires clé. » Cette dynamique a conduit à l’institutionnalisation de l’économie de la violence. (Car) « des comportements criminels en matière de gestion publique, la création de rentes institutionnelles, le dévoiement des ressources sont tolérés et perpétués, en particulier lorsqu’ils résultent de politiques anti-migratoires. »

Vidéo, l’éxode des jeunes tunisiens vers l’Italie

Guillaume Soto-Mayor affirme que 266 940 migrants et réfugiés sont arrivés en 2023, dont 97% par la mer, dans les pays du sud de l’Europe (Espagne, Italie, Grèce, Malte et Chypre). Ce chiffre représente une augmentation de 67% par rapport aux arrivées comptabilisées en 2022, dont une bonne partie à partir de la Tunisie. Selon le Centre des migrations mixtes, citant l’Organisation internationale pour les Migrations, « 1417 morts ou disparitions se sont produites en Méditerranée centrale en 2022, en majorité au large des côtes libyennes et tunisiennes. »

« L’échec de gouvernements corrompus et inefficaces nourrit la xénophobie contre ces migrants, devenus les boucs émissaires de théories conspirationnistes, comme, depuis juillet dernier, en Tunisie où le Président Kais Saied accuse les migrants sub-Sahariens de vouloir remplacer les Tunisiens », poursuit l’auteur. 

La traduction à partir de l’anglais est signée Mondafrique. 

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