Le refus des visas alimente le sentiment anti français

Loin de promesses de facilité de circulation pour certaines catégories faites en février dernier par Emmanuel Macron, la politique de délivrance des visas dans les consulats de France en Afrique suscite de vives critiques et alimente le sentiment anti-français sur le continent.

Une dizaine de scientifiques français travaillant avec des chercheurs africains s’émeuvent du « filtrage sans fin des demandes de visa qui s’apparente à une politique d’inimitié ».

C’est sans aucun doute le signe d’un mauvais départ pour la nouvelle politique africaine du président français Emmanuel Macron présentée en février dernier. A en juger à l’aune des promesses de facilité de circulation faites par Macron lors de cette annonce en grandes pompes à l’Elysée, on peut même dire que les choses vont de mal en pis alors que cette nouvelle feuille de route était censée permettre à la France d’arrêter sa perte d’influence sur le continent.  

Des consulats hors de tout contrôle 

De Dakar à Niamey en passant par Libreville, Abidjan, Douala, Tanger, Cap Town et Conakry, tout se passe comme si les consulats de France en charge de la délivrance des visas n’ont pas entendu le président Macron dire qu’il y aura désormais des facilités de circulation pour certaines catégories de personnes : enseignants-chercheurs, hommes d’affaires, scientifiques, artistes, étudiants, etc.  

Dans une tribune collective publiée dans Le Monde, une dizaine de scientifiques français travaillant avec des chercheurs africains s’émeuvent du « filtrage sans fin des demandes de visa qui s’apparente à une politique d’inimitié ». 

« Nous dénonçons une incompatibilité de plus en plus forte entre politique scientifique et politique des visas restreignant- pis empêchant- la mobilité internationale de nos partenaires académiques, au risque d’un véritable décrochage de la recherche française », mettent en garde les signataires de la Tribune.  

Dans un ouvrage très documenté, intitulé « Les ambassades de la Françafrique : héritage colonial de la diplomatie française », le journaliste français Michael Pauron avait décrit les consulats français comme une sorte de « citadelles imprenables », ne faisant qu’à leur tête, appliquant des règles différentes selon les pays, portant des appréciations différentes sur la même demande suivant le fonctionnaire du jour au guichet. 

 A Dakar, la Consule de France Nathalie Node a décidé de fermer, à la veille des vacances estivales, la section des visas pour motif « familial » et « touristique ». A Kinshasa, des demandeurs racontent que le fonctionnaire a abaissé les stores au motif que c’était l’heure de fermeture du bureau alors qu’il y avait déjà du monde en salles d’attente.  

A Niamey, une autorité à la tête d’une grande institution publique s’est vu accorder un visa de vingt jours qui l’a obligé à organiser son séjour professionnel en France au pas de courses.  

 Il n’y a pas si longtemps cette politique maladroite de délivrance de visage serait passée inaperçue ou serait restée dans des cercles d’initiés. Mais pas dans le contexte actuel où la France enregistre une perte d’influence partout en Afrique. Dans les réflexions en cours sur le sentiment anti-français à la Commission des Affaires étrangères et dans les armées françaises, la politique des visas revient de façon récurrente. Diplomates, militaires, hommes d’affaires français admettent à haute voix que les vexations imposées dans les consulats aux demandeurs de visa, qui ne présentent aucun risque migratoire, alimentent le ressentiment envers la France.  

« Nous voyons monter un profond ressentiment chez beaucoup de nos partenaires, pouvant aller jusqu’au boycott de toute coopération avec le monde scientifique » s’alarme un groupe de scientifiques majoritairement issu des rangs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). 

Les rancœurs entraînées par la politique française des visas nourrit le sentiment anti français

 

La main invisible de Wagner 

Dans une étude intitulée « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone », trois chercheurs de l’Institut français des relations internationales (IFRI) soutiennent que des raisons plus profondes viennent s’ajouter à de nouvelles colères comme celle suscitée par la politique de délivrance des visa pour expliquer le rejet actuel de la France dans plusieurs régions d’Afrique. Pour Thierry Vircoulon, Alain Antil et François Giovalucchi, le franc CFA et les bases militaires sont deux éléments importants de la mobilisation contre la France en Afrique subsaharienne.  

« A travers le FCFA, l’on peut retrouver les différents éléments constitutifs de la Françafrique comme dispositif néocolonial : absence de considération pour la souveraineté des pays africains ; la politique de changements superficiels pour assurer la continuité des relations coloniales ; la répression des dirigeants politiques, des intellectuels et mouvements dissidents » , rapporte l’étude qui reprend ainsi les griefs adressés au FCFA, monnaie commune à 14 pays africains,  parmi lesquels 12 anciennes colonies françaises. 

 Même levée de boucliers chez les jeunes africains qui déplorent l’interventionnisme militaire français en Afrique. Les auteurs de l’étude de l’IFRI rappellent, à juste titre d’ailleurs, que la dénonciation de l’intervention militaire française en Afrique ne date pas de Barkhane. Selon eux, depuis les indépendances, l’Afrique est la zone de prédilection des interventions militaires qui ont été rendues possibles par des accords de coopération militaire et de défense.  

« Malgré l’évolution historique à la baisse du dispositif militaire français en Afrique, l’interventionnisme n’a pas diminué. Le ministère de la Défense a dénombré pas moins de 52 interventions en Afrique de 1964 à 2014 », soulignent MM. Vircoulon, Antil et Giovalucchi. 

Même ajoutant la critique de l’aide publique au développement aux dénonciations du FCFA et de l’interventionnisme militaire, on ne réussit pas à expliquer totalement les vraies raisons du désamour actuel entre la France et ses anciennes colonies. 

 Outre les rancœurs entraînées par la politique absurde des visas, les maladresses répétées du trio Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian et Florence Parly ont nourri une colère légitime en Afrique. Les méfaits de l’arrogance de ces trois dirigeants français dans leur rapport avec l’Afrique n’apparaissent pas très clairement dans l’étude de l’IFRI : c’est une de ses faiblesses majeures. Or, on constate de manière très claire qu’une grande partie des opinions du continent n’a guère apprécié que ses dirigeants soient traités comme des « sous-préfets de la France » par le président Macron, Le Drian et Parly.  

Pourtant, le plus surprenant c’est aussi l’absence d’humilité des dirigeants français qui les amènent à voir la main invisible du groupe russe de sécurité Wagner derrière toute critique sur les relations entre la France et l’Afrique. Il n’y a nul besoin de Wagner pour formuler des critiques légitimes contre la politique absurde et vexatoire de délivrance de visas dans les consulats de France. A trop soupçonner tous ceux qui critiquent la France en Afrique d’être des « agents de Wagner », les dirigeants français passent à côté des critiques justes et objectives qui auraient pu inspirer leur réflexion sur une nouvelle politique africaine de la France. Celle qui va permettre d’arrêter l’hémorragie partie du Sahel, celle qui va permettre ensuite de reconquérir le terrain perdu. 

Francis Sahel 

 

  

   

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