Au Gabon, Alain Mouagouadi et Thierry Nkoulou, deux leaders syndicaux, ont été enlevés et séquestrés pendant près de deux jours début mars 2024 par un mystérieux commando avant d’être « libérés » par des agents des services de renseignements de la Garde Républicaine du Gabon. Récit d’un étrange enlèvement.
Par Jocksy Andrew Ondo- Louemba
Avec la collaboration de Grégoire K. Moundounga
Le 1er mars 2024, Alain Mouagouadi, Vice-président de la confédération syndicale Dynamique Unitaire et Délégué Général de la Convention Nationale des Syndicats du Secteur Education – CONASYSED, se trouve au ministère de la fonction publique du Gabon à Libreville où a lieu une action syndicale. Peu avant, le leader syndical est abordé par un homme qui se présente à lui comme enseignant et qui lui demande des renseignements relatifs à l’action syndicale. Alain Mouagouadi fournit les renseignements que l’homme lui demande et remarque que ce dernier a une attitude suspecte et remarque qu’il parle avec un individu pour le moins patibulaire.
Lorsqu’il quitte le ministère de la fonction publique après 18 heures (heure locale), Alain Mouagouadi prend dans sa voiture son collègue Thierry Nkoulou, conseiller du président de Dynamique Unitaire, une confédération syndicale gabonaise.
Mystérieux commando
Alors qu’il conduit, Alain Mouagouadi remarque un pickup tout terrain qui roule au milieu de la route et quelques instants plus tard, le pickup lui barre le passage. Les personnes à bord du pickup descendent de leur véhicule et sont rejoints par d’autres personnes qui étaient à bord d’un autre pickup. Alain Mouagouadi et Thierry Nkoulou, qui croient dans un premier temps à une arrestation, sont enlevés et répartis dans chacun des pickups où on leur met une cagoule sur la tête avant de les conduire dans un bâtiment dans la zone nord de Libreville, la capitale du Gabon.
Dans la voiture de leurs ravisseurs, Alain Mouagouadi reconnaît un homme qui parlait avec l’individu qui s’est fait passer pour un enseignant et qui l’avait abordé alors qu’ils se trouvaient au ministère de la fonction publique quelques heures plus tôt.
« Nous travaillons pour le président »
Durant leur séquestration, les syndicalistes racontent qu’ils n’ont pas subi de violences physiques. Leurs ravisseurs leur reprochent de mener leur action syndicale en pleine période de transition. Selon les ravisseurs qui affirment « nous travaillons pour le président », les enseignants gabonais devraient déjà s’estimer heureux d’avoir trouvé un emploi… Les ravisseurs expliquent également à leurs otages qu’ils sont chargés « du sale boulot » dans la zone sud de la capitale gabonaise…
Après près de deux jours de séquestration, dans la nuit du samedi 2 au dimanche 3 mars 2024, les leaders syndicaux séquestrés sont extraits par leurs ravisseurs qui leur expliquent qu’ils ont décidé de les emmener plus au nord de la capitale gabonaise à Malibé « pour en finir ». À ce moment-là, les leaders syndicaux pensent que leur dernière heure est venue.
Sauvés par les Services Spéciaux
À 3 heures du matin, alors qu’ils sont emmenés par leurs ravisseurs, les syndicalistes entendent d’autres voitures puis des personnes qui interviennent : ils viennent d’être libérés par des éléments de la Direction Générale des Services Spéciaux qui se présentent comme tels à eux et qui ont interpellé par la même occasion leurs ravisseurs. Conduits au Palais Présidentiel du Gabon – Le Palais Rénovation – les deux leaders syndicaux sont rassurés par le Directeur de ce service de renseignements qui les reçoit aux environs de 9 heures du matin dimanche.
Silence assourdissant
Depuis l’enlèvement et la séquestration des deux leaders syndicaux, les autorités judiciaires gabonaises n’ont pas communiqué sur ces faits particulièrement graves et rien n’a filtré à propos du mystérieux commando qui a pourtant été interpellé.
Le Gouvernement et le CTRI (Comité Pour la Transition et la Restauration des Institutions – le comité militaire qui a pris le pouvoir après le coup d’État du 30 août 2023) n’ont pas réagi formellement, encore moins condamné cette violation particulièrement grave des droits de l’homme. Pour leur part, les leaders syndicaux ont annoncé leur intention de porter plainte contre X.
Le cas Mathurin Ovono Ebè
Cet enlèvement ressemble à s’y méprendre mais surtout rappelle celui d’un autre syndicaliste Gabonais : Mathurin Ovono Ebè, président de la Section de l’Université de Libreville du Syndicat National Des Enseignants et Chercheurs (SNEC -UOB). Contrairement à ses camarades, Mathurin Ovono Ebè avait eu moins de chance puisqu’il avait été en 2021 séquestré et torturé de façon particulièrement sadique.
Les ravisseurs et les tortionnaires de Mathurin Ovono Ebè – qui avait déjà subi le même sort en 2017 – n’ont jamais été inquiétés…
Gabon, l’universitaire Mathurin Ovono Ébè enlevé et torturé