Gabon, l’universitaire Mathurin Ovono Ébè enlevé et torturé

Mathurin Ovono Ébè, professeur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Libreville dont il préside la section du Syndicat National des Enseignants et Chercheurs du Gabon (SNEC-UOB), a été enlevé et torturé pour avoir publiquement dénoncé le délitement de l’université gabonaise 

Jocksy Ondo-Louemba  

Le 28 juin 2021, Mathurin Ovono Ébè est enlevé par des hommes armés non identifiés à bord d’un mini bus blanc aux alentours de 20h alors qu’il descend d’un taxi-bus à Essassa, à 24 kilomètres de Libreville, la capitale du Gabon.  Après un changement de véhicule opéré en cours de route, les ravisseurs le conduisent dans un lieu non identifié qu’il décrit comme une maison. Là, pendant trois heures, le professeur d’université et syndicaliste est torturé et interrogé. Ses ravisseurs cherchent à le contraindre d’abandonner son combat syndical contre beaucoup d’argent et en menaçant de s’en prendre à sa famille tout en lui donnant des détails sur son domicile et l’école que fréquente ses enfants…

Ferme dans ses positions, Mathurin Ovono Ebe refuse. Agacés, ses ravisseurs décident de le relâcher dans un quartier de la périphérie, plus précisément au PK 14 de Libreville, sur la Nationale 1, non sans lui avoir posé une arme à feu sur la tempe avant de disparaître dans la nuit. Les riverains noctambules ayant suivi la scène de loin décrivent le véhicule des ravisseurs comme un pick-up blanc 4X4 double cabine.

Professeur-Courage

Peu après, Mathurin Ovono Ébè, tient à Libreville une conférence de presse au cours de laquelle il raconte avec force et détails son enlèvement. Son récit confirme l’existence d’escadrons de la mort au Gabon et aussi l’existence de centres de détention clandestins. Courageux, Mathurin Ovono Ébè annonce qu’il ne renoncera pas à son engagement syndical pour un mieux-être éducatif au Gabon avant de traiter de lâche le commanditaire du crime dont il a été victime.

Ce n’est pas la première fois que Mathurin Ovono Ébè est enlevé: « La première fois, le 27 avril 2017, j’avais été enlevé à bord de mon véhicule. Je venais de marquer un arrêt pour uriner, sur la Nationale 1. Une double cabine 4×4 blancs s’est arrêtée brusquement et 3 hommes descendus m’ont forcé à monter à bord de leur véhicule, fusil au poing. Une fois dans la voiture, j’ai été encagoulé et nous avons roulé pendant plus d’une heure. Arrivés à destination, ils m’ont torturé toute la nuit. Les moyens de torture : bougie, lame bistouri, chaîne, fils électriques. Résultats : scarifications, brûlures, traumatisme crânien et entorses… ».

Les ravisseurs de Mathurin Ovono Ébè veulent à tout prix son ordinateur mais l’universitaire ne l’a pas sur lui. Ses ravisseurs décident de s’en prendre à son épouse : « Si vous voulez encore voir votre mari, apportez-nous son ordinateur » ; Mais, courageusement, l’épouse de l’Universitaire répond « Mon mari n’a pas d’ordinateur » avant de donner l’alerte qui sauvera la vie de son mari. « C’est ainsi que j’entendis : « Ça sent le roussi. On le libère ». S’en est suivi une dispute entre les ravisseurs : me tuer et abandonner mon corps quelque part ou me laisser en vie. Finalement, ils m’avaient remis dans le véhicule pour me pousser dans le vide au niveau du PK 29. Ils m’avaient enlevé au niveau du PK 19 », confie Mathurin Ovono Ébè.

Menaces constantes 

Depuis sa conférence de presse, l’universitaire est l’objet de menaces. Tant et si bien que sa famille a décidé de monter au créneau pour dénoncer le traitement dont il fait l’objet lors d’une conférence de presse : « Nous sommes extrêmement indignés de l’utilisation des moyens de l’État par des commanditaires véreux, petites gens de peu de vertu, qui se servent de leur position dans les différents rouages du Pouvoir, pour sévir en toute impunité et régler des comptes à leurs compatriotes, sachant qu’ils ne seront pas inquiétés ».

Si Mathurin Ovono Ébè a déposé plainte concernant son deuxième enlèvement, les chances d’aboutir sont inexistantes, la première en 2017 ayant été classé sans suite…

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

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