Catherine Colonna solde le médiocre héritage africain de Jean- Yves Le Drian  

En une seule année, la ministre des Affaires étrangères françaises Catherine Colonna a opéré un changement dans le style et le traitement des dossiers africains par le Quai d’Orsay qui tourne la page des années de son prédécesseur Jean-Yves Le Drian. L’ancienne porte-parole de Chirac à l’Elysée manie l’écoute et la discrétion là où son prédécesseur usait du coup de menton et de l’arrogance.

Écoute et discrétions sont les atouts de l’actuelle ministre française des Affaires Étrangères

Le climat a changé depuis un an dans le traitement des dossiers africains par le Quai d’Orsay. Ce constat d’abord très diffus s’est progressivement imposé.  La dernière preuve en date fut le Rapport des Nations unies sur le massacre de Moura, au Mali. Alors que Le Drian aurait sauté, une nouvelle fois, sur telle occasion pour tancer le pouvoir militaire de transition, Catherine Colonna ne s’est pas exprimée publiquement sur le sujet. Elle a préféré laisser le Représentant permanent de la France Nicolas de Rivière à l’ONU monter au créneau.

Ni arrogance, ni coup de menton  

Dans de nombreuses capitales africaines, et même auprès de nombreux acteurs de la société civile du continent, Jean-Yves Le Drian aura finalement laissé le souvenir d’un « régent ».  L’image de celui qui a voulu imposer les vues de la France, y compris maladroitement sur des sujets qui relèvent pourtant de la souveraineté des Etats du continent. Sur la langue liste de ses sorties hasardeuses, on peut citer la Centrafrique et le Mali. Le Drian a ainsi provoqué stupeur et incompréhension à Bangui en 2015,  lorsqu’qu’après une audience avec Faustin Ange-Touadera il annonça tout de go le retrait de l’armée française de Centrafrique alors même qu’il n’en avait pas pipé un seul mot au président centrafricain qui venait pourtant de le recevoir. 

Jean Yves Le Drian, « le dernier Régent » de la Françafrique, a régné en maitre sur le continent africain sous Hollande puis sous macron

Autre capitale africaine, autre contexte, mais même paternalisme : en octobre 2020 à Bamako, au Mali, le Premier ministre de transition Moctar Ouane annonce, lors d’une conférence de presse commune avec Le Drian de passage dans le pays, que le Mali va ouvrir des discussions avec les groupes djihadistes, conformément à la volonté exprimée par les Assises nationales. Le ministre français des Affaires étrangères reprend aussitôt Moctar Ouane pour dire que la France n’est pas favorable aux discussions avec les groupes djihadistes. « La seule feuille de route qui tient, c’est l’Accord d’Alger qu’il faut appliquer et rien d’autre », avait sermonné Le Drian. 

 L’inélégance de sortie avait heurté bien au-delà du gouvernement de transition, l’ensemble des Maliens et même débordé jusqu’aux panafricanistes réels ou supposés.  A en juger par son approche depuis un an, il y a très peu de chances que Colonna reproduise ce type de maladresses diplomatiques. A la différence de son prédécesseur que certains ont surnommé « le ministre de l’Afrique » à cause de la fréquence de ses voyages sur le continent, Colonna limite ses déplacements africains au strict minimum. Autre différence d’approche, la cheffe de la diplomatie française privilégie davantage l’approche européenne des dossiers africains. Elle s’est ainsi rendue en janvier 2023 à Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, en compagnie de son homologue allemande Annalena Baerbock pour soutenir l’accord de paix inter-éthiopien conclu sous l’égide de l’Union africaine. 

Les relations privilégiées de Le Drian avec le maréchal Sissi étaient connues de tous

Le Drian, avocat des dictatures

Mais s’il y a bien un registre où Colonna marque la rupture totale avec son prédécesseur, c’est bien celui des relations personnelles avec des chefs d’Etat africains peu fréquentables en matière de démocratique, d’alternance et de bonne gouvernance. Il n’est un secret pour personne que Le Drian était un grand ami de feu Idriss Deby, président du Tchad, décédé en avril 2021 après 30 années de règne sans partage à la tête de son pays. Avec Denis Sassou Nguesso, autre figure emblématique de la confiscation du pouvoir et de la gestion patrimoniale des richesses nationales, Le Drian est « à tu et à toi ».

Le Drian avait organisé en septembre 2019 le déjeuner entre Sassou et Macron à l’Elysée, au prétexte que le président congolais est un acteur incontournable

C’est l’ex ministre français des Affaires étrangères qui avait organisé en septembre 2019 le déjeuner entre Sassou et Macron à l’Elysée, au prétexte que le président congolais est un acteur incontournable de la gestion durable des Forêts du Bassin du Congo, deuxième poumon écologique de la planète, après l’Amazonie. Derrière cet argument écologique et climatique, Le Drian a réussi à faire oublier que Sassou a fait condamner à 20 ans de prison le général Jean-Marie Michel Moko (JMMM) et Okombi Salissa. Tous deux étaient, en vérité, coupables de s’être présentés contre Sassou lors de la présidentielle de 2016. Par le même tour de passe-passe, le même Le Drian avait réussi à faire se rencontrer en octobre 2019 à Lyon le président Macron et son homologue camerounais Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. Le Drian cultivait par ailleurs une forte proximité notoire avec le dictateur égyptien Al-Sissi. On ne connait jusqu’ici à Colonna d’amitiés personnelles avec les chefs d’Etat africains, à fortiori une volonté de plaider leur cause auprès de l’Elysée. 

Retour des diplomates 

Ancien ministre des armées (2012-2017), Le Drian n’a rien fait en venant au Quai d’Orsay en 2017 pour que les diplomates retrouvent voix au chapitre dans les dossiers africains. C’est surtout le cas au Sahel où la stratégie de la France a été préemptée par les militaires qui ont privilégié l’option de la force face à un défi sécuritaire qui va bien au-delà. Profitant de l’arrivée de Sébastien Lecornu, personnalité moins va-t-en-guerre que son prédécesseur Florence Parly, Colonna a lentement et progressivement remis les militaires dans le circuit des décisions sur la crise sahélienne. Ancien Envoyé de la France au Sahel, ancien Secrétaire général de la Coalition internationale pour le Sahel, Christophe Bigot est passé Directeur Afrique et Océan indien (DAOI) au Quai d’Orsay, une poste de première importance pour la définition de la politique africaine de la France.  

Annoncée en grandes pompes le 27 février dernier à l’Elysée par le président Macron, la nouvelle politique africaine de la France devrait du reste favoriser le retour des diplomates sur les dossiers africains. En effet, Macron a assuré que la France, consciente qu’elle ne peut pas rivaliser dans tous les domaines en Afrique avec ses autres concurrents, entendait désormais intensifier sa coopération universitaire, scientifique, culture et sportive avec le continent. Avec la délivrance des visas pour les étudiants africains, ses priorités relèvent du cœur du métier du Quai d’Orsay. Elles sont donc de nature à favoriser le leadership sur les dossiers africains des diplomates, beaucoup plus sensibles que les militaires aux questions de démocratie et des droits de l’homme.  

En une année, un pas de géant a été franchi pour solder l’encombrant héritage françafricain laissé par Le Drian. Mais, toute la bonne volonté de Colonna ne suffira pas pour y arriver tant que l’Elysée aussi ne voudra s’engager dans cette voie. Avec la cellule africaine actuelle du Palais qui fonctionne, sur les dossiers africains, comme un Quai d’Orsay bis, la bataille n’est pas totalement gagnée.  

Francis Sahel  

 

 

 

2 Commentaires

  1. Vous vous foutez de nous c’est ça? C’est la même musique qui joue depuis de Gaulle et c’est le même poison qu’ils continuent de rependre en Afrique…et croyez le ou pas, qu’ils mélangent ce poison avec du miel ou ou qu’ils nous la fassent avaler sec, cela ne change rien pour l’Afrique. La France a juste troquée le masque de l’arrogance contre celui de hypocrisie.

  2. Je suis d’accord avec vous sur le fait que les deux styles sont différents mais je ne partage pas votre analyse sur les avancées de la diplomatie française avec Mme Colona pour la simple raison que la diplomatie est une affaire d’état et donc est celle de monsieur le président Macron et sur ce point tous les analystes, il n’y a aucun changement de cap.

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