Cet article a été publié dans le journal nigérien « L’Evènement », le 3 février 2017.
Connaissez vous Joaquin Guzman Loera, alias « El Chapo » (le trapu) ? Il s’agit du célèbre narcotrafiquant mexicain qui a été extradé le jeudi 19 janvier dernier vers les Etats-Unis qui le considèrent comme le « trafiquant le plus dangereux du Monde ».
Ce dernier semble avoir fait des émules au Sahel telles que Cherif Ould Tahar, un baron de la cocaïne intouchable au Mali voisin, mais également dans toute la sous région sahélienne. A lui seul, Cherif Ould Tahar est « un Etat dans plusieurs Etats ». Pour preuve, il peut se permettre d’enlever en toute impunité des citoyens sans que cela n’émeuve les dirigeants sahéliens. Les rapts des citoyens opérés dans la zone d’Agadez, ajoutés à la récente affaire de trafic de drogue impliquant un député nigérien suivi du kidnapping de l’humanitaire américain Jeffery Woodke le 14 octobre 2016 démontrent que l’homme est puissant. Alors qui protège « El Chapo » ? Retour sur une affaire rocambolesque de drogue avec comme chef d’orchestre, Cherif Ould Tahar, le « El Chapo du Sahel ».
Guerre des gangs au Sahel
Selon nos informations tout est parti de l’envoi, le 27 juillet 2016 par Sidi Lamine, député nigérien, aidé par son neveu Cherif Sidi et son beau-fils Ali Abdoulahi, d’une camionnette frigorifique à destination d’Agadez. Le véhicule en question censé transporter des poulets congelés ou des produits laitiers, portait en réalité à son bord deux tonnes de haschich marocain.
Selon nos sources, cette cargaison appartenait à Cherif Ould Tahar qui l’a faite circuler via le patron d’une société de transport. A en croire nos sources, le député Sidi Lamine aurait appelé des personnes à Agadez pour leur dire que la marchandise était en route et que ses parents à bord de la camionnette simuleraient une panne dans les encablures du village de Tamaya sur la route d’Agadez non loin d’Abalak. C’est ainsi que deux hommes, Mohamed Hassane un toubou ayant pignon sur rue à Agadez et Dyna Taouling, un arabe connu à Agadez mènent une fausse attaque contre le véhicule et interceptent la marchandise à l’endroit indiqué. Les « vrai-faux » assaillants écoulent ensuite très rapidement la cargaison à des clients rivaux d’Ould Tahar.
Ce dernier ayant senti un coup fourré de la part de son homme de main du Niger Sidi Lamine, tenta d’abord de le raisonner pour restituer la drogue. En vain. Sidi Lamine aurait juré n’être au courant de rien. C’est alors que les représailles commencent.
Sidi Lamine serait alors brièvement mis aux arrêts par des hommes de Cherif Ould Tahar, avant d’être relâché après avoir donné des garanties. Son neveu Cherif Sidi et son beau-fils Ali Abdoulahi, liés à la disparition de la drogue auraient été livrés.
Le « El Chapo du Sahel » va ensuite commanditer l’enlèvement des hommes de Sidi Lamine, Mohamed Hassane et Dyna Taouling. Pour obtenir la liberté des membres de sa famille, le député aurait déboursé la somme d’1,3 millions de francs CFA. Ils se trouveraient tous les deux actuellement au Burkina Faso voisin.
Aux dernières nouvelles Mohamed Hassane et Dyna Taouling, feraient quant à eux des pieds et des mains pour rembourser à Ould Tahar l’argent qu’ils ont perçu de leur braquage de Tamaya. L’un d’entre eux a même mis tous ses biens meubles et immeubles d’Agadez sur le marché. Certaines sources rapportent que Mohamed Hassane serait déjà en liberté en Libye.
Le député Sidi Lamine au cœur de cette affaire scabreuse serait quant à lui en convalescence au Maroc, ce qui s’apparente à une exfiltration au moment où sa levée d’immunité parlementaire a été demandée par la justice nigérienne.
Le fait est que tous ces enlèvements et règlements de compte entre parrains de la mafia de la drogue coïncident avec certains indices du FBI indiquant que l’enlèvement du ressortissant américain Jeffery Woodke aurait un lien avec cette affaire. Une mission d’enquête nigérienne qui aurait séjourné au Mali voisin serait, à en croire nos sources, revenue bredouille du fait de « l’intouchabilité » du baron Cherif Ould Tahar dans ce pays. Ce personnage avait déjà été cité lors de l’atterrissage en 2010 d’un appareil transportant 4 tonnes de cocaïne, piloté par quatre Sud-Américains, s’est posé sur une piste à Kayes.
Complicité au sommet
A la lecture de ce qui précède, et quand on sait que trafic de drogue rime avec terrorisme, il est utile de se poser les questions suivantes : Pourquoi Cherif Ould Tahar, parrain incontesté de tous ces trafics de drogue, continue de bénéficier de faveurs de certains dirigeants d’Etats du Sahel ? Comment continuer à protéger un tel individu jusqu’à lui délivrer le titre de conseiller de certains présidents ?
Le FBI qui serait toujours sur les trousses des ravisseurs de l’humanitaire ne doit pas fléchir dans son enquête qui a des ramifications au-delà de la personne de Cherif Ould Tahar et sa bande. Les citoyens du Sahel qui continuent de payer le laxisme de leurs autorités empêtrées dans des marécages de la corruption doivent exiger de leurs Etats plus de justice et de sévérité à l’endroit des auteurs, coauteurs et autres complices de cette économie criminelle. Il y va de la stabilité du Sahel tout court.