« Gouverner, c’est aimer », un livre d’Yves Marek

Pour son 7ème livre, Yves MAREK, Ambassadeur, secrétaire général de la commission nationale pour les mines anti-personnel, nous invite à la découverte des ressorts du pouvoir. Pour François BAROIN, qui a signé la préface, ce livre politique est aussi un manuel de sagesse. Une chronique de Dov Zerav 
 
 
Cette « anthologie morale de l’Art sublime de gouverner les hommes », sous-titre du livre « … constitue le fonds commun de l’art de gouverner, de la sagesse politique » sur les différents continents, dans toutes les civilisations, «   une libre promenade bienveillante et amicale en compagnie des grands esprits et de quelques humoristes qui ont préféré observer et comprendre les passions humaines que donner des leçons. »
 
Yves MAREK essaie de comprendre les différences, les évolutions entre « l’homme antique », celui de la renaissance… « L’homme moderne croit au progrès, aux institutions, à l’ingénierie des constitutions et des lois, aux règles et au droit. Il refuse de voir avec tendresse les travers humains comme des données éternelles ». Joueur d’échecs émérite, Yves MAREK cherche ces données éternelles qui déterminent les fondamentaux du pouvoir.
 
Il commence par identifier les moyens de s’attacher des citoyens, d’en faire des obligés :
  • « L’un des délices du pouvoir est de pouvoir répandre des bienfaits, de distinguer ceux qui le méritent, ceux à qui cela procure le plus de bonheur. »
  • L’ingratitude, défaut courant des souverains… et les nombreux exemples ne manquent pas, VAUBAN, KELLERMAN… « Mais à l’ingratitude des princes répond celle de leurs obligés. » SÉNÈQUE est longuement cité pour conclure qu’il ne faut pas compter sur la reconnaissance.
  • Pour TIBÈRE « qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! » Mais, pour Yves MAREK « … si la crainte est un moyen indispensable, elle ne saurait être tenue pour une source du pouvoir… »
  • « Qui doit à qui ? » La dette en politique démontre que « …la politique et la morale opèrent dans deux registres différents… »
  • « De tous les défauts qui circulent dans la société, la vanité est l’un des plus répandus… »
  • « La flatterie n’est pas seulement celle des petits à l’égard du Prince, cela peut être aussi celle des petits rois à l’égard de l’Empereur… »
  • « En même temps que le Prince est objet de flatterie, destinée à gagner sa faveur, il entend sans cesse des calomnies, des propos malveillants des flatteurs… »
  • Cet examen exhaustif des ressorts du pouvoir se termine avec le crime, les pactes criminels…
Directeur de cabinet de ministre, conseiller de trois ministres et du Président du Sénat, Yves MAREK a été secrétaire général de l’association des amis de Jacques CHIRAC. Habitué des allées du pouvoir, il décline :
  • La contrainte de la prise en compte des intérêts, comme l’a déclaré NAPOLÉON « un homme combattra plus pour ses intérêts que pour ses droits » ou SAINTE-BEUVE « un bon gouvernement n’est que la garantie des intérêts »
  • Selon HOMÈRE, « la vengeance est plus douce que le miel » Alors que «    la clameur publique fustige l’esprit de vengeance… La vengeance est souvent recommandée pour que l’on ne doute pas de la force de celui qui a été humilié… La vengeance est nécessaire pour rétablir la justice. »
  • L’immoralité semble consubstantielle à la politique. L’histoire retient les noms des héros qui ont conquis le pouvoir ou fait basculer le cours du destin. La place au Panthéon se conquiert à tout prix, quelle que soit la méthode.
  • L’esquive est souvent utilisée pour gagner du temps et attendre le moment le plus opportun. Pour le cardinal de RETZ « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. »
  • Au final, tous les acteurs sont des humains, et la rationalité échappe parfois aux acteurs. « Il n’y a pas de grande politique sans amour du peuple, sans indulgence et tendresse pour tous les travers. » Tel est le message subliminal lancé à tous les responsables politiques par Yves MAREK.
Il commence alors à décliner le vade mecum de l’homme politique pour conquérir et garder le pouvoir, c’est l’art politique et la politique est un art :
  • Décider. « Le politique, le vrai, le sage, le grand, pas celui qui pratique l’esquive, se contente d’être un élu, un notable, de faire fructifier son petit capital d’avantages personnels et d’honneurs limités, doit avant tout être un homme de décision. » Comme aimait le répéter le Président Jacques CHIRAC « un chef est fait pour cheffer ! »
  • Dissimuler, cacher. « Il n’y a pas de pouvoir sans secrets. Le secret est indispensable à l’action et à l’exercice du pouvoir. »
  • Faire confiance. « Avant même que la politique organise par l’élection, par les sondages, la mise en scène visible, la computation mathématique de la confiance comme support et source du pouvoir et de l’efficacité de l’action publique, elle a toujours…reposé sur des relations interpersonnelles, sur la nécessité du concours des autres, sur la spéculation sur leur loyauté ? À qui se fier, sur qui compter ? De qui se défier ? Comment accorder sans risque sa confiance ? »
  • Mentir, Tromper. « Mensonges des fausses promesses avant l’élection, mensonges des statistiques et des bilans flatteurs, après l’élection, mensonges sur les intentions réelles, tout est nécessairement et chaque jour mensonge. Comme le relevait CLÉMENCEAU, « on ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse. »
  • Obéir aux circonstances. Une citation de BOURGUIBA résume bien la ligne de conduite « Parfois, les exigences de la lutte imposent contours et détours. Il est vrai que l’esprit accepte plus facilement le ligne droite. Toutefois, lorsque le chef de file voit que cette ligne ne mène pas au but, il doit prendre un tournant. »
  • Laisser le temps au temps. Cette posture a fait office de politique pour certains politiques comme le Président du conseil Henri QUEILLE qui considérait « qu’il n’y a pas de problème si difficile que le temps ne résout pas ! »
  • Surveiller le lait sur le feu. L’homme politique doit être constamment en éveil, scruter, surveiller, détecter tout signe susceptible de remettre en cause son pouvoir. « L’intuition des passions est précieuse pour deviner, pressentir quel incident isolé, parce qu’il excite l’imagination, parce qu’il entre en résonnance avec des passions populaires, est susceptible de prendre dans l’actualité une proportion anormale. »
Avec une multitude de citations, de références, Yves MAREK a disséqué les ressorts du pouvoir, explicité les méthodes du pouvoir et détailler l’art politique. Il en arrive à examiner les caractéristiques de l’exercice du pouvoir avec le rôle de la loi, l’usage des honneurs, l’implication de la religion, l’obligation d’avoir des « ministres encombrants », la foule des conseillers autour des princes, « les exquis diplomates et les juges félons », la gestion des lobbys, la capacité de nommer, « les intellectuels quelle plaie ! », les conspirateurs… tout y passe, rien n’est laissé de côté pour bien comprendre la politique aujourd’hui.
 
« La religion est plutôt par essence l’auxiliaire du pouvoir et un ciment de la civilisation et il est probable que la seule exception récente est la chrétienté occidentale qui, ayant choisi de privilégier la Charité plutôt que la Grâce, la défense systématique du progressisme et des déshérités plutôt que le mystère, est devenue souvent, comme l’avait pressenti NIETZSCHE, une force redoutable de légitimation de tout ce qui sape l’ordre que l’on croyait éternel. » En recherchant l’évolution de l’exercice du pouvoir, notamment en France, Yves MAREK décortique avec un scalpel acéré, courtisans, technocrates, diplomates, juges… Après avoir analysé les fondamentaux de la politique, il dresse les perspectives et invite à « penser la Haute politique » :
  • Déjà pour Napoléon, « l’opinion publique est une puissance invisible, mystérieuse, à laquelle rien ne résiste… » Deux siècles plus tard avec la multiplication des chaines de télévision et notamment celles d’informations continues, la propagation des réseaux sociaux… la puissance de l’opinion ne cesse de se renforcer.
  • « L’arcane de la force ». Il n’y a pas de pouvoir sans force et le pouvoir est le seul à détenir la capacité et la légitimité de la force.
  • Yves MAREK estime qu’il ne faut « ni convaincre, ni disputer ». « La politique n’est pas une discussion scientifique. Elle est humaine… Elle ne doit parler qu’aux cœurs. » Tel est le crédo du livre et de l’auteur.
  • « Ni problèmes, ni solutions ». « La solution des problèmes politiques obéit à des lois qui sont propres à la politique. » La politique ne peut être réduite à la mathématique, à l’ingénierie…, elle ne peut se limiter à des solutions rationnelles !
  • L’analyse des « erreurs de jugement » permet de comprendre leurs mécanismes et d’avoir l’espoir de pouvoir les éviter.
  • En écrivant « Pas d’avenir », l’auteur d’une biographie d’Edgar FAURE qui considérait qu’est une erreur d’avoir raison le premier, décrit les appréhensions des politiques face aux idées, aux technocrates.
  • Cette Vème partie se termine avec des « funestes idées ».
Pour parfaire son panorama à travers les âges, les civilisations de l’art politique, Yves MAREK aborde certains mystères à découvrir : « le rire divin », « l’éternel féminin », « un peu de majesté », « fatalités intimes », « le génie », les forces de l’esprit », « tout est écrit » et la « fluidité.
 
Au terme de l’itinéraire parsemé de citations de 191 auteurs de CONFUCIUS à Alain SOUCHON en passant par l’Arthashâstra de Kautylia et Pierre l’ARÉTIN…, Yves MAREK invite les responsables politiques à re découvrir l’art politique et à remettre l’homme au cœur de leurs projets quelle que soit l’importance du rôle de la rationalité dans la décision politique contemporaine. Un livre qui doit accompagner tout prétendant au pouvoir.
 
Dov ZERAH