Alors qu’une élection présidentielle doit avoir lieu ce printemps en Turquie, un pays où les scrutins ont eu lieu ces vingt dernières années de façon régulière, Recep Tayyip Erdogan joue sa réélection sur sa capacité à gérer les suites du tremblement de terre
En Turquie, la colère gronde. Elle s’est exprimée d’abord contre les entrepreneurs du bâtiment accusés de malfaçons en séries. L’hôtel Isias, à Adiyaman, est un exemple des pratiques du secteur de la construction en Turquie. Dans cet hôtel, 35 jeunes volleyeurs de 12-15 ans de la République de Chypre Nord ont péri. Des témoins ont affirmé à la chaine de télévision NTV que l’hôtel avait été fermé en raison « d’irrégularités » dans la construction, mais très peu de temps après, les scellés ont été brisés et l’hôtel a ouvert.
Des milliers d’immeubles, y compris de luxueuses résidences pour footballeurs millionnaires, se sont affaissés sur eux-mêmes, sans laisser la moindre chance à leurs occupants.
Le tremblement de terre de 1999
Sentant monter la colère populaire, des dizaines de professionnels du bâtiment et de promoteurs immobiliers tentent de quitter la Turquie avant qu’un mandat d’arrêt les envoie en prison.
La Turquie dispose de normes et de régulations antisismiques modernes et régulièrement révisées – la dernière fois en 2018. Mais la plupart sont ignorées par les promoteurs et entreprises du BTP.
Mais cette colère commence à se retourner contrer le gouvernement et notamment qui a multiplié les arrestations. Le président Erdogan avait débuté sa carrière en 1999, à l’issue d’un tremblement de terre qui a tué des milliers de personnes près d’Istanbul en 1999. Un jeune islamiste qui avait été maire de la ville a relancé sa carrière politique en prenant le thé avec des survivants dans leurs tentes et en demandant « où est l’État » ?
« Où est l’État? »
Devenu président de la Turquie, le même Recep Tayyip Erdogan, fait face au chagrin de la Turquie. Et il multiplie les efforts pour éviter que ce chagrin se transforme progressivement en colère contre lui-même. La question « où est l’Etat » a surgi face au nombre de morts et à l’inertie des secours pendant les deux premiers jours du séisme.
Dans la vaste zone du tremblement de terre, qui a touché quelque 14 millions de personnes, soit 16 % de la population, les Turcs se sont plaints d’un manque d’outils et d’expertise pour aider les personnes prises au piège. Des millions de personnes sont sans abri, dormant dans des tentes, des voitures ou à côté de feux à ciel ouvert. Les enfants endeuillés se blottissent dans des mosquées devenues des crèches de fortune.
L’opération de sauvetage du gouvernement turc, soutenue par des volontaires de plus d’une douzaine de pays, s’est maintenant accélérée, avec des excavatrices qui parcourent une zone dévastée de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Mais l’absence de l’Etat pendant les premières 48 heures a couté des milliers de vies.
En visite vendredi dans la région d’Adiyaman, M. Erdogan s’est engagé à reconstruire les zones touchées en un an et à payer les loyers de millions de personnes déplacées. Il multiplie les excuses partout ou il se déplace, mais l’utilisation de Twitter a été restreinte après qu’une vidéo montrant Erdogan en train d’expliquer à une femme endeuillée que le tremblement de terre était « le plan du destin » ait été largement partagée. Des dizaines de personnes ont été arrêtées depuis lundi pour avoir prétendument diffusé de « fausses informations ».
La capacité de l’Etat à porter secours aux survivants va jouer un rôle dans l’avenir politique de M. Erdogan qui est candidat à sa succession en avril prochain.
« Ce gouvernement n’était tout simplement pas préparé et il pourrait être l’une des victimes laissées sous les décombres de ce tremblement de terre », a déclaré Soli Ozel, maître de conférences à l’université Kadir Has d’Istanbul.
La lassitude des occidentaux face au président turc Recep Erdogan