C’est surprenant, nos amis du journal le Monde (et nous en avons) ne se sont pas précipités pour faire savoir à leurs lecteurs que leur journal de « validation » s’était trompé, ainsi qu’une bonne poignée de médias. Que le 30 janvier dernier, en publiant deux pages intitulées « Enquête sur le mentor des tueurs de Charlie et de l’hyper cacher », le quotidien de référence s’est livré à un lynchage médiatique. Pourquoi ? Parce que Djamel Beghal -désigné par Le Monde comme le « mentor » des assassins, ce qui n’est pas rien- vient d’être blanchi par le Parquet anti terroriste dans ce tragique épisode.
Donc Beghal, certes extrêmement barbu, n’a pas été pour autant été un « mentor », c’est-à-dire un gourou, un patron, un maître C’est une vérité actée par la justice. Donc, Le Monde a écrit des bêtises en désignant un coupable au couperet de la justice antiterroriste, droit d’exception qui est à la justice ce que la musique militaire est à la musique.
Bien sûr, Beghal est un islamiste, d’une espèce cultivée et intelligente qu’un juge antiterroriste à court, faute de mieux, peut qualifier de « redoutable ». Est-ce une raison pour le désigner comme auteur d’un complot duquel il est absent ? Dans un droit de réponse adressé au Monde, Bérenger Tourné, l’avocat de Beghal, avait tenté de défendre l’innocence de son client… en vain. Sa lettre a terminé son parcours dans le nid des cocottes en papier. Pourtant, je le répète, dans son « Enquête sur le mentor des tueurs de Charlie et de l’hyper cacher » Le Monde a publié du tonitruant digne de cette « presse de caniveau » qu’il affecte de combattre.
Qui est Djamel Beghal ?
Beghal est sans doute un peu de ce qu’il a révélé à Mondafrique dans un long entretien que nous avons publié en deux parties. Il a séjourné en Afghanistan où il a croisé Ben Laden tout en s’affirmant « étranger à Al-Qaïda ». Arrêté en 2001 par la CIA lors d’une escale à Abi Dhabi, puis torturé il a finalement été livré à la France.
Vous allez dire qu’en prenant la « défense » d’un islamiste Mondafrique exagère et se montre assez peu « Charlie ». Disons, même si ça fait un peu exercice de philo au Bac, que notre position est un pied de nez à Goethe qui« entre une injustice et un désordre » se blottissait dans le camp des injustes.
VOICI UN EXTRAIT DES ENTRETIENS QUE NOUS AVAIT ACCORDES DJAMEL BEGHAL OU IL RACONTE SON SEJOUR EN AFGHANISTAN
Jacques Marie Bourget. Quel est votre projet au début des années 2000 lorsque vous gagnez le Pakistan et l’Afghanistan ? Pourquoi choisir de tels pays, ceux des Talibans et de Ben Laden ?
Djamel Beghal. Dans l’Islam il y a l’obligation de « l’Al Hijra », émigrer vers une terre d’Islam, ou, tout au moins, tolérante avec lui. Les Afghans ne sont pas tous des Talibans comme l’imaginent les occidentaux. Et les Talibans ne sont que des étudiants. Meurtris de voir leurs frères, le Pachtoune Gub Eddine Hekmetyar ,et le Tadjik Massoud s’étriper pour le pouvoir en prenant le pays en otage, les étudiants ont délaissé les livres pour les armes et ils ont réussi, en quelques mois, à rendre la paix à 98% du pays. Mais à quel prix ! Les meilleurs des Talibans ont été tués durant leur avancée vers Kaboul. Installés dans la capitale, ils ont déclaré, non pas un « Califat », mais un Emirat. Fini les coupeurs de routes et les bandits, plus de pédophilie ni de mariages d’enfants. Plus de drogue, et j’ai été le témoin de l’éradication du pavot. Un succès miraculeux puisque ce commerce était protégé par au moins 125 000 hommes armés ! Convaincre tout ce monde sans tirer un coup de feu ! C’est un résultat unique dans l’histoire.
Pourtant, dès 1996 un blocus total a été instauré sans aucune protestation des « progressistes » et autres « humanistes » et « pacifistes ». Des dizaines de milliers d’enfants moururent de faim et de manque de soins. Quand l’ONU assassine, le crime est invisible. Partout les démocraties tuent dans le monde des centaines de milliers de musulmans, tout cela dans le silence des blocus, comme ce fut aussi le cas en Irak. Les chiffres sont là, abstraits classés dans une statistique sans intérêts.
En 1998-99, Bill Clinton envoya une soixantaine de missiles mer-terre sur l’Afghanistan. De très nombreux civils sont morts et des villages ont été rasés. L’opinion mondiale, qui n’existe que pour les évènements qui touchent l’Occident, n’a pas bronché. Heureusement 45 missiles Tomawaks n’ont pas explosé. Clinton était hystérique, accusant Cheikh Oussama Ben Laden d’être à l’origine des attaques contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie. A ses accusations les Talibans répondaient : « OK, mais fournissez les preuves de vos accusations à la justice afghane… » . En réponse Clinton a continué de raser des villages. Je crois que peu d’humains se rendent compte que Clinton et ses semblables, costumés, parfumés peuvent, eux, tuer des milliers de leurs semblables sans jamais apparaitre comme des criminels ou des barbares. Ils n’ont jamais à rendre de comptes. C’est rageant ! Mais c’est ce qui gonfle les rangs des troupes combattantes. Le système occidental est les meilleurs recruteurs pour le cause islamiste, été il le restera. Hypocritement, trois pays conservèrent alors des représentations diplomatiques en Afghanistan : le Pakistan, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.
Juste avant 1996 Cheikh Oussama Ben Laden a échappé à, au moins, deux tentatives d’assassinat. Il était alors au Soudan où il s’était engagé corps et âme (et argent) pour établir un état islamique moderne dans cette région d’Afrique. Un jour « Carlos », qui était à Khartoum au temps de Ben Laden, m’a fait une demi-confidence alors que nous étions en prison : c’est lui qui était derrière cette chasse à l’homme…
Avant même les attaques contre les ambassades, toutes les infrastructures construites par le Cheikh avaient été bombardées par les avions US. Il a donc été contraint de se réinstaller, lui et Al Qaëde (la Base). Il trouvait inutile de construire ce que les Etats Unis détruisaient. L’idée du repli sur l’Afghanistan est de Sayid Qotb qui théorisa le concept de la « Base solide » (Al Qaëda Assalba), et cela en Egypte dès 1953. Puis, entre 1979 et 1989, à Peshawar au Pakistan, le Cheikh Abdallah Azzam, un Palestinien réfugié de Jordanie, docteur dans les fondements de la jurisprudence de l’Islam, avait redynamisé ce concept de « Base ». En octobre 1989 son assassinat dans un attentat comparable à celui qui a frappé Hariri, est venu mettre fin, momentanément, à l’organisation. Dans ses conférences, ce Cheikh ne jurait que par la libération de la Palestine. Dans le monde musulman, très tôt, les cassettes de ses conférences circulaient sous le manteau sous peine d’être arrêté et torturé par nos gouvernants arabes….
Le but de l’organisation Al Qaëda était de s’attaquer aux pouvoirs corrompus dans nos pays supposés musulmans…par le biais des armes puisque les processus politiques et pacifique étaient définitivement obstrués. Ce qui se passe aujourd’hui confirme ce réalisme. Le sujet fédérateur d’alors était la libération de la Palestine, trahie et délaissée par tous les hypocrites de la planète. La Palestine ? Une princesse endormie qui attend toujours que soit repris le flambeau qui est passé d’Azzam à Ben Laden…
JMB. La cause palestinienne était aussi la votre?
D.B. Naturellement. En 1983, à la demande de l’Union Nationale des Jeunes Algériens, nous avons été quelques uns à être exclus de notre classe de Première scientifique au lycée. Accusés d’être « manipulés par une main étrangère ». Ensuite, nous avons eu toutes les peines du monde à trouver un établissement afin de passer le Bac. Moi, je me suis retrouvé dans un lycée de filles… dans une classe de 38 lycéennes toutes folles de Gisèle Halimi. A la fin de l’année, les larmes aux yeux, ce sont ces mêmes filles qui se sont cotisées pour me payer un billet afin d’aller combattre en Palestine, via la France.
A mon arrivée en Afghanistan en tant que « mouhajir » (émigrant), je me suis installé à Jalalabad. L’organisation Al-Qaëda avait son QG à Kandahar la capitale politique du nouvel Afghanistan. Mais une antenne et une maison d’accueil, une « madhafa », existaient à Kaboul. A cette époque les anciens combattants liés à Hekmetyar formaient un groupe inactif dont le fief, lui aussi, était à Jalalabad et j’avais d’excellentes relations avec eux. Ces hommes-là jouissaient toujours du respect de la population. Toujours dans cette même ville on trouvait aussi des groupes indépendants formés autour d’une nationalité d’origine ou d’une vision doctrinale commune. Par exemple, les ancien communistes Afghans sont restés impliqués dans la fonction publique et dans les postes vitaux qu’ils géraient à l’époque de Najibullah, le président communiste exécuté. A Jalalabad la willaya était aux mains de Haji Kabir, le leader des soufis (Qadarites) qui était également recteur de l’université.N’en déplaise à ceux que je vais faire hurler, Oussama Ben Laden était d’une grande rigueur et rectitude morale.
L’opposition armée dirigée par Haji Qadir se trouvait à une dizaine de kilomètres de la ville et une simple montagne partageait les deux camps. Un tir de mortier pouvait tous nous atteindre. Mais, en attendant une solution définitive, un pacte de paix avait été conclu avec les Talibans. En dépit de sollicitations multiples, je me suis acharné à comprendre la situation sur place. Finalement j’ai opté pour le point de vue de ceux qui prônaient de « re» construire ce pays à neuf. Tout était à inventer et c’était une chance historique.
En même temps, je comprenais parfaitement l’option d’Al-Qaëda, celle de vouloir à tout prix attirer les Etats-Unis à mettre le pied ici, pour les embourber comme les soviétiques le furent, pour les saigner et les mettre à genoux jusqu’à la signature d’un vrai accord ! L’échec de Ben Laden au Soudan était à l’origine de cette fermeté radicale.
Moi, j’ai nourri d’autres espoirs. Avec deux autres cadres j’ai formé un rassemblement ouvert à tous, afghans ou immigrants. On trouvait-là des algériens, tunisiens, saoudiens, koweïtis, marocains, bosniaques… L’idée ? Celle de la construction d’un pays nouveau, avait fait son chemin et créé un appel d’air. A tel point que des membres d’Al-Qaëda ont rompu leur allégeance au Cheikh Ben Laden pour nous rejoindre dans cette entreprise passionnante. Et le Cheikh ne s’est pas opposé à ces départs. Il disait comprendre ce choix et se montrait disposé à aider ses fidèles qui s’éloignaient de lui. Personne n’a été puni pour forfaiture ou trahison. N’en déplaise à ceux que je vais faire hurler, cet homme, dans sa gouvernance, était d’une grande rigueur et rectitude morale.
J’ai noué d’excellentes relations avec de hauts responsables politiques Talibans, ainsi qu’avec le commandement militaire à Jalalabad et Kaboul. Ce lien permettait à nos requêtes de passer rapidement par Kandahar avec, très souvent, des retours positifs. La collaboration avec les anciens « seigneurs de la guerre » nous était très favorable. Et, même si le wali Hadji Kabir, le préfet, ne nous portait pas dans son cœur, il n’était pas désobligeant. Bien sûr, nous avions notre aile militaire et nos camps d’entrainement, pour se faire respecter et se défendre en cas de besoin.
JMB. par quels moyens cherchiez vous à construire un payx neuf, différent?
D.B. En premier lieu nous nous sommes attaqués à l’éducation. Les Talibans nous avaient facilité la tâche : terrains gratuits et aucune interférence dans le fonctionnement des études. Où les filles étaient tout aussi présentes que les garçons. A ce sujet je n’ai jamais eu la moindre remarque alors que j’étais administrateur de l’Ecole Abdallah Ibn Al Moubarak à Jalalabad. Le bâtiment était neuf, moderne et l’établissement ouvert à tous, nous avions même une élève venue du Pakistan. En attendant des jours meilleurs, nous avons mis nos ordinateurs à la disposition des professeurs et élèves. Là aussi, chez les enseignants, on rencontrait des hommes de toutes nationalités assurant les cours et l’élaboration des programmes. Cette école, sur des images diffusées en 2002 par FR3, je l’ai vue en ruine. Jamais je n’oublierai le zoom de la caméra sur un pan de mur où était inscrit le nom de mon fils cadet. C’était terrible ! D’autant qu’à ce moment, j’ignorais si ma femme et mes enfants, restés en Afghanistan, étaient toujours en vie… Les avions américains avaient tout rasé, donnant ainsi raison à Cheikh Oussama Ben Laden. Quelle haine !
Parallèlement à l’école, nous avons démarré un programme d’installation de puits équipés de pompes à la fois mécaniques et électriques. Tout avançait. Des fonds venus de l’étranger ont permis de financer l’achat de brebis avec la distribution d’une trentaine de bêtes par familles regroupées dans une coopérative. Cette dernière, à son tour, finançant d’autres projets. Sous l’impulsion d’un groupe belge, implanté sur place, avec des associations et des entreprises d’Europe, un projet important allait voir le jour. Il consistait à soutenir les artisans et entrepreneurs afghans en leur allouant du matériel afin de former des jeunes de 15 à 25 ans, par exemple en mécanique auto. Les Afghans sont travailleurs et inventifs et cette dernière aventure était motivante. Nous ne manquions pas de projets, d’idées et de volonté.
Les femmes, nos épouses, avaient aussi leur part et étaient très actives. Elles enseignaient aux adultes afghanes et ouvraient de nombreux ateliers. Il y avait aussi une formation de sages-femmes et d’infirmières de bon niveau. En parallèle, les laboratoires d’analyse, ceux dépistant par exemple la malaria manquaient de tout. Parfois il fallait servir de chauffeur, un jour, alors que je conduisais une sœur vers un atelier, Malika El-Aroud (ndlr : dont le premier mari a participé à l’attentatcontre Massoud), elle m’a demandé avec une grande vigueur d’obtenir plus de moyens pour developper son action en faveur des femmes afghanes… Voilà notre vie à Jalalabad. Mais les projets à Kaboul, Herat, Kandahar avançaient si vite qu’il était nécessaire de partir hors du pays afin de faire la tournée de différents pays où des ministères étaient capables de nous financer, le tout légalement et officiellement !
Chargé de cette mission, dans une première étape, j’ai programmé un voyage aux Emirats, au Koweït, l’Arabie Saoudite étant prévue lors d’un second voyage. Nous voulions demander une aide en nature, du genre matériel, outillage, médicaments à nos investisseurs. Pour joindre l’utile à l’utile, j’ai fait un voyage accompagné d’une mère et de ses trois enfants malades qui devaient être soignés au Maroc. Le but était de faire avancer notre projet d’Emirat Islamique en Afghanistan, rien de criminel mais tout d’humanitaire.
Ce voyage est devenu ma prison. Jusqu’à ce jour où je trace les lignes de cet entretien. Quatorze ans déjà. Passer d’une ambiance de travail et de projets, d’espoirs à une autre qui est celle de l’emprisonnement… C’est indescriptible.
JMB. Qui vous a arrêté, le 29 juillet 2001 lors d’une escale à Abou Dhabi ? Les services secrets Occidentaux étaient-ils impliqués ?
Pour préparer mon voyage j’ai d’abord fait un long stop au Pakistan. Bizarrement les formalités si simples ont été longues et compliquées, comme si j’étais déjà dans je ne sais quel viseur. A Abou Dhabi, lors de mon arrestation, il n’y avait que des arabes. Deux ou trois habillés à l’occidentale et les autres en qamis blancs et lunettes noires. La présence physique et active d’un anglais est certaine et ce dès les premières nuits, les premières tortures. Un homme d’une rudesse et d’une froideur glaciale. Les français, eux, se sont manifestés au bout de quelques jours après le début des tortures. C’était généralement le soir. Ils me posaient des questions banales, cachés derrière une vitre sans tain. Ils me demandaient de compter en français, de décrire des endroits à Paris, à Corbeil… Comme s’ils voulaient vérifier ma « francialité ». Mais j’étais certains qu’ils me connaissaient très bien. Par ailleurs, une certitude, toutes les questions posées par mes tortionnaires ne pouvaient être formulées sans l’appui des services français, ce sont eux qui alimentaient mes bourreaux : les noms de mes amis en France, ceux des gens de ma famille, leurs lieux de vie, les évènements auxquels j’ai participé….
Je suis arrivé à Abou Dhabi à 7 heures du matin. Le douanier ma longuement mis en attente pour « vérifier sur son ordinateur »… Mais il recevait des ordres qu’il tentait de dissimuler sans trop de tact. Avec la famille de mon ami, qui m’accompagnait, nous étions seuls dans le hall. Soudain il nous a autorisés à aller à l’hôtel le temps de cette longue escale.
Le soir nous sommes revenus à l’aéroport et j’étais attendu. En fait cette embuscade avait été dressée dès mon débarquement puisque les policiers ou agents m’ont espionné. Une anecdote. En attendant qu’ouvre le service de police, j’ai fait un tour dans l’aérogare avec les enfants de mon ami. Devant le duty free il y avait une très belle Mercédès rouge, le gros lot d’une tombola et, sans envie, j’ai simplement regardé cette voiture. Et bien sachez que ce simple coup d’œil sur la belle allemande, je l’ai retrouvé dans un livre de Jean-Marie Pontault ancien journaliste à l’Express, et porte-paroles des délires du juge Bruguière sur les plateaux de télévision. Le bouquin, plus faux qu’une fiction, s’intitule « Ils ont tué Massoud ». Pontault allait jusqu’à décrire mes sentiments et mes impressions du moment… C’est fort ! D’où ce chroniqueur tenait-il que j’avais regardé une Mercédès si ce n’est de la bouche de ceux qui m’espionnaient dès cet instant ?
J’ai su plus tard que mon arrestation avait fait du bruit auprès de mes amis en Afghanistan, et que Cheikh Oussama Ben Laden lui-même était intervenu auprès les Emirats Arabes Unis. Un geste qui a pu me desservir plus tard mais que je ne renie pas. D’ailleurs une promesse positive avaient été donnée à mes amis.
C’était sans compter sur les évènements du 11 septembre à New York qui ont tout balayé, moi avec. Voilà que l’on m’accusait d’être un leurre d’Al-Qaëda, un combattant de « La Base » en opération, chargé de faire diversion, d’attirer sur moi l’attention des services secrets pendant que d’autres se mettaient en marche pour l’opération de Manhattan… Bien malgré moi je me suis retrouvé le personnage central d’un roman de John Le Carré. Voilà ce qu’a écrit à mon sujet, un autre journaliste, Roland Jacquard qui se revendique responsable de « l’Observatoire du terrorisme »… Dans son livre, « Les archives secrètes d’Al Qaïda », il consacre deux chapitres à mon aventure. Dévoile des « tractations au plus haut niveau entre le gouvernement Jospin ». Selon Jacquard, « la CIA voulait m’exfiltrer vers Israël où j’aurais été exécuté »…
En réalité, en 1999 et 2000, en France et en Europe des évènements anodins se sont produits. Mais, paranoïa ou justification du service, des gens comme Bruguière ont monté en épingle, c’est-à-dire en complot terroriste, de simples manifestations politiques sur fond d’Islam. Rien de plus. Cette folie « sécuritaire » avait conduit la France à demander l’aide de services amis, du genre CIA. Ces derniers avaient été convaincus qu’il était impératif de me « coincer » à la première possibilité… Au départ, je pense que ces gens-là voulaient obtenir de moi des « informations ». Mais, patatras, dans le contexte du 11 septembre est arrivé l’enfer.
La méthode pour obtenir je ne sais quelles « informations » de moi, c’est-à-dire la torture, était connue et approuvée par tous. Torturer à l’étranger ne représentait aucun risque pour la France… ou le monde « libre et civilisé ». Quant à cet anglais dont j’ai parlé, mon tortureur, je pense qu’il était en poste dans la région. Il parlait arabe même si, étrangement, il était habillé en afghan… J’ai été convaincu que les gens de la CIA étaient là dès le début de mon arrestation. En fait je me suis trompé, je suis sûr qu’ils n’ont rappliqués qu’après le 11 septembre, comme si j’avais quelque chose à voir avec cela ! C’est pourtant l’explosion des « twin towers » qui va me conduire là où je suis encore aujourd’hui, en prison. Sinon, j’aurais été libéré de ce cauchemar d’Abou Dhabi.
Votre dossier pénal indique que vous avez avoué un projet d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis en France. D’où vient cet aveux, et pourquoi le choix de la représentation américaine à Paris ?
En janvier 2001, à Jalalabad, un frère membre d’Al-Qaëda me fît la confidence, autorisée par son commandement, qu’un groupe leur appartenant était déjà en mouvement pour une opération contre « les Américains » ! Il insista sur le conseil d’éviter tout voyage hors d’Afghanistan car les services d’intelligence effectueraient probablement des arrestations élargies. J’ai appris que des « leurres » avaient été dépêchés ou allaient l’être… on évoquait de quarante à soixante opérations d’intox afin de brouiller les antennes des services d’espionnage.
Après l’évènement des Bouddhas de Bamyan, leur dynamitage, Al Mollah Omar et Cheikh Oussama Ben Laden convoquèrent tous les responsables des groupes « non affiliés » présent en Afghanistan. Avec deux sujets à l’ordre du jour. Appeler tous ceux qui n’ont pas prêté serment d’allégeance à la faire auprès du Mollah Omar (c’est à ce moment que Cheikh Docteur Aymane Dhawahiri a rejoint Al-Qaëda et Al-Mollah Omar, pas avant).
Deuxièmement, chaque groupe devait se préparer immédiatement à des mouvements stratégiques de ses troupes pour renforcer la ligne de front sur des points sensibles.
A ces impératifs, nous avons fait valoir notre volonté d’indépendance. Nous avions des arguments dogmatiques et pragmatiques. Il a été convenu que nous restions alliés et frères des commandements Afghans et Arabes de Kandahar, mais pas question d’allégeance. Dans ces circonstances on nous a demandé d’évacuer notre camp militaire de Darwanta pour « des raisons sécuritaires ». Les Talibans nous ont remboursé les sommes investies dans cette structure que nous avons quitté avec beaucoup d’amertume.
Au mois de mai 2001, Cheikh Oussama Ben Laden diffusa un communiqué ouvert à tous, conseillant à toute personne d’éviter de voyager à l’étranger, sous peine d’arrestation arbitraire par les services secrets. Tout m’incitait donc à rester tranquillement à Jalalabad. Mais voilà que le fils cadet de cet ami, avec lequel je partage une grande maison, tombe malade, tout contact avec un produit laitier peut entrainer sa mort. Il fallait que sa femme et ses enfants repartent pour le Maroc. Faute de papiers en règle, mon ami ne pouvait se charger d’accompagner sa famille… J’ai donc décidé de prendre sa place, profitant du voyage pour faire ma tournée d’aide au développement via le Pakistan puis les Emirats. Au Pakistan j’ai été contraint de faire un séjour de trois semaines, plus long que de raison, pour faire mes formalités de voyage. J’ai senti une atmosphère mauvaise, comme si j’étais dans je ne sais quel viseur. Et j’ai lu dans le « Charq al Awsate » que le Départrement d’Etat US avait demandé à son ambassade au Maroc de fermer et à ses ressortissants de quitter le pays ! A croire que les américains redoutaient je ne sais quoi, ou faisaient semblant de craindre une mystérieuse attaque….
JMB. Et c’est en arrivant à Abou Dhabi aux Emirats que vous êtes arrèté?
Exactement. Après des heures de tortures multiples, j’ai proposé un répit, d’accepter d’avouer quelque chose ressemblant à leur projet. Devant leur responsable, formé aux US, j’ai avoué que j’allais effectivement commettre un attentat contre l’ambassade à Paris… Je lui ai dit que les explosifs étaient sur un yacht, je crois à Ajaccio, en tout cas en Corse. Qu’ils étaient dans des emballages de makroutes, baklavas et autres gâteaux d’orient. Et je leur ai donné les noms de mes complices : Renaud Séchan, Enrico Macias, Charles Azenavour, Rabah Dariassa, Khalifi Ahmed…. Pour ces « terroristes » j’ai dû inventer des noms de guerre des « kounia » ou des noms de convertis avec des grades, des rôles et un organigramme L’instinct de survie a fait que j’ai pu répéter ma fable sans me tromper, faire du vrai avec du faux. Le chef, le « Mas Oul », jubilait. Disant à ses sbires « vous voyez, il n’y a pas de coffre impossible à ouvrir » ! Ils m’ont récompensé avec de la viande hachée des frites, de la salade et de la limonade.
Mais, quelques heures plus tard, après avoir fièrement communiqué leur scoop aux espions français, qui ont vite répondu que tout était du baratin et que je n’avais fait que citer des chanteurs, le « Mas Oul » est revenu vers mois furieux : « fils de chien, je vais te dépecer ». La vengeance a été atroce mais, au fond de moi, il y avait un tout petit éclat de rire, celui de m’être payé leurs têtes !
Le 2 octobre 2001, quand j’ai été transféré à Villacoublay puis dans le bureau du juge Bruguière, la surprise continuait d’être au rendez-vous, le roman digne de John Le Carré tournait un chapitre de plus. Tout de go le magistrat me propose un marché. J’accepte de reconnaitre le projet d’attentat contre l’ambassade US et Centre culturel Américain – j’ignore même qu’il existe- et, en retour, je « prends » une condamnation de cinq ans, avec une libération conditionnelle au bout de deux ans et demi, avec beaucoup d’argent et le prestige de l’informateur capital. J’ai refusé le beau projet. Donnant comme argument que je ne voulais commettre aucun attentat et ne souhaitais pas mentir. Le juge a insisté à ce que je considère mon propre intérêt…C’était toujours « non ».
Quelques mois plus tard le même magistrat sans doute avide de se présenter comme celui qui avait sauvé l’ambassade des Etats-Unis, renouvelait sa proposition… C’était encore « non ». Alors il a promis de me lyncher. Il l’a fait.