Pour la première fois, la France a procédé, mardi 5 juillet, au rapatriement de 35 enfants mineurs français qui se trouvaient dans les camps du nord-est de la Syrie, où sont détenues les familles des jihadistes, a annoncé le ministère français des Affaires étrangères.
Pour la première fois, la France a annoncé ce mardi le rapatriement de 35 enfants de jihadistes ainsi que celui de 16 mères. Une décision qui fait suite à de longues et difficiles négociations entre la France et les autorités kurdes qui administrent les régions du nord-est de la Syrie, rapporte notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh.
Environ 160 enfants français et 70 femmes toujours détenus
Il reste environ 160 enfants français et près de 70 femmes adultes toujours détenus dans cette région. La plupart se trouvent dans les camps de Roj et d’al-Hol, dans la province de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, gérés par les autorités kurdes qui ont proclamé l’autonomie de ces régions.
Le camp d’al-Hol abrite, à lui seul, plus de 62 000 personnes, dont les deux tiers ont moins de 18 ans et plus de la moitié moins de 12 ans. Il s’agit d’enfants et de femmes de combattants du groupe État islamique. Les plus nombreux sont les Irakiens, suivis par les Syriens et d’autres nationalités arabes. Mais il y a aussi des milliers d’Européens dont les gouvernements refusent le rapatriement.
La fin d’une politique du « cas par cas » ?
Les autorités kurdes sont sous le feu des critiques en raison de leur gestion de ces prisons à ciel ouvert. Les organisations des droits de l’homme dénoncent une situation sanitaire catastrophique et les services de renseignements occidentaux soulignent le risque d’endoctrinement des enfants par le groupe État islamique, qui continue à faire la loi dans ces camps, où sont commis tous les ans des dizaines de meurtres.
Ce rapatriement des familles des jihadistes constitue un soulagement pour les proches et l’espoir de la fin d’une politique du « cas par cas », espèrent celles dont les proches sont toujours détenus dans le nord-est de la Syrie. Car les dangers qui pèsent sur eux sont multiples, juge Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon 2, notamment pour celles qui montrent des signes de réhabilitation. « Le principal risque, c’est pour les femmes qui sont déviantes par rapport à l’idéologie de l’État islamique, explique-t-il. Elles peuvent se faire égorger dans la nuit par leur sœur qui ne supporte pas qu’elles dévient, car le camp de al-Hol est vraiment sous la coupe de l’idéologie de l’État islamique. »
La crainte d’une déstabilisation régionale et d’une résurgence du groupe EI
Jusqu’à présent, la France avait refusé de rapatrier collectivement ces ressortissants français. Ce changement de politique intervient au terme des échéances électorales, mais aussi alors que le groupe État islamique en Syrie se renforce et que la Turquie menace de lancer une offensive militaire contre les Kurdes dans le nord-est de la Syrie, précisément où sont détenus ces femmes et enfants. Pour Fabrice Balanche, le contexte international rendait ce rapatriement nécessaire. « Ce qui peut se passer bientôt, parce qu’il y a des bruits de bottes à la frontière avec le président turc qui menace d’une intervention militaire contre les Kurdes, c’est qu’une intervention militaire turque déstabilise la région, que le camp ne soit plus surveillé, que l’État islamique en profite pour faire une razzia contre ce camp pour libérer tout le monde. »
Une situation qui a pu influencer le Quai d’Orsay, estime-t-il. Depuis plusieurs années, les autorités kurdes, qui ne veulent plus avoir à gérer ces camps, font également pression pour le rapatriement des personnes qui y sont détenues.
Émilie König placée en détention provisoire à son arrivée
Parmi les rapatriés, se trouvait Émilie König, l’une des figures les plus connues de la mouvance jihadiste française. Dès son arrivée à Paris, elle a été mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle et placée en détention. « Je suis très fatiguée », a soufflé dans le box cette brune de 37 ans au teint gris, vêtue d’une polaire grise et d’un pantalon noir, après l’annonce du délibéré par la juge des libertés et de la détention. La magistrate, à qui Émilie König avait dit vouloir retrouver une « vie de femme », lui a indiqué que les investigations allaient se poursuivre « pour retracer son parcours ».
L’ONU l’avait placée sur sa liste noire des combattants jihadistes les plus dangereux : fille de gendarme, Émilie König grandit à Lorient, dans l’ouest de la France. Après une scolarité normale, elle se convertit à l’islam au contact de son premier mari d’origine algérienne. Elle apprend l’arabe, se fait appeler Samra et entame sa radicalisation au sein d’un groupe islamiste de la ville de Nantes.
En 2010, Émilie König tente de distribuer, près de la mosquée de Lorient, des tracts qui appellent au jihad. Deux ans plus tard, au printemps 2012, elle laisse ses deux enfants en France et part rejoindre son nouveau compagnon en Syrie où elle donne naissance à trois autres enfants.
La jihadiste apparaît ensuite régulièrement dans des vidéos de propagande du groupe État islamique dans lesquelles elle appelle à attaquer les institutions françaises et les femmes de soldats français. Elle est arrêtée en 2017 par les forces kurdes.
De retour en France depuis mardi, Émilie König, aujourd’hui âgée de 37 ans, dit vouloir pleinement coopérer avec la justice française dans l’espoir de revoir ses enfants.
*Source : RFI