Jusqu’au 2 octobre prochain, l’Institut du Monde Arabe propose une expérience exceptionnelle en réalité virtuelle. Elle nous embarque, sac au dos et casque intégral, dans l’Égypte ancienne, au cœur de la pyramides de Khéops.
Un article de Sandra Joxe
L’Institut du monde arabe est réputé pour ses grandes expositions patrimoniales. Le voici nous faisant entrer de plain-pied dans un espace virtuel époustouflant –dans et sur la pyramide de Khéops !
Pour ce faire il a fallu faire confiance à une nouvelle race d’aventuriers – non pas des archéologues explorateurs de tombeaux enfouis sous le sable mais des informaticiens et autres innovateurs high-tech – chaperonnés par la société Emissive, spécialiste en « réalité virtuelle ».
Des années de travail, une technologie qui rencontre le goût de l’IMA pour les expositions immersives (comme celles sur l’Orient Express, chroniquée dans Mondafrique – ou sur le Canal de Suez) et son souci d’ouverture aux nouvelles technologies tout comme au renouvellement des formes de présentation et de compréhension de l’art ou du patrimoine. Mission accomplie… et réussie.
Vertigineux Spectacle
L’exposition – ou plus exactement l’expédition – Khéops est une première : accès à des déambulations fabuleuses, entrée dans la chambre de la reine inaccessible en réalité, escalade (virtuelle et vertigineuse) du sommet de la pyramide, découverte des horizons de la ville du Caire, d’aujourd’hui comme à l’époque antique.
Une technologie de pointe sur des bases scientifiques confirmées par de grands égyptologues. Une incitation à la connaissance sensorielle et ludique qui devrait donner envie aux spectateurs « aventuriers » d’une heure à peine de sauter dans un avion et de se rendre sur place en Égypte pour entrer en contact avec une réalité tangible.
En attendant il suffit de venir à l’IMA : cela vaut le déplacement… à une condition toutefois : ne pas être trop sujet au vertige ou au mal de mer, timorés s’abstenir ! Car le visiteur-spectateur a beau savoir qu’il n’arpente, pendant 45 minutes, qu’une très rassurante salle de L’IMA (espace de 500 m2), au sol plan, à quelques mètres au dessus du niveau de la Seine… le voilà parachuté sur le sommet d’une des Merveilles du Monde, souvent en équilibre sur de vieilles pierres millénaires à la poursuite d’une déesse chat qui jongle avec le vide.
Aux portes du Caire
On craignait un peu le super-spectacle à la Disney land mais non, la qualité des commentaires, la précision des reconstitutions et la poésie de l’expérience séduit, malgré les grimaces trop appuyées et les jeux de mots inutiles des personnages contemporains (la guide Mona et le gardien) vite oubliés grâce à la déesse chatte !
Le voyage commence aux portes du Caire, lorsque le soleil diffuse ses derniers rayons sur la majestueuse pyramide de Khéops, la plus haute d’Égypte et la seule des sept merveilles du monde antique parvenue jusqu’à nous. Réunis au pied du monument, les visiteurs – leurs avatars – sont accueillis par Mona, guide virtuelle et trop bavarde qui mènera les 45 minutes de visite. Le groupe débute son excursion en longeant la façade Nord, puis pénètre alors comme par magie dans le tombeau et découvre la grande galerie, véritable prodige de l’architecture égyptienne antique. Puis le corridor conduit à une antichambre jouxtant la « chambre du roi » et son sarcophage. Aux côtés de Mona – et d’un chat tigré virtuel qui vient virtuellement se frotter aux mollets virtuels des touristes virtuels – on s’enfonce progressivement dans les entrailles du monument (claustrophobes de tous les pays, unissez vos courages) pour finalement accéder à la «chambre du roi».
Ici pas de peintures multicolores comme à Louxor, ni même de hiéroglyphes : l’austérité des murs et du plafond impressionne et révèle surtout les dimensions colossales des blocs de pierre qui composent la pyramide. On se sent tout petit, tout fragile, d’autant que le lourds sac à dos que l’on vous a sanglé sur les épaules à l’entrée de l’expo commence à peser et surtout… à chauffer. Nous nous sentons donc miraculeusement transportés en Egypte et plus du tout à Paris 75005 un jour de juin pluvieux voire frisquet. On s’y croirait. Ne manquent que les poils du chat virtuel pour faire éternuer les avatars des autres visiteurs allergiques dont on croise les silhouettes errantes.
Au centre, trône le sarcophage du pharaon et c’est alors que surgit Bastet, une chatte majestueuse parée de somptueux bijoux. Tout droit sortie du panthéon égyptien, la déesse raconte l’histoire de son temps, celui des pharaons.
Une tournure magique…
Pas question de « spoiler » le grand spectacle, plein de suspense et de rebondissements, qui se poursuit à l’intérieur puis au sommet de la pyramide pour finalement voguer sur le Nil à bord d’une barque solaire semblable à celle découverte en 1950 dans la nécropole. Le navire remonte le fleuve et le temps. Les visiteurs naviguent jusqu’au « temple de la vallée », également nommé le « temple bas » et équipé d’un débarcadère, 4 500 ans plus tôt. On assite alors aux rites funéraires pratiqués sur la dépouille du roi Khéops – embaumement et momification – avant d’assister à la cérémonie funéraire du pharaon : c’est probablement la partie la plus émouvante du voyage : celle qui nus fait entendre les chants, les voix supposées des vivants accompagnant le mort dans son dernier voyage. Ne manque que le parfum des onguents et des fumées d’encens.
Les voyageurs sont ainsi témoins – voire des participants occultes – des pratiques et des croyances des anciens égyptiens. On attend avec impatience la visite de la vallée des rois.
Prouesse technologique
« L’horizon de Khéops » est le fruit d’années de recherches et de recueils de données sur le site archéologique de Gizeh.
Créées par la société Emissive, les Expéditions immersives sont des expériences en réalité virtuelle proposant une exploration du patrimoine culturel. Elles propulsent le visiteur au cœur d’un site patrimonial, d’une époque, d’une œuvre ou d’un monument – dernier-né : « Éternelle Notre-Dame » (Notre-Dame de Paris, à l’espace Grande Arche de La Défense). Equipés d’un casque de réalité virtuelle et d’un sac à dos contenant un ordinateur, les visiteurs se déplacent librement et vivent des sensations réalistes, avec l’illusion de voyager dans l’espace et dans le temps, immergés dans des reconstitutions historiques minutieuses et fidèles chacun des autres participants est visualisé sous forme d’une silhouette-avatar, l’originalité du format résidant dans l’utilisation de la réalité virtuelle dans de grands espaces, et dans l’aspect collectif de la visite.
Égyptologue émérite, archéologue et épigraphe spécialisé dans l’étude de l’architecture mortuaire, notamment la nécropole de Gizeh, Peter Der Manuelian a collaboré à la conception de cette visite virtuelle et à la reconstitution historique des édifices et des rituels. Il est le garant du propos scientifique de « L’Horizon de Khéops » et revendique l’introduction de nouvelles technologies dans ses recherches et dans son programme d’enseignement. Il considère notamment les technologies immersives 3D comme un outil pour les recherches archéologiques. De son côté, Christiane Ziegler, qui a longtemps été directrice du département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre, apporte son concours à la présentation du projet au public.
En rendant son harnachement à la sortie de l’expo le visiteur est rassuré : non seulement il s’est bien amusé, mais il a appris des tas de choses. Il peut retrouver la terre ferme, la grisaille parisienne et comme il manque un sympathique petit bistro cairote où rêver à toutes ces merveilles, il n’a plus qu’à foncer réserver un charter Paris – Le Caire : rien ne vaut le voyage, le vrai voyage en Egypte.
Sandra Joxe