Une série documentaire-fleuve de plus de cinq heures sur Arte, qui débute ce mardi soir, raconte pour la première fois la guerre d’Algérie vue des deux côtés du conflit. Un exercice rare de mémoire partagée, soixante ans après les accords d’Evian
Une chronique d’Olivier Toscer
En ces temps là, au début des années 50, les villages algériens s’appelaient Mac-Mahon, Victor-Hugo, Jemmapes ou Strasbourg. Pour les Européens, l’Algérie était un département français comme un autre et « il allait de soi que le cerveau des indigènes ne fonctionnait pas de la même façon que celui des européens. Comme algérien, je croisais la femme de ménage et les vendeurs de rue, mais c’est tout. On était dans notre camp, ils étaient dans le leur ».
Et puis le jour de la Toussaint 1954, deux enseignants français qui voyageaient en car tombent sous les balles des hommes de « l’Organisation spéciale », fondée par Ahmed Ben Bella. Brahim Halimi, le conducteur du car de Biskra, qui témoigne dans le film, ne le comprend pas tout de suite. Mais la guerre d’Algérie, la longue et sanglante marche vers l’indépendance, vient de débuter.
À hauteur d’hommes et de femmes
Soixante ans après, elle fait l’objet d’une série documentaire de toute première qualité diffusée sur Arte lors de deux soirées exceptionnelles, début mars. Tout au long des six épisodes de la série, quelque 160 heures d’entretiens racontent, à hauteur d’hommes et de femmes, la guerre telle qu’ils l’ont vécue.
Ils sont civils algériens, Français d’Algérie, appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes du FLN et du MNA, combattants de l’ALN, intellectuels et étudiants, réfractaires, employés de l’administration française en Algérie, membres de l’OAS, supplétifs de l’armée française, porteurs de valises… Leurs paroles, toujours chargées d’émotions, éclairent, cette série, parmi les plus ambitieuses jamais produite par la télévision, et racontant par le menu la guerre d’Algérie comme l’on dit à Paris ou la guerre de Libération comme préfère l’évoquer à Alger.
Certains – messalistes, membres de l’OAS ou encore représentants de l’État français – ne s’étaient encore jamais exprimés publiquement. « Nous voulions que les témoins interrogés nous immergent dans leur expérience quotidienne de la guerre, pour la raconter par le bas », précise la co-autrice de la série, Raphaëlle Branche. L’objectif était de privilégier la diversité des points de vue. Les réalités historiques sont connues mais elles sont ici racontées par des gens ordinaires et cela permet de confronter les différences de perception ».
C’est ce qui fait la valeur de ce travail passionnant autour d’un traumatisme qui n’a pas fini d’irriguer la psyché aussi bien française qu’algérienne.
Oeil pour oeil
Malgré les morts de la Toussaint 1954, « personne ne parle de guerre, juste de hors-la-loi », se souvient un pied-noir. L’armée, elle, veut réagir vite et fort. C’est la « pacification », un euphémisme synonyme d’Etat d’urgence, de déplacement massif de population et… de 10 000 premiers morts côté algérien. « Dès cet instant, les français se radicalisent », constate la psychiatre Alice Cherki alors étudiante à Alger qui pointe que même le Parti communiste a voté les pouvoirs spéciaux donné aux autorités coloniales. Le FLN ne fait pas non plus de sentiments, massacrant la population des villages loyalistes. Œil pour œil…
Bien sûr, en parallèle la France met sur place ses « sections administratives spécialisées » (SAS) où les militaires jouent les assistances sociales dans les bleds les plus reculés. Mais, dans le même tems, elle torture aussi à la gégène pour faire face à une déferlante d’attentats à la bombe fomentés par les « terroristes ». Le récit face caméra de ces exactions par les victimes d’alors qui ont survécus depuis, font froid dans le dos.
Le général de Gaulle au pouvoir
Et puis le général de Gaulle prend le pouvoir à Paris. « C’était Dieu qui venait nous sauver », se souvient le pied-noir Gérard Rosenweig, futur tueur de l’OAS. Sauf que Dieu se paie de mots, laisse truquer par l’armée les premières élections « un homme, une voix », et avalise le plan Challe de nettoyage du djebel. « En général, il n’y avait pas de prisonnier », admet un ancien militaire, reconnaissant pour la première fois les exactions des forces françaises les plus féroces comme celle du sinistre commando Georges composé d’anciens « fellaghas » retournés.
La série documentaire n’occulte rien non plus sur les violences qui s’emparent de la métropole où le FLN mène, de front, la guerre à la France et aux partisans plus modérés du MNA de Messali Hadj. Abdelkader K. un tueur FLN relate, avec une froideur étonnante, soixante ans après, ses assassinats ciblés entre Paris et Marseille.
Guerres fratricides
Vient ensuite l’entrée en scène de l’OAS, dont les rangs grossissent après avril 1961 et la tentative ratée de putsch des généraux, ayant échoué à rallier les 400 000 hommes du contingent à leur cause. La guerre d’Algérie devient une guerre fratricide entre Français mais également entre Algériens.
À l’approche de la victoire, les premières tensions se font en effet jour entre le gouvernement provisoire (GPRA) et les combattants (ALN), ces derniers reprochant aux premiers leur tiédeur. Cette différence d’approche annonce la future confiscation de l’Indépendance par les combattants de terrain et l’instauration d’un régime fondamentalement militaire depuis soixante ans. Pudique sur le sort des harkis, dont les supplices après l’indépendance sont à peine évoqués, la série s’achève sur le bilan clinique de la guerre : environ 400 000 algériens et 30 000 européens auront trouvé la mort dans cette macabre guerre coloniale.
Malgré une voix du commentaire, assurée par la jeune comédienne Lina Khoudry, parfois un peu désinvolte et une présentation elliptique des témoignages (seul le nom des témoins apparaît à l’écran, sans indication de leur statut ou de leur fonction) ce film de plus de cinq heures va faire référence sur cette partie dramatique de l’histoire des deux pays. Au-delà des mythes entretenus et des a priori tenaces, le récit croisé des événements, souvent poignants, surprenants parfois, tissés avec d’extraordinaires archives dont plusieurs inédites, dénoue les fils emmêlés d’une histoire qui encombre encore les mémoires et nourrit les passions des deux côtés de la Méditerranée.
« En guerre(s) pour l’Algérie » de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, 6×52 min, sur Arte le 1er et le 2 mars à 20h50 et sur Arte.tv jusqu’au 29 avril 2022
Les premiers négationistes de l’Algerie independante sont les Oulemas musulmans, Ben Bella et son copain Boukharouba.
Une vision négationniste qui s »efforce d’expliquer l’inexplicable.