» Carnaval politique « , » kermesse électorale « , « marché aux votes »… Les enchères sont ouvertes pour qualifier le scrutin du 6 mars.
A la veille du premier tour des présidentielles, le Bénin s’est transformé en une arène politique très fragmentée où des personnalités politiques se positionnent pour le partage du pouvoir. Et ce, indépendamment de toute fidélité aux partis.
En tout, quarante huit candidatures avaient été déposées en janvier dernier. Trente trois sont finalement aujourd’hui en lice, soutenues ou chahutées par plus de deux cent formations politiques.
Luttes intestines
Pourquoi un tel morcellement ? Divisé sur la personnalité de Lionel Zinsou, dauphin du président Thomas Boni Yayi, le parti au pouvoir, les Forces saurais pour un Bénin émergent (FCBE) a éclaté. Une multitude de candidatures indépendantes se sont déclarées. Loin d’avoir fait consensus, l’arrivée de Lionel Zinsou dans la course électorale a agi comme un puissant révélateur des guerres intestines qui minent le parti.
Les manifestations de novembre 2015 revendiquant la candidature du jeune ministre de l’Economie et des Finances, Komi Kountché, l’une des étoiles montantes de la politique béninoise, en furent l’un des indices. A cette occasion, les frémissements encore timides d’un mouvement de revendication issu de la jeunesse béninoise se sont fait sentir. Jusqu’à ce que Komi Kountché se rallie finalement à Lionel Zinsou. « Des promesses ont du lui être faites pour calmer le jeu » soutient un ancien FCBE.
Controversée, la candidature de l’ancienne plume de Laurent Fabius, nommée Premier ministre par Boni Yayi en juin 2015, a par ailleurs entrainé des démissions en cascade au sein du parti au pouvoir. Pour faire face à l’éparpillement des voix, celui-ci a du forger des alliances avec d’autres partis : la Renaissance du Bénin (RB) de Léhady Soglo, le maire de Cotonou, et le Parti du renouveau démocratique (PRD) d’Adrien Houngbedji, actuel président de l’Assemblée. Deux formations qui « ne supportent pas les barons des FCBE » confie un homme politique béninois.
L’avènement des « clubs d’électeurs »
Autre spécificité de cette campagne, les grands opérateurs économiques, Patrice Talon et Sébastien Ajavon, financeurs traditionnels des partis politiques, ont choisi cette fois de faire cavaliers seuls. Le divorce consommé entre le magnat du coton Patrice Talon et le président Boni Yayi depuis que ce dernier l’a notamment accusé de tentative d’empoisonnement, a poussé le businessman à défier son ancien allié. « S’il gagne, ce ne sera ni plus ni moins qu’une vengeance » estime le porte parole d’un candidat.
Quant à Sébastien Ajavon, le chef du patronat béninois, ses ambitions de pouvoir déplaisent depuis longtemps à Yayi Boni qui, en 2013, avait fait actionner le fisc contre sa société agroalimentaire, la Comon-Cajaf, condamnée à verser 32 milliards de franc CFA. Aujourd’hui candidat, Ajavon déguste sa revanche en ralliant notamment à sa cause de grandes figures du FCBE comme le député Rachidi Gbadamassi, ex maire de Parakou, dans nord du pays où il est extrêmement influent. Un joli trésor de guerre qui, si Ajavon n’est pas élu, pourrait lui servir de monnaie d’échange dans le cas de futurs arrangement avec le nouveau président.
A couteaux tirés dans la course au fauteuil présidentiel, les principales têtes d’affiches de la compétition pourraient en effet se rallier au gagnant afin de négocier l’attribution de postes. Une habitude bien connue du monde politique béninois où chacun cherche d’abord à se faire une place au soleil. « Comme toujours, déplore un avocat, le vrai enjeu de cette campagne reste le partage du gâteau national, surtout pas les idées. »
Une réalité dont l’atomisation du paysage politique béninois, propice à la préservation des intérêts particuliers, témoigne parfaitement. Après deux décennies de parti unique (1972-1991) sous la coupe de l’ancien président Mathieu Kérékou, la Conférence nationale, véritabe « success story » politique béninoise, avait décidé la mise en place d’un « multipartisme intégral » posant des conditions très permissives pour la création des partis. Depuis, les ambitions personnelles ont littéralement explosé et les formations politiques se sont multipliées. « Au Bénin, un parti est désormais considéré comme un fonds de commerce, on peut le vendre ou le donner en nantissement. C’est devenu un instrument de monnayage des postes politiques, un club d’électeurs » regrette Abraham Zinzindohoué, ancien ministre de la justice et ex président de la Cour suprême béninoise.
Conséquence, l’apparente vivacité de la démocratie béninoise lors de ces présidentielles reflète avant tout la faiblesse des partis dont aucun n’a de véritable ampleur nationale. D’où un recours systématique aux alliances. « Le symptôme le plus emblématique de cette faiblesse est qu’aucun chef de parti n’est aujourd’hui candidat. Les rassemblements se font autour d’individus » relève Abraham Zinzindohoué.
L’argent roi
A cet émiettement du système partisan s’ajoute une opacité totale sur les financements. « L’argent est le moteur de la politique. Les partis au Bénin ont le droit de recevoir des financements privés. Mais il n’y a absolument aucune traçabilité » déplore un avocat.
Selon un rapport publié en juillet 2015 par l’association béninoise « Droits de l’Homme, Paix et Développement » et financé par la Fondation américaine Open Society, la Chambre des comptes de la Cour suprême en charge de contrôler les comptes et les dépenses des partis politiques n’accomplit pas efficacement son rôle.
« Ce qui laisse la voie ouverte à toutes les formes de financement occulte par telle ou telle puissance étrangère, politique, commerciale, voire religieuse ou lié au blanchiment d’argent, au terrorisme ou au narco trafic « . A titre d’exemple, le rapport rappelle que le président Boni Yayi avait reçu la somme de 2,1 millions de dollars comme pots de vin de la part de la société américaine de télécoms « Titan » dans le cadre de la campagne présidentielle de 2001, et ce, en vue de s’assurer le maintien de sa collaboration techniques et commerciale avec la société publique béninoise de télécommunications. (…).
« Ces largesses ne sont pas le plus souvent gratuites et sont usuellement faites en vue de susciter la bienveillance des vainqueurs des élections dans le cadre de la conclusion de marchés publics dont ils auront la charge au cours de leur mandats. »
Un manque de transparence qui, dans le contexte actuel, a donné lieu à d’interminables jouxtes verbales entre les candidats. A l’opacité sur la provenance des fonds qui alimentent la campagne des challengers de Lionel Zinsou, ces derniers lui opposent l’abus des moyens de l’Etat.
De fait, depuis le début de la campagne, le président Boni Yayi met tout en oeuvre pour faire triompher son poulain. Au point de prendre en charge personnellement la supervision de sa communication ou de réserver à Lionel Zinsou un accès privilégié à la télévision nationale, l’ORTB. Sur sa page Facebook, l’avocat béninois de Patrice Talon, Joseph Djogbenou est allé plus loin. En pointant l’existence d’un conflit d’intérêt entre les fonctions exercées par l’actuel ministre des finances dénoncé comme étant « le colistier officieux » et « le directeur de campagne » de Lionel Zinsou, Djogbénou dénonce la mise à disposition des deniers publics au profit de Lionel Zinsou.
A la veille du scrutin du 6 mars, le « carnaval électoral » ressemble de plus en plus à une arène romaine. Et les dagues sont bien affutées.