La diaspora algérienne prise en otage par Belkacem Zoghmati

« Tout algérien »  portant préjudice, à l’extérieur du territoire, « aux intérêts de l’Etat » ou  » à l’unité nationale », pourra désormais perdre sa nationalité. Une véritable première, concoctée par le ministre de la Justice, Belkacem Zoghmati.

Il est très délicat pour un État de procéder à la déchéance de la nationalité d’un de ses citoyens, comme l’a montré en France la désastreuse proposition de François Hollande. Il est rare également d’user d’une telle procédure à très grande échelle. Or ce qu’aucun gouvernement n’a fait, du moins en temps de paix, le ministre algérien de la justice, Belkacem Zoghmati, l’a osé, en menaçant de déchéance de nationalité tout Algérien de l’étranger contestataire. Le contenu de ce projet loi est inédit dans les annales judiciaires internationales. 

Un parcours sinueux

La loi scélérate de Belkacem Zoghmati contient des délits aux contours indéfinis telles que la collaboration avec un « Etat ennemi »,  sans que ce dernier soit désigné, l’adhésion à une « organisation terroriste » ou simplement son « apologie », une accusation aussi grave que totalement floue.

Ce projet est rédigé à la hâte par un ministre qui a plus brillé par son allégeance que par ses compétences. Cheville ouvrière d’un système aux abois, le patron du ministère de la Justice nous rappelle, par son initiative inique, ses anciens états de service. Telle que la conférence de presse où il exhiba le mandat d’arrêt contre le PDG de la Sonatrach et protégé de Bouteflika, Chakib Khellil, après avoir été instrumentalisé par  le tout puissant patron du DRS (services algériens), le général Toufik.

Récupéré après la disgrâce de Toufik par le général Gaïd Salah, le même Zoghmati exécuta sans état d’âme les purges contre la bande  de Said Bouteflika, frère de l’ex vice président. Son excès de zèle sera clairement affiché lorsque sur une vidéo qui circula sur les réseaux sociaux, Gaïd Salah lui demanda « d’aller jusqu’au bout » dans la mission qu’il lui avait confié d’embastiller l’ensemble de la « bande » (« Al Issaba »), qui entourait les frères Bouteflika.

L’objectif de notre ministre de la Justice, personnalité politique au parcours sinueux, estt de mettre au pas les résidents algériens à l’étranger, ceux là même qui manifestent chaque dimanche à Paris place de la République. Cette punition collective est un formidable aveu de faiblesse. Élu voici un an, le  président Tebboune avait pourtant tenté de faire un pas vers la diaspora et promis d’annuler l’article 51 de la précédente constitution, imaginé sous Bouteflika, qui interdit aux binationaux d’accéder à des postes de responsabilités. Ce temps là est révolu. Dans la répression qui pourrait s’abattre sur les mobilisations populaires, il faut éviter que la diaspora à l’étranger ne constitue une base arrière redoutable pour populariser les luttes à venir 

Paris, Londres, Montréal, Genève, Berlin, la diaspora manifeste un soutien constant aux  Algériens de l’intérieur, relais médiatique et vitrine impitoyable d’une révolution pacifiste et exemplaire que les services des ambassades algériennes, qui ont perdu de leur savoir faire, n’arrivent plus à discréditer.

L’ex DRS, le retour

Depuis la disparition de Gaïd Salah en décembre 2019 qui tenait encore les rennes du pouvoir d’une main ferme, la pandémie mondiale du covid19 a donné aux services algériens de sécurité un répit d’une année. Ce temps a été mis à profit  pour réintégrer les anciens éléments du DRS, qui avaient été mis à l’écart depuis l’éviction du général Toufik en 2015. 

La nomination du colonel Mohamed Chafik Mesbah, le 20 Avril 2020, à la tête de la direction générale de l’Agence algérienne de coopération Internationale pour la Solidarité et le Développement est un marqueur très fort de cette reprise an main. Autre pion,  le Général Mansour Amara alias Hadj Redouane qui fut le directeur de cabinet du redoutable général Mohammed Mediene, alias Toufik, dix sept années durant met au service de la Présidence ses réseaux auprès des services étrangers

La direction de la communication, de l’information et de l’orientation (DCIO) du ministère de la défense a mis en place une « veille médiatique » afin de renforcer « le front intérieur », selon l’expression du porte-parole du Ministère de la Défense,  le Général Boualem Madi lors d’une conférence tenue en décembre 2020. 

Seulement voila, ces hauts cadres dont l’expertise est réelle ont été réintégrés au petit bonheur des promotions aléatoires, mais sans la poigne de leur chef historique, désormais éloigné du pouvoir réel 

Les réseaux sociaux, l’ennemi

Le constat des services de sécurité est implacable : il ne suffit plus de contenir la pression populaire  à l’intérieur du pays. L’élément moteur de la contestation se trouverait à l’extérieur. Une véritable machine médiatique a pris place à travers quelques « stars » des réseaux sociaux comme le youtuber Amir DZ dont l’impact est considérable.  Du coup, tout résident vivant en dehors du pays se retrouve à la merci de ce nouveau projet de loi que n’importe quel juge algérien peut interpréter à sa façon. 

Faute de trouver une solution politique au dénouement de la crise, les services engagent un bras de fer avec leurs citoyens vivant à l’étranger à travers un texte de loi aux contours flous et opérationnels. L’aide des services de sécurité européen et canadiens, qui connaissent une forte présence algérienne sur leur sol, est sollicitée.  

« Les généraux à la poubelle »

Au final, le bilan reste maigre. Le Hirak à l’étranger n’a pas été fracturé entre « démocrates » et « islamistes », une vieille  stratégie des années noires. La recette aujourd’hui datée n’est plus porteuse de succès. « Aujourd’hui, tout le monde ou presque en Algérie va à la mosquée, fait ses prières et affiche, à sa façon, un sursaut identitaire religieux, estime un ancien ministre algérien. L’Islam n’est plus vraiment  une ligne de fracture, une majorité de la population se reconnait dans une forme de nationalisme, teinté d’islamisme, de modernité, et de reconnaissance des libertés publiques » ». 

La peur est en train de changer de camp.  » Mourabarates Irhabia » ( « les généraux à la poubelle »), ont répondu, face à la répression,  les manifestants de ces derniers jours. Les récentes révélations des youtubeurs, exhibant des documents classés secret défense sur des réunions tenues au ministère de la Défense ont porté un coup fatal à la cohésion de l’institution militaire. D’autant plus qu’on découvrait, à travers ces témoignages, que le moral des troupes était atteint, que beaucoup de cadres démissionnaient de l’institution militaire et que de hauts gradés et leurs familles possédaient de nombreux biens à l’étranger alors que le pays s’enfonce dans la crise.Malgré les moyens colossaux, la direction du renseignement militaire (DCSA), ultime bras armé du système sécuritaire, n’a pas pu mettre fin aux fuites qui provenaient du cœur de l’institution. 

La diaspora dans le collimateur

Dans un pays digne d’un état moderne, la diaspora est souvent perçue comme une opportunité de développement. Des moyens humains et matériels sont mis à sa disposition. Or c’est le contraire qui s’effectue en Algérie, où elle perçue comme une menace. Naturellement, les opérations d’élimination ciblée d’antan, type l’assassinat de Mecili en plein Paris, sont passées de mode. Le pouvoir algérien s’engage dans une traque sur les réseaux sociaux où il tente de faire d’un droit malmené un allié objectif. 

Le système judiciaire algérien perd ainsi toute crédibilité auprès des instances internationales. D’autant plus que la Justice algérienne n’a jamais poursuivi de nombreux officiers supérieurs liés à la corruption qui ont fui le pays. Ceux là n’ont jamais été inquiétés, qu’il s’agisse de l’ex patron de la gendarmerie Belksir ou de l’ex chef de la 1er région militaire Chentouf, pourtant recherchés. Le général Nezzar, pourtant condamné à une lourde peine de vingt ans de prison, est rentré au pays par un avion présidentiel.  Quant à Abdelwahab Bouchouareb, l’ancien ministre de l’industrie de Bouteflika protégé par Emmanuel Macron,  et à Ouled Kadour, ex PDG de la Sonatrach, ils vivent en France sans être menacés de se voir déchoir de leur nationalité.

 

 

Algérie, le parcours sinueux de Belkacem Zeghmati

1 COMMENTAIRE

  1. Ce système pourri arrive en fin de cycle, il se décompose de l’intérieur telle une gangrène en phase terminale;c’est le processus naturelle des choses. Les algeriens aujourd’hui demande non seulement le départ de tout le système mais réclament aussi des comptes à cette mafia.Le spectre de poursuites pénales devant le TPI semble une hypothèse plus que jamais plausible. Reste aujourd’hui pour les puissances étrangères de se démarquer de ce pouvoir mafieux afin de garantir une stabilité dans la région……Revenir à l’évidence avant que le pire ne se déchaîne!!!

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