Les arrestations de membres de groupes armés, signataires de l’Accord de Khartoum, par la MINUSCA, ouvre une nouvelle période pleine d’incertitudes. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
À la suite des derniers évènements sanglants qui ont affectés les régions du nord-est et du sud-est, la MINUSCA ne s’est pas contentée de s’interposer entre les belligérants. Coup sur coup, à Ndélé puis à Obo, la MINUSCA a interpellé quelques combattants rebelles, soupçonnés de graves atteintes aux droits de l’homme et au droit humanitaire, susceptibles d’être ensuite accusés de crime contre l’humanité. A Ndélé, neuf rebelles du Rassemblement patriotique pour le renouveau de la Centrafrique (RPRC), dont le « général » Azor Kalité, et à Obo, neuf autres de l’Union pour la paix (UPC) ont été livrés à la Cour Pénale Spéciale ( CPS) de Bangui. Cette initiative de la MINUSCA annonce probablement un changement de stratégie qui pourrait contrarier les signataires de l’Accord du 6 février 2019.
Le RPRC et l’UPC en ligne de mire
Sans méconnaître les responsabilités du FPRC de Nourredine Adam et de Abdoulaye Hissène, déjà sous sanctions internationales, il est établi que les deux groupes armés du RPRC et de l’UPC sont aussi très impliqués dans les récents événements sanglants de Ndélé et de Obo.
Si le groupe armé constitué par l’UPC, à majorité peulh, sous la direction d’Ali Darass Mahamat, est bien identifié pour étendre, manu militari, son territoire dans le sud-est, en revanche, le RPRC, à majorité Goula, sous la direction militaire de Zakaria Damane et la direction politique de Herbert Gontran- Djono-Ahaba, actuel ministre de l’énergie et du développement des ressources hydrauliques, n’apparaît pas sous son appellation dans les communiqués officiels du pouvoir de Bangui et, parfois curieusement, de la MINUSCA. Le RPRC s’efface discrètement sous la formule neutre et désormais inexacte de » deux factions du FPRC ». Il est clair que le RPRC a pris son autonomie du FPRC et le combat sans ménagement. Le RPRC ne fait plus partie du FPRC. Le ministre Herbert Gontran Djono-Ahaba du RPRC est bien signataire de l’Accord du 6 février 2019, en sa qualité de leader du RPRC, comme Ali Darass Mahamat l’est aussi pour le compte de l’UPC. Les anciennes alliances politiques, comme celle de l’ex Seleka, ont laissé la place aux affrontements intercommunautaires opposant notamment les Rounga aux Goula et leurs alliés et les Peulh aux chrétiens/animistes, voire aux Zandé, dans le Haut-Mbomou.
Des arrestations en porte-à-faux
On devine l’embarras des thuriféraires de l’Accord du 6 février 2019 et du Pacte entre les autorités de Bangui et quatorze groupes armés, dont le RPRC et l’UPC, devant les crimes commis à Ndélé et Obo par les combattants de ces deux groupes armés, bien insérés dans le pouvoir actuel de Bangui et adoubés comme tels par l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne et les partenaires bilatéraux du G5+.
Des combattants du RPRC du ministre Herbert Gontran Djono-Ahaba, de leurs alliés du MLCJ de Gilbert Toumou Deya, ministre délégué chargé des relations avec les groupes armés et du PNRC de Arnaud Djoubaye-Abazene, ministre des transports et de l’aviation civile, ainsi que des combattants d’Ali Darass Mahamat, ministre-conseiller à la Primature, sont désormais dans les mains de la justice centrafricaine.
Quelle sera la réaction de ces deux groupes armés qui avaient jusqu’à maintenant la faveur des autorités de Bangui ? Le RPRC et l’UPC accepteront-ils la fin de l’impunité en filigrane de l’Accord du 6 février 2019 ? Les autorités de Bangui verront-elles d’un bon œil ces arrestations qui contreviennent à leur stratégie de pacification avec les groupes armés ?
Vers la fin de l’impunité
Alors que le processus électoral, en vue des élections présidentielle et législatives de fin 2020, suscite un vif débat politique dans la société centrafricaine, ces arrestations de combattants, peu sensibles l’avenir du pays, remettent en cause le principe de l’impunité que les groupes armés croyaient acquis. Manifestement, la MINUSCA entend désormais mettre hors d’état de nuire les responsables de crimes contre les populations. Il est probable que les menaces pesant sur les financements de l’ONU, notamment pour les opérations de maintien de la paix, comme celle de la MINUSCA, ne sont pas étrangères à cette stratégie pro-active. De même, le report désormais probable des élections de fin 2020, ne permettra plus de s’accommoder du statu quo.
La Cour Pénale Spéciale de Bangui va donc pouvoir accomplir la mission qui lui a été confiée, depuis 2015. En aura-t-elle les moyens et toute la liberté pour l’instruction et les jugements de ces affaires appelées à se multiplier ? D’ores et déjà, on peut se demander si le siège à Bangui de cette cour hybride est encore approprié. Deux leaders anti-balaka sont actuellement dans les mains de la Cour Pénale Internationale de La Haye. La question de leur transfèrement auprès de la Cour Pénale Spéciale de Bangui peut-être posée comme celle, de l’éventuel voyage inverse, des nouveaux justiciables, vers la Cour Pénale Internationale de La Haye. En Centrafrique, la fin de l’impunité constitue une nouveauté qui s’annonce pleine d’embûches.