Mohamed Morsi (volet 1), la mort à petit feu de l’ancien président

Président égyptien démocratiquement élu en 2012 avant d’être évincé, un an plus tard, par un coup d’état militaire, Mohamed Morsi est mort brutalement le 17 juin dernier alors qu’il comparaissait devant la cour criminelle du Caire.

Voici le premier volet du portrait écrit par Rabha Attaf

LA MORT A PETIT FEU DU PRESIDENT MORSI

Le premier président d’Égypte élu démocratiquement est mort. Le 17 juin dernier, alors qu’il comparaissait devant la cour criminelle du Caire pour une énième accusation farfelue d’espionnage, Mohamed Morsi s’est soudainement effondré dans la cage des détenus, spécialement insonorisée pour les procès politiques. Il venait de lire un discours dans lequel il contestait la régularité de son procès et demandait à rencontrer son avocat. Le micro qu’il tenait était contrôlé par le juge qui pouvait l’interrompre à tout moment.

Mohamed Morsi devait conclure son intervention en récitant un poème à l’adresse des Égyptiens. Une sort d’épitaphe sur la tombe qui serait la sienne. 

Ni visites, ni autopsie

Selon des témoins oculaires, Mohamed Morsi est resté inanimé sur le sol de la cage durant au moins 25 minutes, sans que des médecins présents dans la salle d’audience ne soient autorisés à lui porter secours. Son décès fut constaté à l’hôpital et aucune autopsie n’a été pratiquée pour en déterminer la cause.

Ironie du sort, sa mort est survenu deux semaines à peine avant le 6ème anniversaire de sa destitution par l’armée, un an après son élection. La seule surprise vient du fait qu’il soit resté en vie aussi longtemps, malgré les conditions dégradantes et particulièrement inhumaines de sa détention, dénoncées régulièrement par Amnesty International et Human Rights Watch. Ces deux ONG et le Comité des droits de l’homme de l’ONU demandent désormais une enquête impartiale et minutieuse.

Depuis son arrestation, Mohamed Morsi était en effet détenu à l’isolement total et sous haute sécurité dans l’annexe agricole de la prison de Tora au Caire ; dormant à même le sol, interdit de visite familiale -excepté deux fois en novembre 2013 et en juin 2017- et de ses avocats. Six ans d’incarcération durant lesquels l’ex-président était mal nourri, privé de soins et coupé du monde.

Le refus de soin

Son état de santé s’était fortement dégradé. Morsi était atteint de diabète, de problèmes hépatiques et d’insuffisance rénale. Il avait aussi perdu l’usage de son œil gauche. Le 8 juin 2017, l’équipe de défense de Morsi avait déposé, en vain, une plainte auprès du procureur général pour demander son transfert dans un établissement de santé privé pour examen, faisant écho aux préoccupations réitérée par Morsi lui-même lors de ses comparutions devant le tribunal en août 2015, en juin 2017 après être tombé durant deux jour dans un coma diabétique, puis encore en mai dernier.

L’ex président considérait ces privations comme une stratégie délibérée pour le tuer à petit feu. Un rapport alarmant, rendu public en mars 2018 par une commission de parlementaire britanniques, concluait d’ailleurs : « «Le refus d’un traitement médical de base auquel il a droit pourrait entraîner sa mort prématurée.»

42 mots en page intérieure

L’annonce étouffée de sa mort fut étouffée; 42 même mots en page intérieure dans les principaux journaux du pays, aucune mention de son titre de président.

Des milliers de ses partisans se sont pourtant réunis discrètement, à travers le territoire égyptien mais aussi dans les prisons, pour faire la prière des morts, tandis que l’enterrement de Mohamed Morsi avait lieu précipitamment le lendemain de son décès -en catimini à l’aube et sous haute surveillance- au cimetière de Nasr City, et non dans sa ville de naissance comme l’avait demandé sa famille.

Seule une dizaine de proches étaient présents et aucun journaliste n’a été autorisé à assister à la cérémonie.

Dans le prochain volet de notre enquête, nous reviendrons sur l’acteur du printemps arabe que fut Mohamed Morsi

Rabha Attaf, grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-OrientAuteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19