Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, aurait voulu, en venant à Paris vendredi, corriger le couac causé par l’absence d’ officiels américains lors de la grande manifestation républicaine de dimanche. Ces gesticulations masquent les désaccords profonds entre le président Obama et la France sur la question du terrorisme. « Notre population musulmane, a déclaré le président américain, n’a pas de problème à se sentir américaine ».
On a beaucoup glosé sur l’absence de Barak Obama, ou d’un représentant de poids du gouvernement américain, en tête de la manifestation de dimanche dernier, aux côtés de François Hollande et de plusieurs dizaines de chefs d’état ou de gouvernement du monde entier. On l’a présenté comme un couac, un raté que John Kerry, le chef de la diplomatie US, allait vite faire oublier en donnant « une grande accolade » à la France lors de son passage vendredi à Paris. Effectivement, le très francophile John Kerry a multiplié les gestes d’affection, les mots de compassion à l’égard de ses « amis » français. Il en a tant fait, lors de sa journée passée à Paris, qu’il a donné l’impression de surjouer, comme dans un film de série B.
« Il s’est excusé», a lâché Laurent Fabius, ce que l’intéressé a aussitôt démenti devant une caméra de télé, laissant entendre que son absence était totalement délibérée.
Couac ou véritable fâcherie?
«Notre principal avantage est que notre population musulmane n’a pas de problème à se sentir américaine. […] Il y a certaines parties de l’Europe où ce n’est pas le cas. Et c’est probablement le plus gros danger auquel l’Europe doit faire face », vient de balancer Barak Obama lors d’une conférence de presse commune avec David Cameron, qui, comme tous les dirigeants britanniques, est le doigt sur la couture quand les Américains ont des difficultés de compréhension avec certains leaders européens. Mais, « nous continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider la France à rendre justice.»
C’est ce qu’on appelle un service minimum en matière de solidarité. Ainsi, les Etats-Unis, champions du communautarisme, viendrait faire la morale à la « patrie des droits de l’homme » sur la manière d’intégrer ses minorités. On peut facilement rétorquer que l’Amérique est mal placée pour donner des leçons en lui rappelant que c’est elle qui a semé le chaos dans le monde arabo-musulman par ses interventions en Irak, en Afghanistan, par son appui à Ben Laden dans les années 80, par son activisme en Syrie, l’intervention libyenne étant à mettre au crédit ou au débit du couple franco-britannique.
L’épine syrienne
Quelle mouche a donc piqué Obama ? On trouve la réponse dans les récentes déclarations de François Hollande, qui, à deux reprises cette semaine, a déploré le manque d’initiative de la communauté internationale en Syrie. Par communauté internationale, il désigne, sans les nommer, les Etats-Unis. « Terrible leçon de la tragédie syrienne quand la communauté internationale tarde trop à faire ses choix, prendre ses décisions, » a martelé le chef de l’État (…) Terrible leçon de la tragédie syrienne quand on voit qu’elle s’est répandue dans beaucoup de pays, » a-t-il poursuivi, en référence notamment au Cameroun et au Nigeria où Boko Haram « s’inspire des mêmes conditions d’effroi ».
Le président français n’a toujours pas digéré le lâchage soudain d’Obama fin août 2013 alors que la France et les Etats-Unis étaient prêts à déverser un tapis de bombes sur la Syrie d’Assad. Alors que les Rafale français étaient sur le point de décoller, le chef d’état américain avait laissé un message nocturne à Hollande pour lui annoncer qu’il allait finalement demander l’autorisation de son Congrès avant de se lancer dans une telle opération Ce qui avait tué dans l’œuf l’offensive annoncée.
Les désaccords actuels entre les deux pays ne se limitent pas à la Syrie. Les militaires français qui ont déjà trois guerres sur les bras (Mali, Centrafrique, Irak), poussent à une intervention en Libye. Les Américains, qui achèvent de se désengager en Afghanistan après avoir tenté de se sortir du guêpier irakien, ne sont pas chauds. Ils n’interviennent pas non plus de manière extrêmement ferme au Nigeria, leur zone d’influence traditionnelle, pour faire cesser les exactions de Boko Haram. Et d’une manière générale, laissent les Frenchies se dépatouiller dans leur guerre en Afrique contre le terrorisme.
Il n’est pas sûr non plus que les récentes initiatives de François Hollande, quand il rencontre Poutine ou quand il envoie le porte-avions Charles de Gaulle en croisière au Moyen-Orient, sans en demander l’autorisation préalable, aient été du goût d’Obama. On peut saluer la volonté d’Hollande de s’émanciper de la tutelle américaine, très pesante depuis que la France a intégré l’Otan. On peut aussi s’en inquiéter. A-t-il aujourd’hui les moyens de sa politique ? Il les aurait s’il avait un soutien matériel et financier de l’Europe. Ce qui hélas, n’est pas le cas.