Abderrahmane Mebtoul: Fehrat Abbas, ce grand militant

L’action et le message de Ferhat Abbas, disparu voici 40 ans, restent d’une brûlante actualité, pour une Algérie qui doit concilier efficacité économique et justice sociale.

Abderrahmane Mebtoul est universitaire, expert international.

Ferhat Abbas (1899-1985), de son vrai nom Ferhat Mekki Abbas est né à Taher dans la wilaya de Jijel le 24 août 1899 et est décédé le 24 décembre 1985. Les analyses et propositions de cet homme de tolérance et de dialogue, sont d’une brûlante actualité. La relecture de son action militante et de ses Mémoires peut être très instructive pour l’Algérie de 2025.

Ferhat Abbas est un militant de la première heure de la cause nationale. Diplômé docteur en pharmacie, il s’établit à Sétif où il devient rapidement une importante figure politique de par son statut de conseiller général en 1934, conseiller municipal en 1935 puis délégué financier.Ferhat Abbas préconisait de réaliser la symbiose entre l’efficacité économique et une profonde justice sociale grâce à un État puissant régulateur qui engage un dialogue permanent entre les différentes forces politiques, sociales, culturelles et économiques.

Il adhère à la Fédération des élus des musulmans du département de Constantine en tant que journaliste. Il devient le promoteur de l’Amicale des étudiants musulmans d’Afrique du Nord, dont il est vice-président en 1926-1927, puis président de 1927 à 1931, date à laquelle il transforme l’Amicale en association. Il est également élu vice-président de l’Unef lors du congrès d’Alger de 1930.

Le 14 mars 1944 il crée l’association des Amis du manifeste de la liberté (AML) soutenu par Messali Hadj et le cheikh El Ibrahimi de l’Association des oulémas. En septembre 1944, il crée l’hebdomadaire Égalité (avec pour sous-titre Égalité des hommes – Égalité des races – Égalité des peuples).

Les émeutes de Sétif: l’Indépendance en marche

Au lendemain des émeutes de Sétif de mai 1945, tenu pour responsable, il est arrêté et l’AML est dissoute. Libéré en 1946, Ferhat Abbas fonde l’Union démocratique du manifeste algérien (Udma). En juin, le parti obtient onze des treize sièges du deuxième collège à la seconde Assemblée constituante et Ferhat Abbas est élu député de Sétif.

Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l’Algérie, il démissionne de l’assemblée en 1947. Il lance le 1er novembre 1954 les premières actions armées qui marquent le début de la « Révolution algérienne ». Dès le 20 août 1956, à l’issue du congrès de la Soummam, il devient membre titulaire du CNRA (Conseil national de la révolution algérienne), puis entre au CCE (Comité de coordination et d’exécution) en 1957.

Ferhat Abbas devient ensuite président du premier gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) à sa création le 19 septembre 1958, puis du second GPRA, élu par le CNRA en janvier 1960. Il démissionne le 15 septembre 1963 pour des raisons à la fois politique et économique.

C’était un intellectuel de haut niveau, dont les écrits et prises de position lui vaudront un emprisonnement à Adrar entre 1963 et mai 1965 ; assigné à résidence entre mars 1976 et le 13 juin 1978. Il publie en 1980 ses Mémoires dans Autopsie d’une guerre puis en 1984 L’Indépendance confisquée. Il y dénonce la bureaucratisation de la société et la corruption.

Or, nous sommes en 2025 et ce sont toujours ces problèmes qui font l’actualité en Algérie. Il croyait fermement au primat de la connaissance sur la distribution de la rente. Auteur de nombreux ouvrages et publications. Dans Le Jeune Algérien, il dénonce 100 ans de colonisation française et insiste sur l’« algérianité »:  Dans La nuit coloniale, il écrit: « Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Arabo-Berbères qui ont fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux. »

Les leçons pour l’avenir

Les objectifs stratégiques sont la refondation de l’État algérien conciliant modernité et authenticité afin de redonner confiance entre l’État et les citoyens. L’économie de marché à vocation sociale doit remplacer l’étatisme bureaucratique et le capitalisme sauvage.

Ferhat Abbas préconisait de réaliser la symbiose entre l’efficacité économique et une profonde justice sociale grâce à un État puissant régulateur qui engage un dialogue permanent entre les différentes forces politiques, sociales, culturelles et économiques. Il favorise la participation citoyenne à la gestion de la Cité en faisant la promotion du savoir et de la femme. Il encourage toutes les libertés et est très attaché aux vertus de la morale.

L’Algérie a besoin que tous ses enfants se regroupent au sein d’un même objectif : le développement économique et social. Personne n’a le monopole du patriotisme. Nous devons éviter le monologue et tolérer les idées d’autrui. Ferhat Abbas est un exemple à suivre.

 

 

 

Pour aller plus loin : un entretien de Ferhat Abbas à la chaîne française Antenne 2, en 1980 (Archives INA).