
La trajectoire politique de Trump est audacieuse, spectaculaire, mais fondamentalement insoutenable. Ses projets — sérieux ou absurdes — consomment une énorme énergie politique, non parce qu’ils fonctionnent, mais parce qu’il ne peut admettre qu’ils n’ont jamais été conçus pour durer. Aux élections à mi mandat de 2026, les Républicains ont le choix soit de le faire voler jusqu’au crash, soit de couper les moteurs pour changer de cap.
La marque politique de Donald Trump repose sur la disruption, la confrontation et le mouvement perpétuel. Mais à l’approche d’une nouvelle campagne, il ne porte pas de nouvelles idées audacieuses, mais les vieux combats qu’il refuse d’abandonner. De l’immigration à l’Iran, des purges bureaucratiques à Gaza et à l’Ukraine, Trump est piégé dans ce que les économistes appellent le dilemme du Concorde : un engagement irrationnel dans une entreprise en échec, simplement parce qu’on y a déjà trop investi.
Pour Trump et son mouvement, ce n’est pas qu’un schéma répétitif : c’est une philosophie de gouvernance. Et cela pourrait façonner les élections de mi-mandat de 2026, en posant un choix pour les Républicains : prolonger les projets inachevés de Trump, ou bien pivoter vers un conservatisme pragmatique. Comme le Concorde, les projets de Trump pourraient continuer à voler s’il disposait de temps illimité et de ressources infinies. Mais le temps presse, et la piste d’atterrissage se rétrécit.
Les guerres qu’il avait promis de terminer
Trump avait juré de mettre fin aux « guerres éternelles » de l’Amérique. Aucune n’a cessé — et certaines, comme celle avec l’Iran, ont même empiré sous sa surveillance. Le résultat n’a pas été un retrait, mais une incohérence : un président qui déclara la guerre à la guerre, mais perdit le contrôle de la paix.
Trump s’est montré plus virulent que n’importe quel président moderne à l’égard de la Chine. Pourtant, aucune doctrine de confinement cohérente n’a vu le jour. Les tarifs douaniers ont été imposés à l’aveugle, sans coordination stratégique ni vision économique. Les alliances ont été fragilisées. La posture militaire est restée confuse. Ce prétendu « pivot vers l’Asie » s’est transformé en une collection de griefs et d’extraits sonores.
Aujourd’hui, la Chine est plus audacieuse. La base électorale de Trump se montre plus agressive dans ses propos. Mais le pivot reste une politique fantôme : trop précieuse pour être abandonnée, trop confuse pour être menée à terme.
Ukraine, l’OTAN et le faux visage de l’isolationnisme
Le discours de Trump flirte avec l’isolationnisme, en phase avec les instincts anti-guerre de la base MAGA. Mais ses actes sont ambivalents : il a fait pression sur l’Ukraine pour des avantages politiques tout en autorisant une aide létale. Aujourd’hui, il est coincé entre les Républicains pro-MAGA, désireux d’abandonner Kiev, et les néoconservateurs, qui exigent plus de soutien. Il refuse de trancher, faisant juste assez pour apaiser les deux camps, sans satisfaire aucun.
C’est la logique du Concorde : changer de cap risquerait l’humiliation, continuer risquerait la révolte interne. Résultat : la campagne plane sans direction.
L’affrontement actuel avec l’Iran révèle la contradiction la plus dangereuse de Trump. Tout en séduisant la droite anti-interventionniste, il a permis à Netanyahu de mener une stratégie maximaliste — offrant à Israël une liberté inédite d’action à Gaza, en Syrie, au Liban et contre l’Iran, souvent en contradiction avec la politique américaine. Se réclamant de la fin des « guerres sans fin », il a sous-traité l’escalade à Israël, transformant la puissance américaine en bouclier et en épée.
Aujourd’hui, alors que le conflit s’étend, Trump répète les objectifs de guerre d’Israël sans proposer de stratégie américaine cohérente. Les néoconservateurs y voient une opportunité ; sa base y voit un piège. Coincé entre ses impulsions, Trump ne produit qu’une inertie prolongée — prolongeant une posture guerrière qu’il avait promis d’abandonner, comme le Concorde poursuivant un vol devenu irréversible.
Les Accords d’Abraham sans l’Arabie Saoudite
Trump célèbre les Accords d’Abraham comme une percée historique. Mais l’objectif central — la normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite — ne s’est jamais concrétisé. Après la guerre à Gaza, Riyad est devenu encore plus réticent. Pourtant, Trump revendique la victoire. Mais sans Riyad, les Accords ne forment pas une architecture de paix — juste un squelette diplomatique. Au lieu de s’adapter, l’univers trumpien s’accroche à un trophée jamais conquis.Sur le front intérieur, la guerre de Trump contre le soi-disant « État profond » a repris de plus belle, sous la forme de projets comme Schedule F, un plan visant à purger la fonction publique fédérale des voix « déloyales ». Les Républicains modérés, même les anciens alliés, sont désormais qualifiés de traîtres.
Trump ne cherche pas une simple réorientation politique — mais une ingénierie idéologique par tri de loyauté. L’objectif : refaçonner le Parti républicain en instrument d’allégeance personnelle. La dissidence est disqualifiante ; l’obéissance, la seule valeur. Sa guerre contre la bureaucratie fédérale — une machine construite sur des générations — exigerait plusieurs mandats. Il la traite comme une livraison rapide. L’écart entre ambition et faisabilité ne cesse de s’élargir.
Immigration : du mur aux déploiements militaires
Le mur à la frontière n’a jamais été achevé. Le système d’asile est toujours brisé. Désormais, Trump promet des déportations massives, des expulsions dirigées par l’armée, et des décrets qui ont déjà conduit à des déploiements de la Garde nationale dans des États comme la Californie, où des troubles liés à l’immigration ont provoqué des urgences.
Il ne s’agit plus de résoudre une crise — mais de venger un symbole. Comme le Concorde, cela n’a pas besoin de fonctionner : il suffit que ça continue à voler pour préserver le mythe.Le mouvement de Trump s’alimente d’une guerre culturelle contre les élites — universités, départements DEI, multinationales. Les procès et décrets s’accumulent, les récits se recyclent. Mais les institutions ciblées tiennent bon.
Ce ne sont pas des campagnes gagnables — ce sont des rituels de ressentiment, des machines à mouvement perpétuel qui définissent l’identité MAGA. S’arrêter serait reconnaître la défaite.
Le théâtre : le Groenland, Panama et le 51e État
Certains projets trumpiens n’étaient jamais censés être sérieux — mais ils comptent tout de même. Acheter le Groenland, reprendre le canal de Panama, annexer le Canada — autant d’idées évoquées, défendues à moitié, jamais reniées. Pourquoi ? Parce que la grandiloquence fait partie de la marque. Ces idées entretiennent le mythe d’omnipotence. Et comme le Concorde, elles sont élégantes, coûteuses, et définitivement clouées au sol.Les élections de mi-mandat de 2026 ne détermineront pas seulement le contrôle du Congrès. Elles diront si le Parti républicain continue à faire voler les projets inachevés de Trump — ou s’il décide enfin de les abandonner.
De Gaza à Pékin, de la frontière au fisc, les combats de Trump sont devenus moins des politiques que des récits à préserver. Mais l’électorat — surtout les indépendants et les conservateurs des banlieues — ne voit peut-être plus un perturbateur. Il voit un homme entouré des ruines qu’il refuse de dégager.
Les guerres inachevées commencent à ressembler à des défaites. Et les campagnes qui ne se posent jamais finissent par s’écraser.