La prise de pouvoir en Guinée par Mamadi Doumbouya a suscité un grand espoir au sein du peuple guinéen ; et celui-ci était d’autant plus grand et permis que le nouveau chef de l’Etat avait érigé au rang de ses chantiers prioritaires, l’exigence de justice tel qu’il l’affirme dans son discours d’investiture du 5 septembre 2021 : « L’indépendance et l’impartialité de la justice constituent, à mes yeux, j’y insiste, un impératif afin d’instaurer la crédibilité de notre Etat et de recréer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire de notre pays». On en est loin
Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne).
En décembre 2024, le célèbre écrivain guinéen Tierno Monénembo faisait état de rumeurs persistantes sur sa prochaine arrestation par le pouvoir de Conakry. Le prix Renaudot (2008) est réputé pour son franc-parler et sa dénonciation depuis des lustres, des différents régimes politiques autoritaires qui répandent dans la population de son pays, stupeurs et tremblements dès l’accession à l’indépendance de la Guinée le 2 octobre 1958 : « Les réseaux sociaux m’apprennent que de source sûre, je serai l’objet d’un projet d’enlèvement. Est-ce vrai? Est-ce faux? Le proche avenir le dira (…) Ceci dit, nous sommes en Guinée, cette prison à ciel ouvert où depuis 1958, nul n’est à l’abri de la brutalité du pouvoir. Je n’ai pas peur. Les Guinéens n’ont plus peur. Plus aucun Guinéen n’a droit à la peur (…) S’ils me tuaient, ce serait un honneur pour moi de mourir comme sont morts Fodéba Keita et Diallo Telli ».
La Guinée, une prison à ciel ouvert

La Guinée peut être considérée comme l’une des plus grandes déceptions des indépendances africaines. Le pays d’Ahmed Sékou Touré est rentrés dans l’histoire comme un de ceux qui, dans l’incrédulité générale, ont dit « NON » en 1958 au projet du général de Gaulle d’une Union Française, dans le sillage de la Conférence de Brazzaville de février 1944, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Pour le leader guinéen, à l’instar de leaders souverainistes charismatiques africains tels que Ruben Um Nyobe au Cameroun ou Patrice Emery Lumumba dans l’ex-Congo Belge, la souveraineté des Etats africains ne pouvait s’entendre dans un cadre normatif et institutionnel qui perpétuerait de manière déguisée la tutelle coloniale. Une telle mise en coupe réglée dans le cas spécifique de la Guinée de Sékou Touré, serait revenu à dénier aux jeunes Etats africains pourtant formellement indépendants, la capacité à construire des Etats modernes et viables au sein desquels les citoyens vivraient « à l’abri de la peur et du besoin ».
Ironie de l’histoire, plus de six décennies plus tard, les Guinéens ont-ils jamais vécu dans les différents régimes qui se sont succédé depuis Sékou Touré, dans des républiques véritables, dans des Etats au sein desquels les droits des citoyens sont préservés de l’arbitraire et de l’injustice ? Il y’a lieu d’en douter.
Ahmed Sékou Touré, l’un des chantres du panafricanisme, dont nul ne peut d’ailleurs douter de la sincérité de son projet politique, a paradoxalement fait de la Guinée une prison à ciel ouvert, tant et si bien qu’au plus fort de la répression policière dans ce pays et de l’embastillement à tour de bras de comploteurs supposés ou réels contre son régime, son pays a battu le triste record de revendiquer la plus grande diaspora africaine en exil forcé, mais aussi l’une des plus brillantes.
Quand on lit le constat désabusé de Thierno Monenembo, on a bien du mal à réaliser que nous sommes en Guinée en 2024, après les massacres du 28 septembre 2009 dont les prévenus ont été reconnus coupables le 31 juillet 2024, à l’issue d’un méga procès qui a tenu en haleine toute la Guinée et la communauté internationale.
Il n’est pas superflu de relever que ce procès qui a vu des anciens dignitaires des forces de défense et de sécurité ainsi que des personnalités politiques de premier plan, au premier rang desquels l’ex chef de la junte militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, condamnés à de lourdes peines de prison, s’est déroulé sous la présidence de l’actuel chef de la junte, le général Mamadi Doumbouya.
Initiée sous la présidence d’Alpha Condé, cette action en justice pour crimes contre l’humanité, alors qu’elle était encore à l’instruction, n’a pas empêché l’ex-opposant historique devenu président, Alpha Condé, de s’illustrer par des actes de répression contre des populations civiles qui s’opposaient à son coup d’Etat constitutionnel afin de briguer un troisième mandat.
Ce précédent judiciaire historique, diffusé en direct par les médias guinéens, sans précédent en Afrique après le procès de l’ancien chef de l’Etat tchadien Hissène Habré, était supposé avoir une vertu pédagogique et moralisatrice en ce sens qu’il dissuaderait ceux des gouvernants qui seraient tentés répondre par des actes de barbarie aux revendications légales et légitimes de leurs concitoyens.
Des espoirs déçus
Rétrospectivement, on est en droit de s’interroger sur les raisons des dérives que l’on observe actuellement en Guinée. Le premier pilier de la démocratie à faire les frais de la vague de répression actuelle aura été le monde médiatique. Quelques mois seulement après son accession au pouvoir, le pouvoir militaire actuel a procédé à des tentatives de mise en coupe réglée de plusieurs médias. Le point culminant de ce bâillonnement de la presse aura été l’interdiction pure et simple de certains médias, à telle enseigne que certains en sont venus à regretter l’ère Condé.
Or, faut-il le rappeler, dans un régime militaire, fut-il de transition, où la constitution est suspendue, les principales institutions sont dissoutes, les forces politiques mises sous l’éteignoir, la presse demeure l’un des rares contre-pouvoirs contre l’arbitraire et pour apporter aux citoyens les lumières nécessaires pour juger de la bonne marche de la transition en cours. Seule une parole publique libre par le canal de médias libres, certes dans le respect des lois qui régissent le régime de transition et la République, pourrait instaurer une obligation de reddition des comptes des gouvernants envers les gouvernés.
Réduire au silence les médias les plus en vue, ou susciter une atmosphère de terreur et d’autocensure, dissuaderait non seulement les professionnels des médias, mais aussi les citoyens à faire valoir leurs droits dans l’espace public.
La société civile dans le viseur
Cette pente déclinante et inquiétante qu’emprunte la Guinée depuis la prise de pouvoir par les militaires le 5 septembre 2021, est également observable au niveau de la société civile. Des pratiques répressives que les Guinéens croyaient révolues sont de nouveau d’actualité. Des enlèvements de leaders d’opinion au vu et au su de tous, des détentions arbitraires sans garanties de justice, reviennent chargés de gros nuages sombres le ciel des libertés et de la démocratie en Guinée. On peut rappeler notamment l’enlèvement le 9 juillet 2024 de deux opposants emblématiques dans le pays, Foniké Menguè et Billo Bah. Ils sont tous les deux membres du Front national de défense de la Constitution (FNDC), ce regroupement civique qui est à l’origine d’une série de manifestations en 2019 et 2020 pour protester contre le troisième mandat présidentiel d’Alpha Condé.
Or, la charte de transition peut être considérée à juste titre comme moderne et avant-gardiste quant à la protection des droits et libertés des citoyens.
En son Chapitre IV intitulé « Des libertés, devoirs et droits fondamentaux », cette Charte stipule en son article 8 : « Les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens dans les conditions et les formes prévues par la loi» ; en son article 10 : « La personne humaine est sacrée. Toute personne a droit au respect de son intégrité physique et morale, de son identité et à la protection de son intimité et de sa vie privée». En son article 11 : « Nul ne peut faire l’objet de tortures, de peines ou de traitements cruels, dégradants ou inhumains ». En son article 12 : « Nul ne peut être arrêté, inculpé, ni détenu que dans les cas prévus par la loi promulguée antérieurement à la commission de l’infraction qu’elle réprime ».
Violation manifeste de la charte
Force est de constater pour le déplorer que les nombreux acteurs de la société civile, leaders d’opinion aujourd’hui embastillés, disparus ou persécutés par les forces de sécurité, le sont manifestement en violation de ces généreux et nobles principes que proclame pourtant la charte de transition.
Plus récemment, certains leaders politiques ont été quasiment exclus du jeu politique et des échéances politiques à venir, lorsqu’ils ne sont pas contraints à l’exil, alors que l’une des missions que s’était assignées le régime militaire de transition, était l’organisation d’élections véritablement inclusives.
Prétextant assainir le paysage politique, les autorités militaires ont annoncé mi-mars la suspension de 28 formations politiques, dont le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) et l’Union des forces républicaines (UFR), respectivement dirigés par Alpha Condé et Sidya Touré, tous deux en exil. En revanche, les activités de l’UFDG, principale force d’opposition dirigée par Cellou Dalein Diallo, peuvent se poursuivre. À une seule condition: l’organisation de son congrès sous 45 jours pour éviter de subir le même sort que les autres partis précités.
Chaque prise de décision du nouveau pouvoir apparaît comme une péripétie d’un agenda caché qui semble renvoyer aux calendes grecques les promesses d’une démocratie apaisée en Guinée.
L’éternel recommencement
Comment expliquer ce perpétuel hiatus depuis 1958 entre la proclamation de principes nobles et une gestion obscurantiste et autocratique du pouvoir d’Etat, dans laquelle se vautre chaque nouveau pouvoir, depuis Ahmed Sékou Touré, sans que jamais les Guinéens puissent entrevoir durablement le bout du tunnel ?
Même Alpha Condé, pourtant l’un des avocats d’un Etat africain moderne et démocratique dans ses jeunes années étudiantes, au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) a été créée en 1950, après les congrès de Lyon ( avril 1950 ) et de Bordeaux ( décembre 1950 ) n’a pas résisté à l’hubris du pouvoir et a quitté piteusement la scène, après avoir allègrement dévoyé les valeurs panafricanistes de liberté et de dignité dont il s’était fait le chantre.
La question essentielle qui taraude aujourd’hui l‘esprit des Guinéens concerne la fin de la transition en cours et le moment des échéances électorales au cours desquelles ils pourront choisir librement leurs dirigeants politiques, y compris au plus sommet de l’Etat.
Voici bientôt quatre années que ce moment crucial de la vie politique se fait attendre, et au regard du cours actuel des événements, rien ne laisse présager qu’il est imminent.