Côte d’Ivoire : la guerre de l’ombre d’Alassane Ouattara avec Tidjane Thiam

Selon la lettre confidentielle « Africa Intelligence », sans doute le media le mieux informé à Paris sur l’Afrique, qui passe au crible les rapports du président Alassane Ouattara et de son principal opposant Tidjane Thiam à sept mois de l’élection présidentielle, le chef d’état ivoirien s’attèle à faire le vide autour du leader du parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) tandis qu’à l’international, il repousse discrètement toute médiation susceptible de le rapprocher de l’ancien directeur général du Crédit Suisse.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Le président ivoirien rechigne à rencontrer son opposant parce qu’il le juge déloyal.

Alassane Ouattara n’a pas envie de « fraterniser » avec Tidjane Thiam. À sept mois de l’élection présidentielle, le numéro un ivoirien a déjà repoussé les missions de bons offices de l’ex-président français Nicolas Sarkozy, son ami de trente ans, tout comme la discrète intervention d’Emmanuel Macron qui visait à rapprocher les deux hommes, estime Africa Intelligence dans sa dernière livraison sur la Côte d’Ivoire. Car aux yeux des deux personnalités françaises, Ouattara et Thiam ont des profils proches et complémentaires.

Le président ivoirien a en effet longtemps travaillé dans la finance internationale avant d’achever sa carrière au Fonds monétaire international (FMI). Quant à Tidjane Thiam, l’une de ses dernières fonctions est le poste de directeur général de l’ex-Crédit Suisse même s’il se dépeint volontiers non pas comme un banquier mais comme un ingénieur. Il a d’ailleurs été formé à la prestigieuse Ecole Polytechnique de Paris.

Thiam et Ouattara ne se sont revus qu’en mars 2024 dans le cadre des préparatifs des obsèques de l’ancien président du PDCI, Konan Bédié décédé le 1er août 2023 ; ce qui a l’air d’inquiéter sérieusement le chef de l’opposition ivoirienne qui, selon le confrère, tente également de se rapprocher de son épouse Dominique Ouattara qui aurait déjà joué, par le passé, un rôle d’interface entre lui et Ouattara.

Ouattara s’est senti trahi

 Des sources dignes de foi assurent que Tidjane Thiam a pu se faire établir le passeport diplomatique qu’il possède actuellement parce qu’il avait promis à Ouattara de rentrer en Côte d’Ivoire pour militer au sein du parti présidentiel, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). En conséquence, le dirigeant ivoirien se préparait à lui confier un poste au sein de son cabinet lorsque Tidjane Thiam a choisi de prendre la tête du PDCI.

De là vient la colère de Ouattara qui ne veut pas par avoir à envisager de faciliter l’éligibilité de celui qui est devenu, de fait, son principal opposant. Thiam a en effet entrepris de renoncer à sa nationalité française le 7 février dernier pour mettre fin à la pression qui pèse sur son éligibilité.

Avant qu’il ne prenne cette décision, des rumeurs avaient fuité dans plusieurs médias, y compris Jeune Afrique très bien informé par des sources ivoiriennes proches du pouvoir, faisant état de sa double nationalité alors qu’au terme de l’article 55 de la Constitution de la Côte d’Ivoire, le candidat à l’élection présidentielle doit être de nationalité ivoirienne à titre exclusif. Tidjane Thiam ayant acquis la nationalité française en 1987 par naturalisation, il lui faudrait probablement le coup de pouce du président Alassane Ouattara pour être rétabli dans sa nationalité ivoirienne.

Thiam, chef du nouveau collectif de l’opposition

L’opposition ivoirienne exige des garanties en vue de la Présidentielle

Mais Ouattara ne s’irrite pas seulement des pressions à feu doux de ses amis. Plusieurs de ses anciens collaborateurs ont aussi tenté de basculer dans le camp de son opposant. Parmi les plus cités figuraient le nom de l’ancien secrétaire général de la présidence, Abdourahmane Cissé, ainsi que Philippe Serey-Eiffel. L’un avait été limogé de son poste de secrétaire général de la présidence dans des conditions encore obscures aujourd’hui, tandis que le second avait été chargé, au début des années 2010, des affaires économiques et des infrastructures avant que ses relations ne deviennent glaciales avec le chef de l’Etat ivoirien.

Le 10 mars dernier, Tidjane Thiam a pris la tête de la Coalition pour l’alternance pacifique en Côte d’Ivoire (Cap-Côte d’Ivoire), un regroupement de partis d’opposition composé du Mouvement des Générations Capables (MGC) de Simone Gbagbo, l’ex-première dame, et du Congrès des jeunes pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) de Blé Goudé, l’ancien chef d’orchestre des jeunes patriotes sous le régime de Laurent Gbagbo. L’ancien parti de Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI) a d’ailleurs lui aussi rejoint officiellement la coalition, ce qui ne va sûrement pas aider à améliorer les choses avec Ouattara.

Retour à Paris, capitale africaine

Emmanuel Macron n’est peut-être pas à la recherche de l’homme providentiel pour remplacer l’actuel président

Dans la foulée, Tidjane Thiam devait se rendre en France dans le cadre d’un séjour privé. Il pourrait alors, selon un programme provisoire, rencontrer différentes diasporas ivoiriennes dans l’Hexagone. En revanche, il pourrait avoir du mal à revoir ses deux « parrains » que sont Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron. Le premier fait face à un procès dans lequel il est soupçonné d’avoir financé sa campagne grâce à l’argent de l’ancien président libyen Mouammar Kadhafi alors que le président français est, lui, manifestement trop chargé par le dossier ukrainien.

 D’ailleurs le fait qu’il ait peu insisté à faire travailler les deux hommes montre que la France n’est peut-être pas à la recherche de l’homme providentiel à Abidjan et mise probablement sur la continuité du pouvoir.