Un entretien avec Angela Wamai, réalisatrice du film kenyan Shimoni

Angela Wanjiku Wamai livre avec Shimoni, le 22 janvier,  un drame puissant sur la rédemption et les traumatismes. Porté par une réalisation maîtrisée, une photographie envoûtante et une performance exceptionnelle de Justin Mirichii, ce film s’impose déjà comme une œuvre incontournable du cinéma africain contemporain.

Ce premier film coup de poing qui secoue les consciences et bouleverse les cœurs. Au cœur de ce drame intense : Geoffrey, un ex-prof d’anglais que sept ans de prison ont marqué au fer rouge. Le voilà de retour dans son village natal, Shimoni (« La Fosse »), où l’église locale lui offre un semblant de rédemption à travers le travail de la terre. Mais les démons du passé ne sont jamais loin, et la communauté n’a rien oublié…

Au lendemain d’une projection parisienne en avant-première de son film Shimoni qui a fait salle comble, la réalisatrice, Angela Wamai, qui s’apprête à repartir au Kenya nous a confié ses réflexions et ses projets d’avenir…« Il a fallu lutter mais j’ai fini par surmonter tous les obstacles : un premier film, de femme, sur un sujet difficile et tabou, sans happy end »

Un entretien avec Sandra Joxe

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Mondafrique : vous repartez au Kenya puis cap sur Rotterdam pour présenter le pitch de votre prochain film, en laissant Shimoni vivre sa vie sur les écrans… C’est une nouvelle longue aventure qui s’annonce ?

Angela Wamai. Oui, après 8 ans de travail pour parvenir enfin à réaliser Shimoni qui a été tourné en seulement 15 jours ! J’espère que mon prochain long-métrage sera moins difficile à monter, mais je ne regrette pas mon acharnement.

Il fallait le faire…

Mondafrique : il faut dire que vous avez cumulé les difficultés… Un premier film, de femme, sur un sujet difficile et sans happy-end : pas facile à vendre.

AW : non, pas facile.  Shimoni est tout sauf un « feel good moovie ! ». Mais je ne voulais pas faire de concession. C’est un film qui demande un effort de la part du spectateur. D’autant plus que le film est à cheval sur trois langues différentes, ce qui ne facilite rien. Et puis il faut savoir qu’au Kenya il n’existe aucune aide gouvernementale, aucun financement public pour le cinéma. Ce qui n’empêche pas les réalisatrices et les réalisateurs kenyans d’agir, et je trouve que dans mon pays le 7ème art se porte plutôt bien, même s’il n’y a pas d’argent, il y a des idées et beaucoup de court-métrages, de documentaires, un élan.

Il faut trouver des investisseurs privés qui acceptent de mettre un peu d’argent dans l’aventure, ou bien faire appel à l’Europe. Pour Shimoni je me suis heurtée à beaucoup de visages fermés, mais j’ai persévéré car je sentais que derrière cette histoire particulière, il y avait un sujet universel. Qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme, la victime d’abus sexuel est une victime et le secret, les non-dits pèsent. C’est cette pesanteur qui était au coeur de mon projet. Nous avons finalement trouvé un investisseur privé qui a misé sur le projet et nous nous sommes lancés avec un très petit budget, d’où un tournage très court !

Mondafrique Pas évident pour une jeune femme monteuse d’écrire une histoire dans laquelle le protagoniste est un homme brisé qui sort de prison…

A.W. Non pas évident mais j’avais l’histoire dans la tête, elle est sortie de mon imagination même si bien entendu j’ai fait des recherches et je me suis documentée sur la question des abus sexuels. Et puis je me suis fait aider par un ami scénariste brésilien, qui a fait la même école de cinéma que moi (à Cuba) il m‘a apporté un point de vue masculin et surtout il m’a aidé à préciser ce que j’avais dans la tête, à construire ma problématique, à ne pas perdre de vue l’essentiel Ce fut précieux.

Mondafrique :Votre formation à l’école de cinéma est une formation de monteuse, un métier que vous avez exercé pendant des années. Mais cette fois-ci ce sont vos propres images que vous avez monté : comment avez-vous vécu cette double casquette de réalisatrice ET de monteuse ?

A.W. Difficilement… mais je n’avais pas le choix ! Le budget était si limité » qu’il fallait faire un maximum d’économies sur tous les postes et bien entendu alléger la post-production. J’ai choisi de m’occuper du montage pour alléger les frais, mais j’avais un assistant très compétent qui m’ai aidé : pendant le tournage déjà il a organisé les rushes. Cela dit c’est compliqué de monter ses propres images : le premier jet du film faisait plus de deux heures ! Je n’arrivais pas à savoir quoi couper, j’avais peur que les spectateurs ne comprennent pas bien l’histoire, j’avais besoin d’un regard extérieur pour me rendre compte de ce qui fonctionnait. C’est grâce aux projections test et aux réactions d’amis spectateurs qui découvraient le film que j’ai pu prendre la distance nécessaire et réduire le montage, supprimer des scènes et même certains personnages.

Mondafrique :C’est une expérience intéressante mais acrobatique : être juge et partie…

A.W.Oui c’est un challenge, surtout à la sortie d’un tournage épuisant et après 8 ans d’efforts pour promouvoir le scénario, faire le casting, trouver le financement.

Il fallait retrouver une nouvelle énergie pour le montage !Une expérience que je suis contente d’avoir faite mais que je ne veux pas renouveler : sur mon prochain film j’espère bien que je ne serais pas ma propre monteuse !

Mondafrique :Pouvez vous nous dire quelques mots de ce projet d’avenir ?

A.W.Oui, c’est ube fiction, encore. J’ai déjà le titre : INKOP ! C’est un mot masai. Le scénario n’est pas encore écrit, j’y travaille. Le personnage principal est une femme d’une cinquantaine d’année, une veuve.

Mondafrique Encore un personnage éloigné de vous ?

A.W. Pas tant que cela, je me sens proche de tous mes personnages. De leurs paroles et aussi de leurs silences… 

  • Le film Shimoni a fait l’objet d’un article disponible depuis le 17 janvier 2025 sur le site Mondafrique.
  • Il est actuellement à l’affiche à l’Espace St Michel 75005 Paris et dans plusieurs salles banlieue et province

 

 

Sandra JOXE