L’élection présidentielle qui aura lieu en octobre prochain devrait être un test décisif sur la capacité de la démocratie ivoirienne, 32 millions d’habitants, à conjurer les vieux démons de la crise post électorale de 2010-2011 et à jeter les bases d’une société réconciliée avec son histoire. Le brillant bilan économique du régime actuel, un multipartisme réellement pluraliste, la maturité de la classe politique ainsi qu’une liberté d’expression réelle constituent les meilleurs garants de la stabilité du pays qui s’engage dans une campagne électorale très disputée dans une apparente tranquillité.
Nicolas Beau, envoyé spécial
Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique
Lors de la Présidentielle de 2020, des manifestations massives s’étaient soldées par des dizaines de morts et des bandes non identifiées, surnommées « les microbes » dans la population, s’en étaient pris aux jeunes dans les rues. L’opposition avait décidé de boycotter le scrutin. Résultat, le président Ouattara était élu pour un troisième mandat contesté jusqu’à Emmanuel Macron qui avait mis dix jours à féliciter le vainqueur élu avec 94% des voix, mais dans un climat de peur et dur fond d’absantéismr.
La Présidentielle qui aura lieu en octobre prochain devrait être plus vertueuse. La Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara dispose en effet de nombreux atouts pour relever ce qui se présente comme un redoutable défi démocratique: une réussite économique incontestable dont témoignent les multiples réalisations du régime (voir l’énumération des multiples chantiers et projets du régime dans l’article ci dessous); un débat politique ouvert même si, ici comme ailleurs, des youtubers livrés à eux mêmes jouent un rôle central mais erratique dans le débat politique; une capacité d’ouverture internationale qui n’a en rien éloigné le pays de ses partenaires traditionnels.
Si d’autres dirigeants reviennent de Chine avec juste quelques modestes promesses de financement, Alassane Ouattara a récolté à Pékin plusieurs milliards de francs CFA pour améliorer les infrastructures et réhabiliter 3500 kilomètres de routes. À la surprise générale, l’Italie est devenue le premier partenaire commercial des Ivoiriens avant la France et le Maroc.
Au passif de ce bilan, on trouve le divorce grandissant entre le pouvoir ivoirien et la jeunesse déshéritée des quartiers. En janvier dernier encore, des affrontements ont opposé des groupes de jeunes aux gendarmes de Bettié, une localité éloignée de 166 kilomètres d’Abidjan. La Brigade locale a été entièrement détruite et une centaine de manifestants interpellés. « La Cote d’Ivoire doit intégrer 300000 jeunes chaque année uu marché du travail, plaide-t-on au Quai d’Orsay, de réels efforts sont faits pour développer les équipements scolaires et renforcer le tissu des PME dans un pays trop largement dominé par les grands groupes internationaux ».
Plus généralement, le chemin d’une croissance inclusive et solidaire est long et escarpé. Les retombées d’une croissance forte ne profitent que très partiellement à la majorité de la population comme l’explique Ahoua Don Mello, le représentant ivoirien des BRICS en Afrique: « La Côte d’ivoire, 3eme économie de l’Afrique de l’Ouest, occupe le 6eme rang au niveau de son indice de développement humain après le cap vert (1er), le Ghana (2eme), le Nigeria(3eme), La Mauritanie (4eme) et le Benin (5eme). Ce qui traduit le peu d’implication socio-économique des citoyens dans le processus de développement au moment où trois entreprises françaises et leurs alliés vont empocher 1000 milliards de FCFA pour réaliser 37 kilomètres de chemin de fer ».
Les états d’âme du Président ivoirien
Pour l’instant et après trois mandats, Alassane Ouattara maintient l’ambiguïté sur son éventuelle candidature à la prochaine Présidentielle. Est ce l’envie de voir les succès économiques qui sont les siens amplifiés par la découverte récente de gisements de pétrole et d’or? Ou la crainte de laisser son camp désemparé et orphelin? Lors d’une cérémonie officielle en ce début d’année à Abidjan, le chef de l’état a laissé entrevoir la possibilité d’un quatrième mandat présidentiel: « Je suis en bonne santé et désireux de servir mon pays ». Dans la foulée et avec son habileté tactique coutumière que lui reconnaissent même ses opposants, le président ivoirien a temporisé : « À ce jour, je n’ai pas encore pris ma décision. » Peut-être le même sera plus bavard lors de sa rencontre, le 1er février à Paris, avec son allié et ami Emmanuel Macron.
Cette déclaration équivaut portant, selon les milieux diplomatiques d’Abidjan, à une annonce de candidature. D’autant plus que les premiers signaux indiquent un soutien total du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), son propre parti dont les cadres sont bien embarrassés à l’idée de lui trouver un digne successeur. Dès le mois d’octobre dernier, les hauts responsables du RHDP avaient déjà désigné comme leur « candidat naturel », exprimant leur « volonté de tout mettre en œuvre » pour assurer sa victoire à l’élection présidentielle d’octobre prochain.
Laurent Gbagbo, une épine dans le multipartisme
Le 17 juin 2021, Laurent Gbagbo, qui bénéficie d’un non lieu de la Cour Pénale Internationale (CPI), peut rentrer en Côte d’ivoire. Un pas immense est ainsi accompli par le Président Ouattara dans le sens de l’apaisement. Mais la justice ivoirienne en condamnant l’ancien Président à une peine d’inéligibilité pour le casse d’un établissement bancaire pendant la crise de 2010-2011 stoppera net, avec l’appui du pouvoir, la normalisation de la vie politique ivoirienne. « Une telle mesure est totalement discriminatoire, juge une opposante au régime actuel, l’ancien Président a été reconnu non coupable par la CPI pour l’ensemble de son action durant la guerre civile que nous avons connue. Nos juges doivent respecter la justice internationale ».
Un jeu malsain s’est installé entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Le premier ne semble pas décidé à gracier son rival pour lui permettre de se présenter. Le second qui tient son parti d’une main de fer, à la façon d’un Jean Luc Mélenchon en France, exclut toute idée de choisir un successeur, comme a pu le faire si finement l’actuel Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, qui avait été placé en détention avant le dernier scrutin présidentiel à Dakar.
En joueur d’échecs aguerri, Laurent Gbagbo attise les braises de la contestation, pousse à une mobilisation de la rue contre le pouvoir et se rallie ainsi à la stratégie du pire. En cas de contestation violente, seule la jeunesse des quartiers déshérités, véritable chair à canon, paierait le prix de son intransigeance sans réel débouché politique.
Le résultat, le voici: aucune des deux personnalités dominantes de la vie politique ivoirienne n’est pour l’instant présente sur la ligne de départ, et pas d’avantage décidée à passer le relais. Le tout sur fond de divisions croissantes de la classe politique ivoirienne.