Le mandat du marocain Anouar Kbibech à la tête du Conseil français du culte musulman (CFCM), l’instance qui à Paris depuis quatorze ans représente aux yeux des pouvoirs publics l’Islam de France, expire le 30 juin. Son mandat a été marqué par les vagues d’attentats qu’il a fermement condamnés au nom de l’Islam. Avec l’aide de Bernard Cazeneuve, l’ancien Premier ministre, il a veillé à éviter les amalgames. Mais on peut dire dès maintenant que Kbibech aura contribué à une nette amélioration de l’image de « l’Islam marocain » qui avait été si malmenée par des personnages fantasques. Qu’il s’agisse de Khalil Merroun, un protégé de Manuel Valls, qui voulait l’imposer à la tête du CFCM par un coup de force, avvant que la mise en examen de son protégé et agent électoral empêche in extremis cette mascarade) Ou qu’il s’agisse de Mohamed Béchari, qui revendiquait le soutien de Martine Aubry quand il bénéficiait des aides financières de la Libye et du Qatar, avant de se mettre au service de la croisade anti-Frères Musulmans menée par l’Arabie Séoudite et les Emirats.
En vertu des nouveaux statuts du CFCM, la présidence de ce noble organisme échoit pour trois ans à Ahmet Ogras qui, en tant que représentant de la plus importante organisation islamique turque, était vice-président.
Tir de barrage
Bien qu’elle ait ratifié cette réforme des statuts du CFCM, la Mosquée de Paris a multiplié les « chaouchages » destinés à empêcher cette alternance. Il aura fallu une intervention de l’ambassadeur de Turquie auprès du chargé d’affaires algérien pur faire cesser les intrigues des membres de l’entourage de Boubakeur qui voulaient mettre Abdallah Zékri à la tête du CFCM. Mais malgré l’accord téléphonique algéro-turc, Zékri continue de multiplier les attaques contre Ahmet Ogras, notamment dans la presse algérienne arabophone.
Dans son argumentaire, Zékri mentionne peu son action (surtout sonore) à « l’Observatoire de l’islamophobie » dont la totalité des membres tiennent dans une cabine téléphonique. Il avance un argument inattendu: il faut un ibadite à la tête du CFCM ! L’ibadisme est une école juridico-théologique, dérivée du kharidjisme, en vigueur dans le M’zab du Sud algérien. On sent qu’avec de telles subtilités l’Islam de France est en train de s’organiser de façon harmonieuse et efficace!
Bien que natif de Annaba et malgré sa maigre culture théologique, Zékri se réclame ces derniers temps du mouvement de protestation de Ghardaïa. Ce qui aggrava ses conflits avec Abderrahmane Dahmane, l’ex fidèle de Nicolas Sarkozy à m’Elysée toujours actif dans les coulisses de l’Islam de France. Chacun de ces « conseillers » de Boubakeur revendiquait plus d’influence sur le recteur. Le raisonnement de Zékri est d’une simplicité biblique : sa nomination à la tête du CFCM à Paris devrait donner en partie satisfaction aux contestataires de la région de Ghardaïa et le pouvoir algérien aurait intérêt à soutenir sa candidature censée ramener la paix sociale dans cette région agitée depuis des années. Cela est revenu aux oreilles de Gilles Kepel (sans doute renseigné par ses amis marocains sur les plans makhzéno-américano-séoudiens de déstabilisation de l’Algérie) qui s’est empressé de demander un rendez-vous à Zékri, ce qui ne peut être qu’un mauvais signe. « Savoir et piété »
Comment un ibadite pourrait présider un conseil exclusivement sunnite? Rappelons que les chiites, les associations de mozabites comme celle d’Alfortville qui compte de bons érudits habitués à commenter la chronique d’Abu Zakaria (un grand théologien disciple de Nafa’a Ibn al Azraq) n’avaient pas été autorisés à siéger au sein du CFCM.
De toute façon, le cheikh Guerras, qui préside l’association des ibadites de France, n’accepterait jamais de siéger dans un conseil chaperonné par le ministère de l’Intérieur. A l’époque coloniale, la séparation des cultes et de l’autorité française était stricte dans ces régions du Sud algérien. Les généraux chargés d’administrer ces territoires étaient tenus de ne jamais intervenir dans les affaires du culte que géraient les « Azzaba », un comité de onze membres choisis, au vu de leur « savoir et de leur piété ».
Autant de querelles que le recteur de la Mosquée de Paris,Dalil Boubakeur, regarde de loin, malgré le rôle central qu’il a acquis, à la force du poignet, auprès des autorités françaises et qui devrait au moins l’amener à pacifier le climat. C’est q’il a mieux à faire? A savoir préparer sa succession, en poussant ses candidats et négocier à Alger quelques compensations sonnantes et trébuchantes.
Dans le deuxième volet de notre enquête, nous montrerons comment Dalil Boubakeur prépare sa retraite