Exposée à l’Institut du Monde arabe à Paris, l’oeuvre violente et déchirée de l’artiste Stéphane Pencréac’h met en peinture les plus funestes épisodes des printemps arabes
L’exposition « Œuvres Monumentales » s’articule autour de 3 moments fondamentaux de l’histoire contemporaine : le Printemps Arabe, porteur d’espoir et de désillusion, le conflit syrien avec son cortège de drames humains et les journées tragiques qui ont touché Paris en janvier 2015.
« Peinture d’histoire »
Tunis, Tripoli, Le Caire, Tombouctou, Alep, Kobané, Paris : les « printemps arabes » renversent les régimes politiques, bouleversent les sociétés, suscitent guerres civiles et terrorismes . Stéphane Penchréac, un jeune plasticien d’origine bretonne, découvert en 2001 avec l’exposition Arabitudes, réfléchit depuis lors à la question de la représentation des événements politiques et sociaux qui bouleversent nos sociétés.
Il s’empare de ces événement afin de renouveler la peinture d’histoire et précipite sur ses toiles les images de notre présent tout comme la mémoire des peintres qui, avant lui, ont fait de leur art bien plus qu’un témoignage : un moyen d’action et renoue ainsi avec la grande tradition de la « peinture d’histoire » engagée (on pense Goya des « Désastres de la guerre » ou au Picasso de « Guernica ») mais à sa façon, à l’expressionnisme très personnel.
En plaçant la figure humaine au centre de ses compositions (des gigantesques polyptiques) évoquant destructions et mouvements de foule, il tente avec brio d’établir un va et vient entre universel et particulier, et propose ainsi une dialectique visuelle qui jongle avec la plastique des masses et le destin d’un individu – martyr immolé par le feu, ou transpercé à la façon d’un Saint Sébastien : les références à la peinture religieuse sont omniprésentes – juxtaposés dans un même espace pictural.
Penchréac’h nous immerge dans sa vision du monde et de l’actualité, dans son évocation humaniste et charnelle de la violence contemporaine sans jamais le moindre didactisme.
C’est l’intérêt de ces polyptiques qui encerclent le visiteur et le renvoie à des événements récents :
L’artiste conjugue peinture et sculpture : au centre de l’installation un puissant – mais friable – groupe sculpté, en plâtre blanc, contraste avec l’explosion colorée des 4 grandes toiles : c’est le « Monument à Kobané qui rend hommage aux combats des peuples pour leur liberté, fragiles symboles de leur résistance face à la la terreur et à l’obscurantisme. L’ensemble est bouleversant et le point de vue qu’il nous offre sur des événements récents n’est s’il a des incidences esthétiques, politique et philosophique, est avant tout émotionnel, voire « tripal ». On en frissonne.
Le geste artistique
Dans une époque où les drames du monde nous sont retransmis en direct, y a t-il encore une place pour la représentation picturale ? La photo, la vidéo n’en sont-elles pas devenues des substituts ? Nous sommes submergés par les images-reportagesdont nous abreuvent les journalistes et qui finissent par se neutraliser à force d’être repassées en boucle : face à cette overdose le geste artistique de Pencréac’h donne du relief à toute cette masse indifférenciée. Avec lui, on est encore dans la photo, mais l’on n’est plus vraiment dans la photo. Les visages sont floutés comme transmutés. Il impose un regard subjectif qui exprime sa sensibilité en se démarquant du réalisme sans tomber non plus dans l’allégorie : le polyptique consacré aux récents attentats à Paris en est la preuve : en gommant légèrement les visages des chefs d’états rassemblés Place de la République le 11 janvier et en peignant devant leurs silhouettes un corps en lévitation, qui n’est pas sans évoquer le thème de la déposition de croix (christ de Mantegna inversé ), l’artiste revendique sa part d’onirisme et de subjectivité et fait de ce défilé mémorable… une marche mortuaire.P
11 janvier, « l’évènement monstre »
A l’heure où Emmanuel Todd évoque l’hystérie d’un peuple de petit bourgeois catholiques zombies descendus dans la rue, la dernière toile qui achève la série des Printemps arabes que Pencréac’h voulait aussi appeler Après le Printemps, se confond avec l’actualité. Ne peut-on pas penser que le Printemps arabe s’est arrêté avec le transfert de la guerre de l’Islam radical en plein Paris ? Il est trop tôt pour le savoir car avec Pencréac’h la peinture d’histoire s’écrit presque au présent. Ce qui est d’ores et déjà certain c’est que l’œuvre de Pencréac’h illustre, de par sa dimension visionnaire, donne raison à Pierre Nora qui qualifiait la manif « d’événement monstre » avec toute l’ambiguïté qu’une telle expression laisse entendre…
Et pour finir par un hommage à Goya, dont l’esprit tutélaire semble hanter le jeune Pencréac’h, plus encore que celui de Picasso : le sommeil de la raison, en enfante encore, des monstres. A moins que ce ne soit le réveil des religions ?
Exposition du 12 mai au 12 juillet 2015, en partenariat avec la galerie Vallois, et présentée à l’Institut du monde arabe.
Stéphane Pencréac’h. Œuvres monumentales, du 12 mai au 12 juillet 2015, à l’Institut du Monde arabe, niveau -2, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed V, entrée par la faille, côté Seine, www.imarabe.org, 01 40 51 38 38, les mardi, mercredi et jeudi de 10 à 18h, le vendredi de 10 à 21h30, samedi, dimanche et jour fériés de 10 à 19h. 10,50€ ou 8,50 (enseignants et demandeurs d’emploi), ou 6,50 (- de 26 ans, MDA et RSA), gratuit aux membres de la société des Amis de l’IMA, aux handicapés, carte ICOM / ICOMOS, moins de 18 ans, conférenciers, guides touristiques, corps diplomatiques arabes et Affaires étrangères.