Les Frères musulmans seraient en perte de vitesse dans le monde arabe 

Les Frères musulmans mis violemment en cause par le best-seller Le Frérisme et ses réseaux de la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, seraient, en fait, en perte de vitesse dans les pays arabes et en Europe. Mais en hausse dans le reste de l’Afrique, dans les Amériques et en Asie, selon une étude intitulée Index de la puissance globale des Frères musulmans   

Les ouvrages consacrés à la Confrérie fondée en Égypte par Hassan al-Banna en 1928 ne comportent habituellement pas une multitude de schémas et de tableaux aux couleurs variées. Pour évaluer La puissance globale des Frères musulmans, cette étude ne se contente pas d’analyser l’indicateur de puissance politique et sécuritaire de cette organisation. Elle se penche aussi sur sa puissance économique, sa puissance médiatique et sa puissance sociétale. Le tout donnant beaucoup de chiffres et de pourcentages.

Selon les chercheurs de Trends Research & Advisory d’Abou Dhabi, de l’Université de Montréal, et de “Pluriel“, une plateforme universitaire sur l’islam, l’influence des Frères musulmans, qui étaient de 64 % en 2021, a chuté à 49,3 % en 2022, et à 48 % en 2023.    

Égypte et Tunisie, l’échec du printemps arabe

Les raisons ? L’échec de la Confrérie en Égypte et en Tunisie. Elle n’a jamais été capable de proposer des alternatives économiques crédibles, usant des vieilles recettes qui consistent à recruter en masse leurs adeptes dans les administrations. Plus grave, alors que les populations s’attendaient à ce que de pieux musulmans accédant au pouvoir fassent preuve d’honnêteté, ils ont découvert que les dirigeants étaient loin d’être insensibles aux richesses matérielles.

« il y a eu une régression, plus prononcée que jamais, de l’influence médiatique et mobilisatrice des FM en raison de leur incapacité à travailler d’une façon professionnelle, de leur manque de crédibilité et de leur goût prononcé pour la propagande », souligne L’index de la puissance globale des Frères musulmans 2022-2023, qui était présenté le 15 avril à Paris

Du printemps à l’hiver arabe 

Dans un ouvrage fort instructif, « les Frères musulmans à l’épreuve du pouvoir. Égypte, Tunisie (2011-2021) », Sarah Ben Néfissa et Pierre Vermeren se penchent sur ce retournement historique. Et ils ne sont pas tendres pour les équipes au pouvoir durant ce printemps arabe/ « Le choix des urnes a été un choix tactique, souligne dans un entretien avec « le Monde » (21/22-05) le chercheurPierre Vermeulen quimet en avant la duplicité de ce courant islamiste. Le discours et les pratiques du pouvoir (des Frères) montrent que leur objectif à long terme n’a pas changé. Il s’agit de réislamiser des sociétés insuffisamment musulmanes », car imitant l’Occident, qui sacralise l’État au détriment de Dieu. Leurs discours publics ne peuvent pas masquer leurs actes ». Sarah Ben Néfissa en rajoute dans le ême entretien: « Il ne faut pas oublier que le père spirituel du djihadisme contemporain, Saïd Qotb, n’est autre que le principal théoricien des Frères musulmans ».

Voici un raccourci bien risqué quand on sait que le djihadisme ne va s’épanouir qu’un demi siècle plus tard en Afghanistan avec les Talibans puis en Irak et en Syrie avec l’État Islamique. 

Les deux chercheurs font largement l’impasse sur les retombées positives du Printemps arabe où une partie au moins de la mouvance islamiste a tenté un amalgame entre les valeurs démocratiques et les valeurs coraniques. Lorsqu’Ennahda fit voter, en 2014, une constitution instaurant la liberté de croyance et refusant que l’Islam devienne la religion de l’État tunisien, en restant simplement la religion de la Nation, un grand pas était franchi qu’on ne peut pas mettre sur le compte d’un simple « recul tactique » des amis de Rached Ghannouchi après le coup d’état égyptien. La meilleure preuve en est qu’Ennahda, le mouvement islamiste tunisen, va participer à un gouvernement de coalition pour cinq années encore, en devenant, lors de scrutins non fraudés, la première force politique en Tunisie.  

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La disparition de Youssef Qaradawi      

Autres raison de cette perte d’influence, c’est l’atomisation de cette mouvance après les revers subis en Égypte et en Tunisie. Depuis le coup d’État militaire qui porte au pouvoir le maréchal Sissi, les Frères musulmans se sont divisés en trois chapelles: l’une clandestine au Caire, une faction à Londres, et une troisième à Istanbul. Ajoutez que leurs plus ardents défenseurs, à savoir la Turquie et le Qatar, se sont réconciliés avec l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, qui classent les Frères musulmans parmi les organisations terroristes.

Enfin, en 2022, la Confrérie a perdu ses deux figures les plus marquantes, le prédicateur qatari Youssef Qaradawi, longtemps animateur sur Al-jazeera de l’émission La Charia et la Vie. Et l’Égyptien Ibrahim Mounir, le Guide suprême par intérim, en exil à Londres.

Youssef Qaradawi est un égyptien né le 9 septembre 1926. Membre très actif des Frères Musulmans il consacre sa vie au triomphe politique de l’islam. Impliqué dans une tentative de meurtre contre Nasser, il fait quatre séjours en prison. En 1960 il soutient une thèse sur la zakât (la charité), et le rôle essentiel  de cette dernière pour résoudre tous les problèmes sociaux. Déchu de sa nationalité il trouve son bonheur sur le chemin de Doha où il vit depuis 1970. 

Poussée en Asie

En revanche, tout n’est pas négatif pour la confrérie. L’étude constate que « les FM jouissent en Asie d’une puissance réelle dans les domaines médiatiques et politique, en raison de plusieurs facteurs dont le plus important est sa migration vers l’Asie après les revers subis au Moyen-Orient, pour préparer probablement un retour de puissance le moment venu ». La moyenne de la puissance des Frères musulmans en Asie attendraient 83,2 % ! Les Amériques arrivent en deuxième position avec 64,1 %. l’Afrique en troisième place avec 56,8 %. L’Europe suit avec 53,5 %. Enfin, dans le monde arabe, ils n’atteignent que 34,7 %.

Face à ces chiffres et à ces pourcentages, les chercheurs sympathisants de moins en moins nombreux à s’exprimer sont étragement en retrait