Les confidences du Premier ministre qatari, un médiateur incontournable

Le gouvernement israélien, réuni autour de son Premier ministre Benjamin Netanyahu, a approuvé e mercredi 22 novembre    l’accord prévoyant la libération d’otages aux mains du Hamas en échange de la libération de prisonniers palestiniens et d’une trêve dans la bande de Gaza, une lueur d’espoir dans une région dévastée par un conflit meurtrier entre les forces armées israéliennes et les milices du Hamas.

Cet accord doit beaucoup au jeune et brillant Premier ministre qatari, Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim al-Thani, qui en négociant avec les Israéliens et les Américains, a mis en évidence la diplomatie offensive menée ces dernières années par l’Émir du Qatar. Le petit Émirat, grand comme un département français, est devenu non seulement un médiateur incontournable au Proche-Orient, mais aussi un intercesseur efficace sur des dossiers sensibles, qu’il s’agisse de l’évacuation des Américains d’Afghanistan ou de la négociation entre la junte tchadienne et son opposition armée.

Le premier ministre qatari, Mohammed ben Abdulrahman al-Thani, s’est récemment confié au magazine français « Le Point »  sur son rôle de médiateur lors de la trêve humanitaire qui a eu lieu entre le Hamas et Israël du 24 novembre au 1er décembre qui a permis la libération de 109 otages. Voici l’essentiel de ses propos.

La rédaction de Mondafrique

Consulté en marge du dernier forum de Doha, un de ces rassemblements qu’au fil du temps le Qatar a réussi à organiser pour favoriser des rencontres qui seraient ailleurs impossibles, le Premier ministre du Qatar, tout en affichant une volonté de neutralité, a fait part de quelques regrets face à la politique israélienne actuelle. L’homme fort du gouvernement qatari regrette que les négociations et la trêve n’aient pu se poursuivre après le 1er décembre. “La définition des femmes qui restaient” serait ultime point de désaccord entre le gouvernement Israélien et le Hamas.

Mohammed al-Thani se félicite tout de même du bilan de ces négociations, avec plus d’une centaine d’otages libérés. Soit un symbole fort qui peut “conduire non seulement à des libérations […] mais également contribuer à atténuer les souffrances humaines à Gaza.” Ainsi, même si le rythme et le volume des discussions a fortement réduit depuis le début décembre, la diplomatie qatarie garde espoir qu’elles puissent un jour repartir de plus belle.

Les grands hôtels de Doha accueillent les conciliabules entre adversaires politiques pour tenter de trouver les voix sinon de la paix, du moins de compromis politiques dans les situations sensibles que connaissent des pays aussi différents que l’Afghanistan, la Palestine ou le Tchad

Le refus du tout militaire

Que faudrait-il faire pour que tous les otages soient libérés? C’est ici que le premier ministre du Qatar jette un regard critique sur la campagne de l’armée israélienne, indiquant qu’elle complique fortement sa tâche de médiateur. Il ne pense pas, contrairement aux Israéliens, qu’une action militaire soit le moyen le plus efficace pour libérer les otages. Bien au contraire, seules les négociations permettent d’aboutir. Généralement, cette approche n’a lieu qu’ après un cessez-le-feu. « Il est donc exceptionnel que les négociations se soient déroulées pendant les combats”., observe le Premier ministre

Il se présente même comme un moteur des pourparlers: après l’attaque du 7 Octobre, qui ne doit être “ni justifiée ni sortie de son contexte”, ce seraient les Qataris qui auraient poussé les Israéliens vers la table de négociations. Pour libérer les otages restants, il faudra notamment se concentrer sur le ratio d’échange. Mais “plus la guerre s’intensifie, plus les exigences de la partie adverse deviennent élevées.” Le premier ministre n’est pas sûr que la guerre s’arrêterait si Israël n’atteignait qu’un seul de ses objectifs entre la libération des otages et la destruction du Hamas. Et encore, c’est seulement s’ils n’ont pas “autre chose en tête”… La campagne militaire à Gaza ressemble plus, aux yeux de M. al-Thani, à de la vengeance qu’à une riposte. “Pourquoi punir [les femmes et les enfants] pour quelque chose qu’ils n’ont pas fait?” S’interroge-t-il. Il faut donc absolument appeler à un cessez-le-feu.

Il soustrait, dans cette optique, à la critique de “deux poids deux mesures” adressée à l’occident. “Ce qui est considéré à d’autres occasions comme un crime de guerre est vu ici comme de la légitime défense.” Et cette position met le Qatar en difficulté face à sa population. Pourquoi nouer des partenariats forts avec un occident qui ne soutient pas en retour ses efforts de médiation? Celui qui cumule également le poste de ministre des affaires étrangères se déclare par ailleurs déçu de la décision des États-Unis de mettre leur véto au dernier projet de résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu à Gaza, introduite par le Qatar.

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L’espoir, malgré tout !

Même si le Premier ministre ne critique pas ouvertement le gouvernement Netanyahu, il souligne que le pays hébreu n’a accepté aucun des plans de paix proposés lors des dernières décennies. La solution à deux états “est plus possible et nécessaire que jamais”, martèle Mohamed Al Thani. Pour ce faire, les “colons extrémistes” doivent se calmer, et le Hamas et le Fatah doivent trouver un consensus. “Quiconque sera un obstacle à une solution juste et pacifique devra se retirer”.

Sinon, la guerre pourrait non seulement se prolonger, mais pourra aussi s’étendre dans la région. Mais le Qatar ne perd pas espoir. La neutralité et la médiation sont l’essence même de la politique étrangère du Qatar, qui peut désormais faire valoir les relations d’amitié qu’il entretien avec de nombreux pays, dont les États Unis, pour lutter contre l’instabilité régionale. C’est pour cela que les efforts de médiation à Gaza se sont basés exclusivement sur les relations pacifiées que les deux parties entretenaient avec l’Émirat.

Au vu de sa taille modeste et de sa population inférieure à un demi million d’habitants, le Qatar n’a jamais cherché à “user de la carotte et du bâton”, comme ont pu le faire des puissances régionales comme l’Iran ou l’Arabie Saoudite qui ne sont pas arrivées, pour autant, à pacifier la région. En un sens, les limites géographiques de l’Émirat furent certainement la chance de ce pays qui après avoir réduit les prétentions géopolitiques qui furent les siennes lors du « Printemps arabe », a su imposer son influence sur un grand nombre de dossiers diplomatiques sensibles dans les pays arabes et africains.

Le Qatar incontournable au Moyen Orient