Alors que les violences se poursuivent en Centrafrique depuis le départ de l’ex-Président Michel Djotodia, le Tchad, à travers son président Idriss Déby, s’impose comme un acteur incontournable dans la destinée du pays
Ces derniers jours, se joue autour du destin de la Centrafrique une partie dont les règles, non-écrites et peu transparentes, expriment les nouveaux rapports de force qui se dessinent dans l’Afrique équatoriale. Lorsque jeudi 9 janvier un avion provenant du Tchad a embarqué les 135 membres du Conseil National de la Transition à Bangui, et les a amené devant les hauts représentants de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) réunis à N’Djamena sur initiative du président tchadien Idriss Deby, il est apparu évident que le destin de ce pays torturé réside encore dans les choix que d’autres prennent à sa place.
C’est, une fois de plus, le Tchad qui joue le premier rôle, en mettant fin au pouvoir de Michel Djotodia – chef d’une composante de l’armée rebelle Séléka, puis Président auto-proclamé de la transition après le coup d’État du 24 mars 2013 – qui avait pourtant joui du soutien de son puissant voisin, tout comme les militaires Séléka qui, pour un an, ont perpétré toutes sortes de violence et d’abus contre la population centrafricaine. Nul doute que la France ait appuyé cet étonnant scénario politique, consistant à déplacer physiquement et d’un seul coup la classe politique centrafricaine (par ailleurs, totalement inerte) pour lui manifester le choix unilatéral, pris par les chefs d’État voisins, de les destituer de leurs charges publiques.
Mais, les enjeux et les conséquences de cette stratégie demeurent particulièrement préoccupants. D’abord, les « scènes de liesse » à Bangui, après les démissions de Djotodia, ne doivent pas induire en erreur : le pays est empêtré dans un cycle de violences que le départ du Président issu de la Séléka ne suffira probablement pas à éteindre, d’autant plus que les soupçons et les accusations entre communautés diverses, qui avaient vécu, jusqu’à récemment, les unes à côté des autres de manière relativement pacifique, ont creusé la société centrafricaine et miné la confiance entre les individus, les collègues, au sein des familles. Vient ensuite l’aspect proprement politique : l’intelligentsia centrafricaine sera-t-elle capable de faire émerger une classe politique capable de s’entendre avec les acteurs étrangers, tout en dialoguant avec l’ensemble du pays, avec des populations parmi lesquelles des lignes de fracture se sont ouvertes dans les derniers mois ? Cela semble, en ce moment, franchement improbable. Quels rôles joueront alors le Tchad, les autres pays d’Afrique centrale, et derrière eux la France, dans le choix ou l’imposition d’une nouvelle figure présidentielle ?
A ces deux problèmes majeurs, s’ajoutent quelques considérations pragmatiques : ces derniers jours, des nouvelles violences ont éclaté, y compris en dehors de Bangui, à l’intérieur du pays. On ne soulignera jamais suffisamment que la Centrafrique possède un vaste territoire et que les dynamiques qui l’emportent dans la capitale n’ont pas nécessairement d’effets sur les provinces, surtout celles du Nord aux frontières avec le Tchad et le Soudan. Reste à savoir quelles exactions ont été commises, depuis désormais un peu plus d’un an, dans les régions les plus reculées, si elles continuent – comme il semble probable – et ce qu’il est advenu de pans entiers de la population centrafricaine qui ont fui les villages pour se réfugier dans la brousse, et sur lesquels les informations manquent. Là encore, il est probable que des représailles se produisent, et qu’elles nécessitent, pour être désamorcées, bien d’autres interventions que celle des militaires. Aujourd’hui, de nombreux questionnements suscitent l’inquiétude : quels choix seront pris par les chefs Séléka qui ont profité impunément, pendant des mois, d’un pays exsangue ? Que faudra-t-il leur promettre en échange de leur départ ? Quels sujets et quelles forces agissent aujourd’hui derrière les milices d’auto-défense « anti-balaka » en attisant leur violence, et quelles seront leurs revendications dans le paysage politique et social à venir en Centrafrique ?
PAR ANDREA CERIANA MAYNERI