Tahar Ibtatene, combattant de la Résistance et patriote algérien

Le parcours de Tahar Ibtatene fut exceptionnel, de son engagement au sein de la Résistance française dès les toutes premières heures de 1940 jusqu’à son choix de se battre pour l’indépendance algérienne dès le début de la guerre en 1954.

Lyazid BENHAMI

Le parcours atypique de Tahar Ibtatene tient au fait qu’il a voué toute sa vie à défendre et à aimer à la fois la France et l’Algérie. Au nom de la liberté et successivement agent secret au service de la Résistance pendant la Seconde guerre puis combattant FLN au service de la Révolution algérienne.

Né en Haute Kabylie à Aïn El Hammam le 27 février 1909, Tahar Ibtabtene connut une enfance difficile, à l’image de ses camarades, dans cette région montagneuse rude d’Algérie où la misère affectait toutes les familles. Enfant, il se distingua très vite de ses camarades par son intelligence exceptionnelle et par sa débrouillardise. La chance lui a permis d’avoir été scolarisé jusqu’au certificat d’étude primaire chez les Pères blancs à proximité de son village de Tililit d’Ait Menguellet. Puis en 1924, du haut de ses 15 ans il prenait la route de la Métropole.  

A Marseille et à Paris, le destin de ce jeune homme bascula dans une vie de solitude. Il a dû travailler de manière acharnée pour arriver à subvenir à ses besoins, loin d’une Algérie devenue qu’l jugeait trop étroite pour lui. L’adolescent désireux de s’émanciper s’est frayé un chemin dans cette France des années 1930 bouleversée par la crise économique et sociale, et dans laquelle la xénophobie et l’antisémitisme étaient davantage visibles et accentués. Il vécut au jour le jour, grâce à de petits boulots occasionnels.

L’intégration dans les services secrets

Ce jeune homme vif d’esprit avait un caractère bien trempé. Esprit curieux, il parfait son éducation en suivant régulièrement les cours du soir. A Paris et en région parisienne, tour en découvrant r le sentiment de deux poids deux mesures entre les citoyens français et les travailleurs d’origine algérienne, citoyens de seconde zone. Ses sentiments nationalistes naissent peu à peu au point de ne pas se soumettre au service national imposé en Métropole. La police l’arrête en 1930, et l’incorpore d’office à l’armée, dans l’infanterie. Réformé en 1939, il rebondit au sein des services secrets français dès 1940.

Dès la défaite de la France face à une Allemagne nazie, Tahar Ibtatene décide de combattre le nazisme sous toutes les formes. Il excellera dans le domaine du contre-espionnage, lié très tôt avec les pionniers des services secrets français, tels que Roger Warin (dit Wybot) et Robert Blémant qui refusent la capitulation. Le jeune algérien rejoignit en octobre 1943 le Bureau Central du Renseignement et d’Action (BCRA), le bras armé de l’action du Général de Gaulle au sein de la Résistance. Il incorpora le réseau Marco Polo sous le grade de sous-lieutenant, chef des équipes de protection du réseau et chargé de mission à l’Etat–Major de la Direction Générale des Etudes et Recherches.

L’agent 99.487 qu’il était avait récupéré des documents stratégiques auprès de l’ennemi, et avait effectué des actions militaires de grande importance à travers tout le territoire national pendant l’occupation allemande.  Tahar Ibtatene était à la fois dans l’organisation et la conception de certaines actions. Il mena ses missions à chaque fois avec beaucoup de professionnalisme et de bravoure. Les nombreuses archives issues du département de la Résistance au sein des Archives Historiques de la Défense, ainsi que celles en possession, témoignent de son degré d’implication importante dans le combat contre le nazisme et de ses actions héroïques et déterminantes.

 L’infiltration de la Gestapo

Attaché au Renseignement et au Contre-espionnage au service de la France Libre, Tahar Ibtatene est chargé de missions aussi nombreuses qu’historiquement importantes. Il a notamment approché certains membres du gouvernement de Vichy dès 1940 pour le compte de la Résistance. On le découvre volant aux Allemands des documents importants et stratégiques, notamment des correspondances entre les généraux allemands et Laval, chef du Gouvernement français sous Vichy, et le PPF, parti fasciste de Jacques Doriot. Sur ordre de sa hiérarchie, il a infiltré l’ennemi allemand et les agents de la Gestapo. Ce qui lui vaudra des démêlés avec les autorités françaises en 1946 dont il sortira blanchi.

Le Réseau Marco Polo avait « contacté » Tahar Ibtatene en octobre 1943. Celui-ci en deviendra l’une des chevilles ouvrières à Lyon, Bordeaux, Marseille, mais principalement en Zone Occupée en Région Parisienne. Tahar Ibtatene fut à l’origine de la récupération des plans V1 et V2 (premières fusées de l’histoire, et armes secrètes de Hitler).  Il organise l’attentat contre le docteur Friedrich (Fred Dambmann de Radio Paris), chef de la propagande nazie en France et bras droit de Himmler (la personnalité influente du 3 -ème Reich après Hitler). Il combattit sur tout le territoire national Henri Lafont, chef de la Gestapo française, et sa milice de collabos dont certains étaient originaires d’Afrique du Nord. Sans compter les actes héroïques à la Libération de Paris. Il fût à la manœuvre dès le 17 août 1944, avant le début de l’Insurrection Nationale du 19 août suivant. C’est en chargé de missions auprès de l’Etat –major qu’il sera envoyé à Strasbourg décembre 1944.

Lorsqu’on se plonge dans la vie de ce Résistant nous découvrons qu’il a accompli des missions des plus dangereuses et périlleuses, qu’il était animé d’un grand sentiment patriotique. Bien que ses supérieurs avaient demandé pour lui la Médaille militaire, celle-ci ne lui jamais été accordée, et celles du Combattant volontaire de la Résistance et du Combattant lui ont été décernées qu’en 1983 et en 1984.  Un comble pour ce héros, ce Résistant et Combattant de la liberté décorée en 1945 de la Croix de guerre 1939-1940.

La Guerre d’Algérie, nouvel horizon

Tahar Ibtatene rejoint la cause du FLN dès 1954, au déclenchement de la guerre d’Algérie, et plus tard au sein de la Fédération de France. Celle-ci mena le combat en Métropole.  Il avait pour lui de surcroît la maturité d’un homme de 45 ans, et l’expérience de l’ancien officier des services secrets français, aguerri dans la Résistance française.

Il se met à la disposition du FLN et de la Révolution algérienne. Il aura maille à partie à diverses occasions avec la police de Maurice Papon. Il sera condamné et assigné à résidence en 1959 , notamment pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. Il échappa à plusieurs tentatives d’assassinats, dont celle organisée par le MNA en avril 1961 en faisant exploser une bombe dans son établissement commercial situé au 84 bd de la Chapelle à Paris 18eme.

 En fin connaisseur de la politique française, Tahar Ibtatene était convaincu que seul un retour du général de Gaulle aux affaires pouvait permettre « un dénouement honorable » et une issue politique à la Guerre d’Algérie, enfin une voie vers l’indépendance algérienne. Il soutiendra la politique du général de Gaulle dès mai 1958, ce qui par ailleurs ne l’avait pas empêché d’organiser et de soutenir ses frères algériens dans les combats que menait le FLN en France et en Algérie.  En tant que combattant du FLN, il a été à la fois collecteur de fonds, juge FLN, organisateur d’actions, facilitateur d’opérations en faveur du FLN (récupération et achat d’armes en France et à l’étranger). Il a été aussi un lien, voire un canal privilégié pour les gaullistes dans le dialogue avec le FLN et pour une solution politique de la Guerre d’Algérie. Les archives sont encore précises en guise de témoignages.

Voilà un exemple de personnage dont l’itinéraire exceptionnel pourrait contribuer au rapprochement des mémoires et des peuples. Il décède à Paris à l’âge de ses 91 ans en février 2000, emportant avec lui des nombreux secrets, cependant avec le sentiment du devoir accompli, celui d’avoir combattu le nazisme et puis le colonialisme.

À quand une reconnaissance nationale en France et en Algérie pour ce combattant de la liberté qu’était Tahar Ibtatene ? Les archives et les faits parlent pour lui !

Lyazid BENHAMI, auteur du livre « Tahar Ibtatene dit Tintin », héros de la Résistance (1940-1945) et de la Guerre d’Algérie (1954- 1962), chez L’Harmattan.

 

Distinctions :

  • A l’occasion de la Seconde guerre mondiale, Tahar Ibtatene, a été décoré de la Croix de Guerre 1939/1945, avec deux citations, à l’ordre de la Brigade et à l’ordre du Régiment. Ainsi que de la Médaille du Résistant volontaire , et de la Médaille du Combattant.
  • Reconnu Membre de l’OCFLN en commission spéciale en décembre 1968 pour la Guerre d’Algérie.