A 25 ans, Kamal Radji se définit comme un « entrepreneur du développement ». Il a choisi le rap, puis le slam pour pouvoir s’exprimer comme les griots, ces « ministres de la Communication africains ». Avec des paroles percutantes, il veut réveiller la jeunesse du Bénin et d’Afrique, les pousser à prendre en main leur destinée en créant un modèle de développement propre au continent. « Acceptons de vivre africain pour vivre libre et digne », clame K mal, de son nom d’artiste, empruntant les mots de l’ancien président burkinabè Thomas Sankara dont les idées résonnent en lui.
Assume ta jeunesse
Le titre « Assume ta jeunesse » qu’il diffuse sur internet en 2011 rend le slameur Kamal Radji célèbre au Bénin. Une grande partie de la jeunesse du pays se retrouve dans les paroles de cette chanson. Il décrit une Afrique qui quémande l’aide au développement et des prêts à la Banque Mondiale, une jeunesse qui se détourne des problèmes de leur pays, obnubilée par la culture américaine. A 25 ans, il s’est lancé dans l’exploitation d’une ferme à Parakou au nord du pays, une façon de « vivre le développement africain » et de joindre les paroles aux actes, dit-il. A travers un projet intitulé « Programme » de quatre chansons, il compte dire au prochain président béninois qui sortira des urnes en février 2016 ses priorités pour le pays.
« Yes africa, you can’t »
« L’Africain doit pouvoir être capable d’inventer une société qui respecte sa culture, sa tradition. Il faudrait que l’Afrique puisse prendre conscience et revenir à elle-même », explique K mal. Quand il débute très jeune par le rap, il déplore déjà l’influence américaine sur le style musical des artistes béninois qui fait que le chanteur « parle d’une autre manière » pour faire du « Gangsta’rap ». Il veut se trouver un style propre, « africain », et se voit en « griot » des temps modernes. Il choisit alors le slam : « Artistiquement parlant, c’était une manière de dire les choses simplement, sans avoir à respecter des codes ».
K mal veut faire une musique « de développement, de leadership, d’entrepreneuriat » pour pousser la jeunesse à se prendre en main. « Si l’Afrique dort, c’est simplement parce que les hommes qui sont dedans dorment », déclare K mal. Le faible niveau de développement, d’équipement et d’infrastructure fait que les opportunités sont très nombreuses, ce qui lui fait dire que « les problèmes de l’Afrique sont des solutions ». « L’Afrique est en train de faire l’erreur de copier des sociétés qui ont échoué, à mon avis », poursuit-il. Il voudrait que la jeunesse béninoise qui représente la grande majorité de la population prenne conscience des richesses du Bénin et se mette au travail pour développer le pays.
Retour aux sources
Cette volonté d’agir le pousse à voyager dans son pays. Il y a trois ans, il entame une « tournée » dans le nord du Bénin à la découverte du « village », fuyant la capitale économique Cotonou où il a grandi. A l’image de beaucoup de grandes villes africaines, elles attirent une multitude de jeunes déshérités, en quête d’emploi et de réussite sociale souvent vaine, coincés dans ces culs de sac du développement
Il se rend d’abord à Parakou et sillonne les chemins de brousse pour redécouvrir les villages et les « richesses » de son pays. L’opportunité se présente alors de se lancer dans l’exploitation d’une ferme. Kamal Radji y voit la possibilité de pouvoir devenir un acteur du développement par l’entrepreneuriat et laisse de côté pendant un temps sa carrière musicale. « Nous avons une superbe terre qui est très riche. (…) Lorsqu’on a alimenté nos jeunes à ne rien faire ou qu’on leur a vendu le rêve du bureau, du climatiseur, ou le rêve de la belle voiture sans le travail, c’est normal que lorsqu’il a un poste qui lui permet d’aider son peuple ce soit un voleur. Ceux qui sont nos modèles aujourd’hui, ce sont des voleurs ».
Cette ferme lui donne le moyen de son indépendance financièrement, indispensable à sa liberté de parole : « Celui qui te donne son argent il te dicte sa loi, et je ne suis pas du tout dans cette dynamique. (…) La sincérité de ce que je dis sur ma musique m’a conditionné à penser à faire des affaires », justifie-t-il.
K mal s’insurge contre la faillite du développement dans son pays qui fait que le Burkina Faso, un pays pourtant plus aride que son voisin du sud, vend des tomates au nord du Bénin pendant la saison sèche, alors que l’herbe pousse sur la quasi totalité du territoire. « Je pense que pendant que les autres vont dans la lune, les africains doivent retourner au village (sourire) », déclare-t-il, avant de précisé : « C’est de nos villages que nous pouvons donner du souffle à nos villes. Nous ne sommes pas autosuffisant alimentairement ». Pour « rester honnête », il dit aujourd’hui vouloir donner l’exemple.
« Noir de peau oui, mais pas noir dans la tête »
La construction de bibliothèques au Bénin et dans certaines villes des pays limitrophes est son prochain objectif, « les autorisations sont en cours », précise-t-il. Il veut pouvoir mettre à la disposition de la population les écrits des grands panafricanistes qui l’ont éclairé dans sa jeunesse et qui continuent d’inspirer les paroles de ses chansons, de Thomas Sankara à Patrice Lumumba, de Samory Touré à Kwameh Nkrumah ou encore Cheikh Anta Diop.
Alors qu’aujourd’hui ses affaires commencent à prospérer, le succès qu’il a rencontré avec sa musique lui a permis de voyager au Niger, au Mali, au Burkina Faso, et récemment au Sénégal, pour se produire dans des festivals. « Je veux dire aux jeunes d’aller découvrir le monde, cela donne des ailes de voyager, mais revenez chez vous, parce que pourquoi vous êtes nés ici ? C’est pas pour un jour allez quitter ici pour aller aux Etats-Unis. Je veux leur dire d’aller découvrir leur terre », explique K mal.
A bientôt cinq mois de l’élection présidentielle béninois, il se concentre maintenant sur son nouveau projet musical de quatre morceaux qu’il diffusera sur internet intitulé « Programme ». « Je vais aborder tous les points clés qu’il faut attaquer immédiatement et je vais le dire au prochain président de la République. On va beaucoup discuter », conclu-t-il, amusé.