Cet article Batailles coloniales (1), Abd El-Kader anéantissait les Français en 1845 est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Bien que les troupes françaises colonisent l’Algérie depuis quinze ans, la conquête militaire en 1845 est loin d’être acquise. L’âme de la résistance s’appelle alors Abd el-Kader, considéré comme le père de l’indépendance de l’Algérie. Chef politique et religieux, militaire de premier ordre, il a levé une armée de de 10000 fantassins, 2000 cavaliers. Les troupes françaises s’échinent à l’éliminer. En septembre de cette même année, le lieutenant-colonel de Montagnac à la tête d’une colonne de 421 soldats croit cette heure arrivée.
Au terme de trois jours et trois nuits de combats acharnés autour de Sidi-Brahim, un hameau perdu à la frontière marocaine, seulement 16 de ses hommes parviendront, hagards, à regagner leur base. On tient là, avec « Camerone » pour la Légion étrangère, une des plus belles défaites de l’armée française.
Quant au vainqueur, Abd el-Kader, cet implacable ennemi des Français, il héritera quelques années plus tard de la légion d’honneur…
« On voudrait mourir comme cela pour perpétuer l’honneur dans notre armée », commentera à chaud un officier au récit de ces journées tragiques. Quinze jours plus tôt, mi-septembre 1845, le lieutenant-colonel de Montagnac qui tient garnison à Djemaa Ghazaouet (aujourd’hui Ghazaouet) reçoit l’information d’un caïd local selon laquelle Abd el-Kadera franchi la frontière marocaine (derrière laquelle il s’abrite régulièrement) et séjourne dans sa tribu. Une occasion inespérée de mettre la main sur le chef rebelle…
Les renseignements fournis par l’informateur sont en réalité biaisés notamment sur l’importance des effectifs qui accompagnent Abd el-Kader. Par ailleurs, Montagnac a reçu la consigne stricte de sa hiérarchie de ne pas lancer d’opération avec ses effectifs insuffisants. Montagnac, décrit comme « un chef fougueux, violent, aventureux, mais fort courageux », n’en tient pas compte et mord à l’hameçon que le caïd lui a lancé.
Le 21 septembre, à 22 heures, à la tête de cinq compagnies du 8ebataillon de chasseurs d’Orléans (ancêtres des chasseurs alpins), d’un escadron du 2e de hussards (60 cavaliers), et de quatre escouades de carabiniers, soit une troupe de 421 hommes, il se lance à la recherche du camp d’Abd el-Kader afin de « surprendre » ce dernier.
Dans la nuit, après une marche d’une quinzaine de kilomètres, les Français repèrent les feux du camp ennemi, une force alors estimée entre 1000 et 2000 hommes.
Le 23 septembre, à l’aube, laissant une petite partie de ses troupes garder le bivouac et son ravitaillement, Montagnac marche à la rencontre de l’ennemi. Une nouvelle progression pénible d’une demi-douzaine de kilomètres. Les chasseurs à pied peinent à suivre les cavaliers.
La rencontre entre les deux forces adverses a lieu dans la matinée.
Mais en lieu et place des mille à deux mille hommes attendus, c’est sur l’armée au grand complet d’ Abd el-Kader que tombe Montignac. Près de 10 000 guerriers dont 5 000 cavaliers.
A la tête de ses hussards, Montagnac sabre au clair, charge la cavalerie ennemie. Les Français sont très vite submergés et anéantis.
Montignac est mortellement blessé. Il n’est déjà plus question de capturer Abd el-Kader. Les Français luttent désormais pour leur survie. Les hussards massacrés, c’est au tour des chasseurs à pied de recevoir la charge de la cavalerie arabe. Le combat au corps à corps va durer trois heures.
Du bivouac, la 2e compagnie tente de se porter au secours de la colonne encerclée. Elle ne fait pas deux kilomètres avant d’être assaillie à son tour de tous côtés par une nuée de guerriers descendus des crêtes. Son chef est tué, l’officier en second, le capitaine Dutertre blessé, est fait prisonnier.I l n’est pas encore midi ce 23 septembre quand, sur les 421 hommes engagés, il n’en reste plus que 82 !
Péniblement, les survivants parviennent à se réfugier au marabout de Sidi-Brahim, situé à 1 km du bivouac. Soit une petite enceinte où sont plantés deux figuiers entourés d’un mur de pierre. Durant trois jours les rescapés, sans vivres, sans eau, vont soutenir le siège et les assauts de l’armée d’ Abd el-Kader. Pour tenir, la troupe boit sa propre urine, celle des quelques chevaux encore présents. Pour faire « passer », on la coupe avec quelques gouttes d’absinthe. On coupe aussi les cartouches en deux, puis en quatre, pour avoir plus de coups de fusil à tirer.
Pour en terminer et épargner la vie ses hommes, Abd el-Kader tente de négocier. Selon les usages de l’époque. Ainsi fait-il avancer l’officier Dutertre à qui il promet de trancher la tête s’il ne lance pas un appel à la reddition.Dutertre exhorte au contraire ses camarades à résister « jusqu’ à la mort ». C’est son dernier cri, sa tête roule aussitôt dans la rocaille.
Le clairon Rolland frise de connaître le même sort. Egalement prisonnier, on lui intime de sonner la retraite pour décourager les derniers combattants. Au péril de sa vie, il sonne alors la charge. Finalement épargné, il parviendra à s’évader quelques mois plus tard.
Evoquons encore le capitaine de Géraux qui organise la résistance dans le réduit et qui invite à se rendre, répond en écho à Cambrone à Waterloo : « Merde à Abd el-Kader, les chasseurs d’Orléans se font tuer mais ne se rendent jamais« .Le siège du marabout se poursuit ainsi les 24 et 25 septembre.
Côté assaillants, on sait que faute de vivres et surtout d’eau, la résistance ne peut pas s’éterniser. On attend donc que celle-ci s’épuise. Les assiégés caressent eux l’espoir, durant ces deux journées du 24 et du 25 septembre, qu’on va se porter à leur secours. Ce qui ne se produit pas. A l’aube du 26 septembre, à bout de force et dans l’impasse, les 82 survivants s’élancent à 6 heures du matin, baïonnette au canon, et dans une charge furieuse, parviennent à briser l’encerclement.
Leur espoir ? Rallier leur garnison de Djemaa Ghazaouet située à 15 km.S’engage alors une marche dantesque pour la petite troupe à demi-morte de soif et composée de nombreux éclopés. Les 82 soldats vont parcourir les 15 km en formation « au carré » afin de résister au attaques de l’ennemi qui surgit de tous côtés.
Passé l’effet de surprise, en effet, les forces d’Abd el-Kader qui s’étaient éparpillées en attendant la chute du marabout rappliquent en hâte pour participer à l’ultime curée.
Kilomètre après kilomètre, vaille que vaille, en dépit des nouveaux morts, des nouveaux blessés, « le carré » tient. Il parvient jusqu’à l’extrémité du plateau de Tient. A deux kilomètres seulement à vol d’oiseau de la garnison.
11 survivants
Ne reste plus qu’un profond ravin à franchir. Au bas duquel coule un ruisseau, l’oued El Mersa. Mais alors, la tentation est irrésistible. Le carré se disloque et les hommes s’y précipitent pour boire. Avec comme conséquence immédiate, celle d’un nouvel et ultime assaut.
S’en suit un corps à corps désespéré. Il n’y a plus de munitions. On s’étripe à l’arme blanche : sabre contre poignard ou baïonnette. 15 chasseurs et un hussard parmi les 80 échappés le matin de Sidi-Brahim parviendront à rallier le camp. 5 de ces 16 rescapés décèdent de leurs blessures dans les heures, les jours qui suivent. Onze survivants donc sur un effectif initial de quelque quatre cent hommes partis moins d’une semaine plus tôt capturer Abd el-Kader.
Parmi eux, pas un officier, pas un sous-officier n’ a survécu. Hélas pour Abd el-Kader, il ne transforme pas l’essai. Au terme de quinze ans de guérilla, il est finalement contraint de se rendre en 1847.
Reconnaissance internationale
D’abord emprisonné en France, il est finalement gracié par Louis Napoléon Bonaparte suite à une campagne menée dans l’opinion publique française et notamment par Victor Hugo. Puis le nouvel empereur des Français, Napoléon III, le dote d’une pension de 100 000 francs.Abd el-Kader part vivre en Syrie où il mène l’existence d’un intellectuel se consacrant à la théologie, à la philosophie.
En juillet 1860, de violentes émeutes anti-chrétiennes éclatent en Syrie. Les Druzes y massacrent plus de 3000 chrétiens à Damas. Abd el-Kader, dont l’autorité morale est grande à Damas, s’interpose et place les chrétiens de la ville sous sa protection personnelle. Son intervention, parfaitement efficace, sauve ainsi la vie de milliers de chrétiens. Un geste qui connaît un retentissement international.
D’Amérique, Abraham Lincoln lui envoie une paire de revolvers incrustés d’or. De Buckingham, les Britanniques, un fusil précieux. Le Vatican le décore de l’ordre de Pie XI, etc.
En France, à l’implacable ennemi d’hier, « aux mains tachées du sang des héros de Sidi-Brahim », l’on décerne la plus haute distinction. Il est fait Grand-croix de la légion d’honneur ! Abd el-Kader meurt à Damas en 1883, ses cendres reposent aujourd’hui au cimetière d’El Alia à Alger où – à quelques exceptions près – il est considéré comme le héros national. Les ossements des soldats français tombés à Sidi-Brahim ont été rassemblés au « tombeau des braves » au château de Vincennes à Paris.
« Francs chasseurs, hardis compagnons,
Cet article Batailles coloniales (1), Abd El-Kader anéantissait les Français en 1845 est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article Davido fait trembler le Parc des Princes le 28 juin est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>C’est un événement de taille, au sens propre comme au figuré. Le 28 juin, Davido, superstar nigériane de l’afrobeat, se produira en live au Parc des Princes, à l’occasion du festival AFREXIMfest, organisé par la Banque africaine d’import-export (Afreximbank). Ce concert exceptionnel, attendu par des milliers de fans, marque non seulement le retour de Davido à Paris, mais aussi une étape décisive dans la reconnaissance globale des musiques africaines. L’afrobeat entre ici dans l’arène des grandes messes musicales : un stade de football mythique, une scène monumentale, un public immense.
Davido n’est pas un inconnu pour le public francophone. Depuis ses premiers tubes dans les années 2010, il n’a cessé d’élargir son audience, devenant l’un des visages les plus emblématiques de l’industrie musicale nigériane. Avec des morceaux comme Fall, If, ou Unavailable, il a su fédérer un public international, bien au-delà des frontières du Nigeria. Sa musique mêle énergie rythmique, mélodies accrocheuses, et productions sophistiquées, avec une touche personnelle qui fait la différence. Il ne se contente pas d’aligner les hits, il incarne un style.
Ce concert s’inscrit dans le cadre du festival AFREXIMfest, organisé en marge des assemblées annuelles d’Afreximbank, qui se tiennent exceptionnellement à Paris cette année. L’événement entend célébrer la créativité africaine sous toutes ses formes, et le concert de Davido en est le point d’orgue.
L’artiste a déjà donné des concerts grand format à Londres (O2 Arena), à Atlanta ou à Lagos, avec une mise en scène digne des plus grands. Chorégraphies millimétrées, projections immersives, guests surprises : tout est pensé pour offrir une expérience totale. À Paris, il aura à cœur de livrer une prestation mémorable, entre tubes planétaires et titres plus récents. Le Parc des Princes, rarement associé à la musique afrobeat, s’apprête à vibrer autrement.
Artiste engagé, Davido impose sa musique telle qu’elle est, dans sa langue, avec ses codes, son esthétique. Pour les spectateurs présents, l’événement sera sans doute inoubliable. Davido en live, dans un stade mythique, devant un public survolté, au cœur de Paris : tout est réuni pour une soirée dense, chaude, généreuse. Le succès de cette date pourrait bien ouvrir la voie à d’autres artistes africains dans les grands lieux de la scène française.
Le 28 juin, c’est l’afrobeat qui prendra possession du Parc des Princes. Et c’est Davido, en maître de cérémonie, qui en donnera le tempo.
Informations pratiques
Date : samedi 28 juin 2025
Heure : début du concert à 20 h
Lieu : Parc des Princes, 24 rue du Commandant Guilbaud, 75016 Paris
Accès : métro ligne 9 (Porte de Saint-Cloud) ou ligne 10 (Porte d’Auteuil)
Billetterie : en ligne via les plateformes officielles (Ticketmaster, Fnac Spectacles, SeeTickets)
Ouverture des portes : à partir de 18 h
Durée estimée : 2 h
Places assises et debout – placement selon catégorie de billet
Cet article Davido fait trembler le Parc des Princes le 28 juin est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article La semaine culturelle africaine (20-27 juin) en six haltes est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Du 20 au 27 juin, Rabat devient le centre musical du continent avec le retour flamboyant de Mawazine. D’Etuk Ubong à Salif Keïta, la scène africaine y brille de mille feux dans un dialogue vibrant avec le reste du monde.
Au Maroc, la musique est une diplomatie. Une manière de tisser des liens entre les peuples, les langues, les héritages. Depuis plus de vingt ans, le Festival Mawazine – Rythmes du Monde en est la démonstration la plus spectaculaire. Pour l’édition 2025, qui se déroule du 20 au 28 juin, la promesse est tenue. Rabat et Salé accueillent à nouveau des dizaines de milliers de festivaliers venus d’Afrique, d’Europe et du monde arabe pour assister à un rassemblement musical unique en son genre. Entre scènes monumentales, concerts gratuits, et programmation vertigineuse, Mawazine se distingue par son ambition à conjuguer les voix du Sud global, dans toute leur diversité et leur excellence. Et cette année encore, l’Afrique y occupe le devant de la scène, non pas comme folklore, mais comme centre de gravité artistique.
Dès les premières notes, le ton est donné : le 21 juin, la Nigériane Yemi Alade électrise la scène de Bourregreg. Icône afro-pop, féministe engagée, diva solaire, elle enchaîne ses tubes dans un concert mêlant percussions traditionnelles et beats urbains. Dans la foule, des drapeaux nigérians, maliens, congolais se dressent entre deux chorégraphies. Le lendemain, le Sénégal est à l’honneur avec Cheikh Lô, dont le mbalax mystique et la voix feutrée convoquent une mémoire à la fois spirituelle et politique. Plus loin, sur la même scène, le Camerounais Etuk Ubong réinvente l’afro-jazz avec ses cuivres indociles, tandis que le 27 juin, Salif Keïta, la « voix d’or de l’Afrique », clôt majestueusement la semaine africaine du festival.
Ce qui frappe à Mawazine, ce n’est pas seulement la qualité des artistes programmés, mais la manière dont ils cohabitent avec d’autres figures majeures de la musique mondiale. Le rappeur 50 Cent, le Marocain El Grande Toto, le jazzman Etienne Mbappé ou encore le chanteur ghanéen Ckay partagent l’affiche avec des stars coréennes comme Aespa ou américaines comme Kid Cudi. Ce métissage de styles, loin du marketing global, est pensé comme un tissage cohérent d’identités musicales. Rabat devient alors une ville-plateforme, où l’on passe en quelques heures d’un griot malien à une rave électro ou à une performance gnawa.
Mais Mawazine, c’est aussi une géographie : des scènes réparties dans toute la capitale, des publics mélangés, une organisation massive mais fluide, et un ancrage populaire inébranlable. L’entrée est gratuite sur la majorité des sites, permettant à des milliers de Marocains, toutes classes confondues, de vibrer au rythme des musiques du monde. À Salé, sur la plage, les familles s’installent dès le milieu de l’après-midi. À l’OLM Souissi, les jeunes campent devant les grilles pour être au plus près de leurs idoles. Et à Bourregreg, entre les deux rives du fleuve, on danse comme si Rabat était soudain devenue Lagos ou Bamako.
Le choix de placer des figures africaines dans les créneaux les plus prestigieux n’est pas anodin. Il marque une inversion symbolique : ce ne sont plus les artistes du Nord qui légitiment ceux du Sud, mais bien l’Afrique qui attire, fédère, crée la dynamique. Yemi Alade, Salif Keïta, Etuk Ubong, Cheikh Lô : tous participent à une cartographie nouvelle des sons contemporains, où l’Afrique est à la fois racine et avenir.
Le festival n’est pas sans critiques. Certains dénoncent sa dépendance au mécénat royal, d’autres regrettent un déséquilibre entre Rabat et d’autres villes du royaume moins favorisées culturellement. Mais il est indéniable que Mawazine reste une vitrine d’excellence artistique africaine et un modèle de grand festival accessible. À l’heure où nombre d’événements culturels peinent à survivre, le maintien de cette ambition collective mérite d’être salué.
Infos pratiques :
Rabat & Salé, Maroc
Du 20 au 28 juin 2025 (programmation africaine du 21 au 27)
Entrée gratuite sur la plupart des scènes (Bourregreg, Salé, Nahda), zones VIP payantes
Artistes africains confirmés : Yemi Alade (21/6), Cheikh Lô (22/6), Etuk Ubong (23/6), Salif Keïta (27/6)
Plus d’infos : www.festivalmawazine.ma
Le 21 juin, Saint-Denis et Pierrefitte accueilleront deux figures majeures des musiques africaines : Oumou Sangaré et Jessy Matador. Entre traditions mandingues et rythmes urbains, la banlieue parisienne se transformera en scène d’Afrique plurielle et populaire.
La Fête de la Musique est, chaque année, une promesse de chaos joyeux, de concerts en plein air, de danses improvisées et de brassages inattendus. Mais à Saint-Denis et à Pierrefitte-sur-Seine, ce 21 juin 2025, la fête prendra des accents puissamment africains. Deux artistes majeurs y sont attendus : la grande Oumou Sangaré, surnommée la « diva du Wassoulou », et Jessy Matador, ambassadeur de l’afro-pop urbaine aux sonorités congolaises. Deux figures radicalement différentes, mais unies par un même désir : faire danser, faire penser, faire communauté.
À Saint-Denis, sur le parvis de la Basilique, les premiers spectateurs s’installeront bien avant le début du concert. Certains viendront pour la musique, d’autres pour la rencontre. Car voir Oumou Sangaré en live, dans un cadre aussi symbolique, relèvera du privilège rare. La chanteuse malienne, prix UNESCO de la musique en 2001 et militante infatigable pour les droits des femmes, offrira un concert tissé de griotisme moderne et d’engagement. Ses chansons, comme « Seya » ou « Moussolou », feront frissonner les spectateurs et résonneront comme autant de manifestes contre le silence et l’effacement des femmes. Et dans le public, nombreux seront ceux qui en connaissent déjà les paroles par cœur.
Mais la musique d’Oumou Sangaré ne se résume pas à une cause. Elle est une fête, une transe, une élégance. Son orchestre, composé de jeunes musiciens maliens mêlant kora, balafon et basse électrique, emportera la foule dans un tourbillon de rythmes traditionnels et d’arrangements contemporains. Le set s’achèvera par un hommage vibrant à toutes les « mères d’Afrique », tandis que le ciel dionysien s’illuminera lentement de lueurs estivales.
À quelques kilomètres de là, à Pierrefitte-sur-Seine, changement de décor mais même ferveur. Sur une grande scène montée pour l’occasion près de la mairie, Jessy Matador enchaînera les tubes avec une énergie débordante. « Décalé Gwada », « Mini Kawoulé », « Allez Ola Olé » : la foule, attendue en majorité jeune, chantera à l’unisson, smartphones en main, corps en mouvement. Artiste à la croisée du zouk, du coupé-décalé et du dancehall, Matador fera de sa prestation un véritable show populaire. Derrière les refrains festifs et les pas de danse syncopés, c’est une certaine idée de la banlieue qui s’exprimera : fière, diverse, bruyante, vivante.
Ce que cette soirée promet de démontrer, c’est que la Fête de la Musique peut encore être autre chose qu’un brouhaha de rue. Elle peut devenir un espace de transmission, de mémoire, et de reconnaissance. À Saint-Denis, les discours féministes d’Oumou Sangaré trouveront un écho immédiat dans les luttes locales pour l’émancipation, l’égalité et la visibilité. À Pierrefitte, les vibrations afro-caribéennes confirmeront que la banlieue est aujourd’hui l’un des épicentres des cultures africaines en France.
Il faut saluer aussi l’audace des programmateurs et le soutien des municipalités. Dans un contexte de repli identitaire et de crispation sur les questions migratoires, proposer une scène 100 % africaine un soir de fête nationale musicale relève d’un acte politique. C’est rappeler que la France, et tout particulièrement la Seine-Saint-Denis, est un creuset culturel, un territoire d’hybridations fertiles, un espace où la musique n’est pas une décoration, mais une langue commune.
Le public ne s’y trompera pas. Intergénérationnel, multiculturel, attentif et enthousiaste, il répondra présent à ces deux rendez-vous. Il y aura là des familles, des étudiants, des enfants, des anciens – tous venus écouter, danser, et surtout partager. L’Afrique ne sera pas une « invitation » dans cette édition : elle en sera l’hôte principal, l’âme battante, la cadence collective. Il ne s’agira pas d’une simple présence symbolique, mais d’une réalité sonore, incarnée, populaire.
En ce 21 juin, la Seine-Saint-Denis deviendra le théâtre d’une célébration africaine qui ira bien au-delà de la musique. Elle dira l’enracinement des diasporas, la richesse des circulations culturelles, et l’irrépressible vitalité des voix du Sud. À travers Oumou Sangaré et Jessy Matador, c’est toute une mémoire vivante, toute une puissance créative qui s’exprimera. Et dans une époque saturée de bruit, ces voix-là porteront loin. Très loin.
Informations pratiques :
Lieu : Saint-Denis (parvis de la Basilique) et Pierrefitte-sur-Seine (devant la mairie)
Date : samedi 21 juin 2025
Entrée : gratuite
Programmation africaine :
– Oumou Sangaré à Saint-Denis, 19h
– Jessy Matador à Pierrefitte, 20h30
Organisateurs : villes de Saint-Denis et Pierrefitte-sur-Seine, en partenariat avec le ministère de la Culture
Accès : RER D ou ligne 13, stations Basilique ou Pierrefitte-Stains
Le 20 juin 2025, à Vains dans la Manche, l’icône du reggae ivoirien Tiken Jah Fakoly se produira en acoustique dans le cadre du Green River Valley Festival. Une performance attendue dans un format intimiste, au cœur d’un événement éco-responsable et engagé.
Après un printemps marqué par plusieurs concerts remarqués, notamment à Rabat, à Paris et à Abidjan, Tiken Jah Fakoly s’apprête à poser sa guitare dans un cadre pour le moins singulier : la vallée de la Sélune, en Normandie. Ce 20 juin 2025, l’artiste est l’invité principal de la première soirée du Green River Valley Festival, un événement à taille humaine qui se distingue par sa démarche éthique et sa programmation alternative.
Le choix d’un set entièrement acoustique ne doit rien au hasard. Depuis quelques années, Tiken Jah Fakoly multiplie les formats dépouillés, renouant avec l’essence de sa musique : une parole directe, un rythme organique, une proximité avec le public. À Vains, commune rurale à quelques kilomètres du Mont-Saint-Michel, il interprétera ses titres phares dans un dispositif scénique réduit : guitare, percussions traditionnelles, balafon. Un retour aux fondamentaux, loin des grandes scènes et des effets spectaculaires.
Le public attend notamment des morceaux emblématiques comme « Plus rien ne m’étonne », « Le pays va mal » ou encore « Africains », qui retracent ses engagements politiques et panafricanistes. Depuis plus de trois décennies, Tiken Jah Fakoly porte un reggae de combat, ancré dans les réalités sociales du continent africain, mais aussi dans les fractures du monde contemporain. À l’instar de ses références historiques – Bob Marley, Alpha Blondy, ou encore Thomas Sankara qu’il cite souvent – il considère la musique comme un levier d’éveil collectif.
Lors de cette soirée normande, l’accent sera mis sur l’écoute, l’intensité du propos et la chaleur du lien humain. Selon les organisateurs, l’enjeu est de proposer un moment d’attention partagée, en phase avec les valeurs du festival : autonomie énergétique, circuits courts, sensibilisation environnementale. Créé en 2020, le Green River Valley Festival a gagné en notoriété pour sa programmation singulière, mêlant musiques du monde, électro, reggae, dub et expérimentations sonores. Il attire un public jeune, engagé et éclectique.
La présence de Tiken Jah Fakoly constitue donc un moment fort de cette édition. Elle s’inscrit aussi dans une logique de continuité. Depuis quelques années, l’artiste ivoirien adopte une posture de « sage engagé », alliant critique des pouvoirs en place et appel à la jeunesse. Dans ses concerts récents, il n’hésite pas à évoquer les dérives autoritaires en Afrique, les migrations contraintes, les défis écologiques, mais aussi les élans de résistance. À Vains, il devrait interpeller directement les jeunes générations, qu’il considère comme les principales actrices du changement.
Musicalement, le concert oscillera entre ballades introspectives et rythmes mandingues, entre reggae roots et influences traditionnelles ouest-africaines. Ce dialogue entre les continents est au cœur de sa démarche. Né en Côte d’Ivoire, installé au Mali, Tiken Jah Fakoly revendique une africanité ouverte, diasporique, capable de parler à l’Europe comme à l’Afrique. Ses textes, souvent écrits en français mais ponctués de bambara, mêlent références politiques, récits populaires et spiritualité laïque.
Avant son passage, la chanteuse brésilienne Flavia Coelho ouvrira la soirée avec un set afro-tropical et solaire, fusionnant samba, forró, reggae et hip-hop. En clôture, le collectif L’Entourloop proposera un set dub digital festif, dans un esprit plus dansant. Mais c’est bien le moment acoustique de Tiken Jah Fakoly qui cristallise l’attention, à la croisée de l’intime et du politique.
L’équipe du festival mise sur une réception attentive, dans un cadre naturel exceptionnel. Installé à flanc de vallée, le site offre une acoustique naturelle et une atmosphère propice au recueillement comme à la fête. En amont, des ateliers de sensibilisation, des conférences et des projections documentaires prolongent la démarche du festival. Cette année, plusieurs focus sont consacrés aux luttes paysannes, aux mouvements écologistes en Afrique de l’Ouest, et à la transmission des mémoires orales.
Dans un contexte où de nombreux festivals cèdent aux sirènes du divertissement standardisé, le Green River Valley Festival assume une ligne différente : moins de têtes d’affiche, plus de sens. La venue de Tiken Jah Fakoly en acoustique incarne cette orientation. Elle rappelle que la musique peut être une parole publique, une mémoire collective, et un moyen d’agir, y compris depuis une prairie normande, face au Mont-Saint-Michel.
Du 20 au 22 juin à Châteaubriant, le festival FACiA mêlera concerts, gastronomie et ateliers pour célébrer les cultures africaines et migrantes. Un événement de proximité, chaleureux et engagé, loin des clichés et des postures figées.
À Châteaubriant, petite ville de Loire-Atlantique marquée par l’histoire ouvrière et les luttes rurales, la culture africaine ne se contente pas d’être une thématique : elle est une présence vivante, une réalité locale, une part assumée du tissu social. Du 20 au 22 juin 2025, le Festival des Arts et Cultures d’Ici et d’Ailleurs — FACiA — reviendra pour une nouvelle édition fidèle à sa philosophie : proposer un moment d’échange sincère entre les cultures africaines et les territoires ruraux de l’Ouest français.
Pas de vedettes internationales ni de grandes scènes cloisonnées. Le FACiA privilégie l’intime, la rencontre directe, la découverte mutuelle. Tout commencera sur la place Ernest-Bréant, dès le vendredi soir, avec une série de concerts en plein air. Un groupe burkinabè installé à Rennes ouvrira le bal avec des rythmes mandingues modernisés, suivi d’une fanfare béninoise en déambulation parmi les stands. Les passants s’arrêteront, les enfants danseront, et l’air s’emplira de senteurs d’attieké, de mafé et d’autres plats africains préparés sur place.
Tout au long du week-end, la ville vibrera au rythme d’une programmation riche : ateliers de percussions ivoiriennes, spectacles de contes ouest-africains pour enfants, forum sur les migrations en lien avec les associations locales, démonstration de danse sabar animée par deux artistes sénégalaises vivant à Nantes… Chaque rue deviendra un espace d’échange. Les spectateurs ne viendront pas pour consommer une culture « exotique », mais pour entrer en dialogue avec elle.
Comme chaque année, le festival misera sur la participation active : des réfugiés accueillis dans la région seront associés à l’organisation des repas collectifs, tandis que des habitants hébergeront des artistes venus d’Afrique ou d’outre-mer. Ce tissage entre hospitalité, création et engagement donne au FACiA une identité singulière dans le paysage des festivals français.
Le point culminant aura lieu le samedi soir avec un concert collectif réunissant rap malien, spoken word congolais, musique kabyle et sonorités électroniques. Cette scène hybride, portée par de jeunes artistes et des musiciens confirmés, ambitionne de faire entendre une Afrique contemporaine, urbaine, politique, ouverte. Le public attendu, mêlé, attentif, familial, devrait donner à cette soirée une ambiance de célébration partagée.
Dans le contexte actuel, l’enjeu de ce festival va bien au-delà de la culture. Alors que les discours antimigrants se durcissent, que les identités sont instrumentalisées à des fins électoralistes, FACiA propose un autre récit : celui de l’échange, de l’apport, du vivre-ensemble par la création. Ici, les migrations ne sont pas un problème, mais une richesse. Et la culture sert de levier d’émancipation, de reconnaissance, de dialogue.
Soutenu par un réseau associatif dense et des collectivités locales volontaristes, FACiA affirme sa différence : pas de gigantisme, pas de folklore figé, mais une parole incarnée, portée par des artistes qui vivent les réalités qu’ils expriment. La plupart vivent en France, souvent dans des quartiers ou des zones rurales. Leur Afrique est celle du quotidien, des circulations multiples, des identités croisées.
Ce festival est aussi un lieu de pédagogie. Des rencontres scolaires, des projections documentaires et des expositions seront proposées durant les trois jours, afin de sensibiliser les jeunes et les familles à l’histoire coloniale, aux enjeux des migrations, aux formes d’art issues des diasporas. L’idée est de créer un espace de compréhension mutuelle, où chacun peut apprendre de l’autre.
Le dimanche, le festival se clôturera autour d’un grand repas partagé, un couscous collectif, et d’un concert de musique touarègue. Ce moment final, à la fois simple et symbolique, résumera l’esprit du FACiA : une convivialité sans artifice et une écoute réelle.
Des familles venues de Nantes, des habitants de Châteaubriant, des lycéens, des bénévoles, des travailleurs migrants sont attendus. Ils partageront le même espace, la même table, les mêmes rythmes. L’Afrique, ici, sera une présence familière.
Informations pratiques :
Lieu : Châteaubriant, Loire-Atlantique
Dates : du vendredi 20 au dimanche 22 juin 2025
Entrée : gratuite pour toutes les activités et concerts
Programmation : concerts d’artistes africains locaux et internationaux, ateliers de danse, percussions, gastronomie, contes, forums citoyens
Organisateurs : associations locales et collectifs de solidarité avec le soutien de la Ville
Accès : TER ou bus régionaux depuis Nantes/parkings sur site
Sorti le 11 juin, Indomptables de Thomas Ngijol réinvente le polar africain dans un Yaoundé crépusculaire. Entre pression politique, trahison intime et quête de justice, ce premier long-métrage filme l’Afrique sans complaisance ni folklore. Une claque.
Des policiers corrompus, une justice sous pression, un héros usé mais encore debout : sur le papier, Indomptables pourrait ressembler à un polar classique. Mais ce film, écrit, réalisé et incarné par Thomas Ngijol, ne suit aucune route balisée. Tourné à Yaoundé, au Cameroun, avec une équipe essentiellement africaine, Indomptables s’impose comme une œuvre rare, tendue, audacieuse, qui bouleverse les représentations habituelles de l’Afrique dans le cinéma francophone. Ce n’est pas une carte postale, ni un manifeste. C’est un récit, brut et tendu, où chaque choix esthétique est au service d’une vérité sociale et politique.
Thomas Ngijol, qu’on connaît surtout pour ses rôles comiques en France, incarne ici le commissaire Billong, flic de quartier honnête, enfermé dans un système où l’intimidation, le clientélisme et les petits arrangements sont devenus la norme. Quand un jeune homme est retrouvé mort dans un quartier populaire, Billong s’entête à suivre la piste du crime, même si ses supérieurs lui demandent d’enterrer l’affaire. Plus il creuse, plus il découvre que la corruption est endémique, que les lignes sont brouillées, que la violence est diffuse. Et plus il est seul.
Ce qui frappe dès les premières minutes, c’est la mise en scène : nerveuse mais jamais tape-à-l’œil, portée par une caméra à l’épaule qui épouse la démarche lente et lourde du commissaire. Yaoundé n’y est pas filmée comme une capitale exotique, mais comme une ville-vérité : ses rues poussiéreuses, ses hangars, ses postes de police déglingués, ses intérieurs délavés sont autant de décors réels, palpables, sans aucun fard. Loin de la fiction tropicale aseptisée, Indomptables montre une Afrique urbaine contemporaine, entre survie et résilience, où le quotidien est un équilibre fragile entre peur et dignité.
Ngijol, dans le rôle principal, surprend. Physiquement présent, mutique, il compose un personnage tout en tension contenue, presque anti-héroïque. Son commissaire n’est ni un sauveur, ni un justicier. C’est un homme seul, pris dans un filet de mensonges, de pressions familiales et d’hésitations morales. À ses côtés, un casting impeccable : Aline Boro, dans le rôle de son épouse, incarne la lassitude d’une femme qui ne croit plus aux promesses. Armand Fopa, jeune acteur camerounais, est bouleversant dans le rôle du petit frère idéaliste qui veut tout changer. Et les seconds rôles, souvent interprétés par des acteurs non-professionnels, apportent à chaque scène une vérité brute, comme captée sur le vif.
Le film n’est pas démonstratif. Il ne donne pas de leçons, n’assène aucun discours. Mais il dit beaucoup. Sur la solitude des justes. Sur le poids du silence. Sur la peur comme mode de gouvernance. Sur ce que signifie rester intègre dans un monde qui vous pousse à trahir. Indomptables n’est pas un film « sur » l’Afrique : c’est un film qui parle depuis l’Afrique, avec sa langue, ses rythmes, ses contradictions. Il refuse le spectaculaire pour préférer l’épaisseur du réel.
La photographie, signée par la Franco-sénégalaise Mariama Ndoye, joue des ombres et des lumières pauvres : le jour écrase, la nuit protège. Les sons, captés sur le terrain, donnent au film un grain documentaire. Chaque moto, chaque cri, chaque radio grésillante participe de cette immersion. La musique, très discrète, n’apparaît que par touches, laissant la place aux silences lourds, aux dialogues arrachés.
Sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes 2025, Indomptables a surpris par sa radicalité formelle et sa maturité politique. Depuis sa sortie en salles en France le 11 juin, il bénéficie d’un bouche-à-oreille enthousiaste, notamment dans les quartiers populaires, les milieux associatifs, et chez les jeunes spectateurs afro-descendants. C’est un film à voir, à faire tourner, à discuter. Car il dit, sans fracas mais avec une lucidité implacable, ce que d’autres refusent encore de regarder.
Informations pratiques :
Titre : Indomptables
Réalisation : Thomas Ngijol
Durée : 1h42
Sortie en France : 11 juin 2025
Langues : français et pidgin camerounais, sous-titré
Genre : drame policier, polar social
Distribution : en salles dans les cinémas UGC, MK2, Pathé, ainsi que dans des salles indépendantes (voir Allociné ou Cinémutins pour horaires)
Dans son nouveau roman, Hemley Boum tisse un récit bouleversant entre Douala et Paris, entre un grand-père mutique et son petit-fils égaré. Une traversée des non-dits familiaux, des blessures post-coloniales et des naufrages intérieurs. Profond, maîtrisé et nécessaire.
Il y a dans Le rêve du pêcheur un calme apparent, une retenue pudique, une écriture sans cri. Et pourtant, tout y est déchirure. Hemley Boum, autrice camerounaise déjà reconnue pour Les jours viennent et passent ou Si d’aimer, revient avec ce cinquième roman, sans doute le plus intime et le plus universel. En tissant la parole de deux hommes, d’une même lignée mais séparés par les époques, les continents et les blessures, elle donne voix à ce qui d’ordinaire reste tu : la mélancolie des pères, le silence des hommes, le poids des héritages qu’on n’a pas choisis.
Tout commence par un retour. Zack, trentenaire franco-camerounais, quitte Paris après une dépression sévère pour rejoindre Douala, la ville de son enfance, et surtout son grand-père Zacharias, ancien pêcheur désormais à l’écart du monde. Le petit-fils est brisé, rongé par la honte et la fatigue. Le grand-père, lui, vit dans un mutisme volontaire, après une vie traversée par la guerre, les humiliations coloniales, les renoncements. Entre eux, rien n’est dit. Mais tout se devine. Peu à peu, dans la lenteur des jours, les gestes du quotidien, les récits indirects, la parole se tisse. Et dans ce dialogue fragile, se dessinent les contours d’une mémoire recomposée.
Hemley Boum excelle dans l’art du récit à deux voix. Celle de Zack, jeune homme urbain, cultivé mais déboussolé, donne au roman sa lucidité contemporaine. Il parle de l’Europe avec acuité, de la psychiatrie comme lieu d’échec, des rapports ambigus à la « double culture ». Sa souffrance est silencieuse, presque honteuse, mais profondément humaine. Face à lui, la voix de Zacharias est un fleuve souterrain : elle remonte l’histoire coloniale, les combats d’indépendance, la misère des anciens combattants, les désillusions postcoloniales. Mais cette voix n’est jamais didactique. Elle est lente, rugueuse, tremblante, pleine de zones d’ombre.
Le roman avance ainsi par touches, comme des filets lancés sur l’eau. Il ne suit pas une intrigue classique, mais une dynamique d’apaisement. Ce qui importe, ce n’est pas la révélation finale ou le retournement spectaculaire, mais la manière dont la parole trouve à s’inscrire dans la durée, dans la répétition des gestes. Le rêve du pêcheur est un roman de l’écoute, du temps long, du soin lent. Il refuse le sensationnel pour lui préférer la densité émotionnelle.
Hemley Boum possède un style qui sait dire beaucoup avec peu. Chaque phrase est ciselée, chaque dialogue sonne juste. On sent dans son écriture une grande tendresse pour ses personnages, mais aussi une exigence éthique : ne jamais les trahir par le pathos. La douleur est là, mais contenue. Le politique n’est jamais séparé de l’intime. Et dans le silence de Zacharias, c’est toute une génération qu’elle donne à entendre : ceux qui ont tout donné et n’ont rien reçu ; ceux qui ont été envoyés combattre, puis oubliés ; ceux qui, pour survivre, ont dû taire l’essentiel.
Ce roman parle aussi de la folie. Pas celle qui fait peur, mais celle qu’on n’ose pas nommer. La dépression de Zack n’est pas un accident, elle est le fruit d’un déséquilibre plus vaste, entre générations, entre mondes. Le rêve du pêcheur est aussi une manière de dire que la santé mentale, souvent taboue dans les sociétés africaines comme dans les diasporas, doit être abordée autrement : non pas comme une faille individuelle, mais comme un symptôme collectif. C’est une proposition rare et précieuse dans le paysage littéraire francophone.
Enfin, le titre lui-même est un poème. Le rêve du pêcheur. Une image douce, presque biblique. Le vieux Zacharias rêve encore, malgré tout. Pas de grandeur. Pas de revanche. Juste d’un lien. D’une continuité. D’une main tendue. Et ce rêve, fragile et tenace, suffit à faire tenir le roman tout entier. Il est ce qui, dans la nuit, dans le déracinement, dans la perte, nous relie encore.
Hemley Boum signe ici un grand roman, discret mais puissant, à lire lentement, à laisser infuser. Un roman de filiation et de réparation. Un texte qui dit l’Afrique sans folklore et l’exil sans caricature. Un livre indomptable.
Informations pratiques :
Titre : Le rêve du pêcheur
Autrice : Hemley Boum
Éditeur : Gallimard (collection Blanche)
Parution : octobre 2024
Prix : 22 € (version papier), 15,99 € (version numérique)
Distinction : Grand prix Afrique 2025
Disponibilité : en librairie, Fnac, Amazon, sites indépendants (Place des Libraires, Librairie Africaine)
Cet article La semaine culturelle africaine (20-27 juin) en six haltes est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Mondafrique qui rentre dans sa onzième année d’existence le doit à ses fidèles lecteurs qui résident pour moitié en Europe (majoritairement en France, beaucoup au Canada) et pour moitié dans les pays du Maghreb (surtout en Algérie) , du Sahel (le Niger et le Mali en tète) et du Moyen Orient (notamment le Liban).
Avec quelques 500000 visiteurs par mois pour le site fondé en 2014, 35000 abonnés sur Instagram et 5000 fidèles de nos pages WhatsApp , « Mondafrique » a imposé une vision pluraliste et originale en matière d’information sur le monde arabe et africain. Depuis le début des guerres en Ukraine et au Moyen Orient, nous ne nous interdisons pas d’accueillir des analyses sur les grands équilibres mondiaux qui ne peuvent pas manquer de se répercuter sur le mode africain et maghrébin.
Notre positionnement critique vis à vis des pouvoirs en place, la diversité des contributeurs du site -journalistes, diplomates, universitaires ou simples citoyens-, la volonté enfin d’apporter des informations et des analyses qui tranchent avec la reste de la presse ont été nos seules lignes de conduite.
Nous revendiquons une totale transparence. Deux hommes d’affaires et actionnaires du site, l’un mauritanien et l’autre libanais, nous permettent de disposer de ressources pour faire vivre le site. Qu’ils en soient remerciés.
La seule publicité dont nous disposons est celle de Google
Le fondateur de Mondafrique, Nicolas Beau, contrôle l’actionnariat, ce qui place notre media à l’abri de toutes les pressions.
Cet article Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article Le formidable patrimoine musical en Afrique de 1300 à 1650 est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>L’année dernière, un colloque était organisé à Tours sur « la musique en Afrique et sa diffusion dans le monde à l’époque moderne (1300-1650) » avec le concours de Camilla Cavicchi qui enseigne à l’Université de Padouede, Janie Cole, Associate Lecturer à l’Université de Cape Town en Afrique du Sud, et Philippe Vendrix, qui dirige le programme de recherche Ricercar au CNRS.
Un entretien d’Alexandre Vanautgaerden, historien et historien d’art, avec Camilia Cavicchi
Camilla Cavicchi insiste sur les les rites et coutumes cérémonielles que l’on trouve dans les récits, par exemple, ceux du diplomate et juriste arabe, Hasan ben Mohammed al-Zaiyati. Fait prisonnier par des pirates chrétiens et remis au pape Léon X à Rome en 1517, il se convertit au christianisme et prend le nom de Léon l’Africain. Il opère ensuite comme ambassadeur et médiateur entre les mondes chrétien et arabe.
Dans sa Description de l’Afrique (écrite entre 1523 et 1526), il nous relate une cérémonie funéraire dans l’ancienne ville impériale de Fès au Maroc, où il a vécu: « Lorsque les femmes portent le deuil de leur mari, père, mère ou frère, elles se rassemblent et, après s’être dépouillées de leurs vêtements, elles enfilent de grands sacs. Enlèvent leurs vêtements, se frottent le visage avec, puis font venir à eux ces méchants hommes en habits de femme, qui portent certains tambours carrés : lorsqu’ils en jouent, ils chantent soudain des vers tristes et larmoyants à la louange du mort, et à la fin de chaque vers, les femmes pleurent à haute voix, et se frappent la poitrine et les joues, de sorte qu’une grande quantité de sang s’écoule. Et elles se déchirent les cheveux, tout en pleurant et en criant fort. Cette coutume dure sept jours ; puis ils s’interrompent pendant quarante jours, pendant lesquels lesdits pleurs sont répétés pendant trois autres jours continus. Et tel est l’usage courant du peuple. Les plus honnêtes hommes pleurent sans coup férir ; leurs amis Leurs amis viennent les réconforter, et tous leurs proches parents leur envoient des cadeaux de nourriture, car dans la maison des morts, tant qu’il y a un corps, il n’est pas coutume de cuisiner, et les femmes n’ont pas l’habitude d’accompagner les morts, même s’il s’agit de pères ou de frères. »
Si ce récit à Fès n’est pas sans évoquer l’extraordinaire passage homérique de la complainte pour la mort d’Hector dans l’Iliade (XXIV, 710-723), les ethno-musicologues ou historiens y repèrent d’abord la présence de ces musiciens en tenue féminine et l’utilisation du tambourin carré.
Pour tenter de raconter cette histoire globale qui intègre la musique du continent africain, une autre source importante pour Camilla Cavicchi est l’observation des œuvres d’art. Ce tambourin carré se retrouve, notamment, représenté sur les peintures du plafond en bois réalisées par des artisans arabes vers 1150 après J.-C. dans la chapelle palatine de Palerme (ill. 2). Le batteur y joue avec d’autres musiciens la musique d’al-janna, le paradis décrit par le Coran.
Les Africains n’ont d’ailleurs pas manqué de représenter leurs musiciens et leurs instruments, tel ce très beau joueur de cor de la garde royale de l’Oba du Bénin (ill. 3), datant de la fin du XVIe siècle, conservé non au Bénin mais à Londres au British Museum. Nous reviendrons prochainement sur cette problématique du « déplacement » des œuvres d’art, dans une série d’articles traitant du thème de la restitution. Symboliquement, cette œuvre béninoise a été choisie pour illustrer l’affiche du colloque (ill. 4).
Camilla Cavicchi attire ensuite notre attention sur une autre source très étudiée actuellement : la lecture des chroniques et journaux de voyage. Un groupe de recherche à l’Université de Padoue se concentre d’ailleurs sur l’étude de ces récits riches en notation pour cette nouvelle histoire de la musique, depuis Christophe Colomb jusqu’à Darwin.
Ce colloque de Tours va alterner des sessions consacrées à des zones géographiques en Afrique et à la thématique des influences de l’Afrique en Europe, avec des tables rondes dont l’une sur la décolonisation, ainsi qu’un atelier d’interprétation musicale historique.
On terminera par un regret. S’il est remarquable que les organisateur et organisatrices se soient démenés pour trouver les financements permettant à tous les intervenants de se rencontrer en France, il est regrettable que les problèmes récurrents de visas, ou de vaccin et pour finir l’augmentation des prix des vols en raison de la guerre en Ukraine empêchent la majorité des chercheurs africains d’être présents en France, les obligeant d’intervenir via Zoom, les privant ainsi du fruit des discussions informelles qui, on le sait, font le plus avancer la recherche.
RENSEIGNEMENTS PRATIQUES
Ce colloque international réunit 45 intervenants d’Europe, d’Afrique et d’Amérique. L’inscription est gratuite, mais obligatoire.
Le colloque se tiendra en format hybride en présentiel au Centre d’études supérieures de la Renaissance et en distanciel via Zoom. La séance inaugurale sera retransmise en direct sur Youtube.
Tous les renseignements, le programme et le lien de connexion peuvent être consultés à l’adresse suivante : https://cesr-cieh2022.sciencesconf.org/
LE LIEU
Le Centre d’études supérieures de la Renaissance
59, rue Néricault-Destouches BP 12050 37020 TOURS Cedex 1
LES ORGANISATEURS
Camilla Cavicchi, Università degli Studi di Padova
Janie Cole, University of Cape Town, South African College of Music
Philippe Vendrix, CNRS-CESR, Tours
CONTACT
Marie Laure Masquilier : masquilier[at]univ-tours.fr
POUR ALLER PLUS LOIN
Roberto Leydi, L’altra musica, Giunti-Ricordi, 1991.
Nathalie Zemon Davies, Léon l’Africain : un voyageur entre deux mondes, 2014.
Camilla Cavicci, « Lamentazioni d’effimenti nella Fez del Cinquecento », 2007 (https://www.academia.edu/2325679/Lamentazioni_deffeminati_nella_Fez_del_Cinquecento).
David RM Irving, “Rethinking Early Modern ‘Western Art Music’: A Global History Manifesto”, IMS Musicological Brainfood, 2009, 3 (1): 6-10. (https://www.icrea.cat/en/Web/ScientificStaff/davidrmirving/selected-publications#researcher-nav).
Janie Cole, project “Re-Centring AfroAsia: Musical and Human Migrations in the Pre-Colonial Period 700-1500 AD” (www.afroasia.uct.ac.za).
Philippe Vendrix, projet Ricercar (https://ricercar.cesr.univ-tours.fr/).
Projet de recherche Traveling Diaries from Cristoforo Colombo to Charles Darwin: Identità musicali di popoli senza note nei racconti di viaggio (https://www.research.unipd.it/handle/11577/3350466?mode=full.973).
Cet article Le formidable patrimoine musical en Afrique de 1300 à 1650 est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article Une poésie arabe « volcanique » (volet 1), entre énergie et émerveillement ! est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cette série d’entretiens sur la poésie arabe signés Christophe Barreyre, réalisateur, éditeur et ancien rédacteur en chef et producteur de l’émission Affaires sensibles sur France Inter
L’IMA en collaboration avec les excellentes Editions l’Harmattan propose des rencontres poétiques exceptionnelles: « Poésie volcanique, ébullition, énergie et émerveillement! » Une édition sous le signe du feu et de l’émotion. Avec un choeur poétique multilingue, avec entre autres les poétesses Afyai Al Asadi, d’Irak, Imen Moussa de Tunisie ou encore le poète Ghassan Tarabay du Liban.
Le Printemps des poètes s’affirme comme un espace où la création poétique se renouvelle sans cesse, portée par une dynamique collective et fédératrice.
Cet article Une poésie arabe « volcanique » (volet 1), entre énergie et émerveillement ! est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article L’obsession française sur le voile est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Dans le monde anglo-américain, même après le 11-Septembre, le voile n’est pas considéré comme l’étendard d’une insurrection. Le gommage de toute différence ethnique, raciale et religieuse n’est pas une condition nécessaire pour l’intégration dans la nation. Une phrase du poète américain Walt Whitman résume à peu près la manière dont la diversité est conçue : « Je suis grand, je contiens des multitudes ».
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas de problèmes de discrimination terribles et persistants basés sur les différences (raciales en particulier) aux États-Unis ; simplement ces différences sont reconnues comme partie intégrante de l’héritage national. Elles sont relevées dans les recensements, décrites dans les collections de données institutionnelles, et comprises comme étant la source de notre richesse culturelle. Les appellations composées (« Africain-Américain », « Italien-Américain », « juif-Américain », « musulman-Américain ») disent assez l’acceptation du fait que les identités politiques et culturelles peuvent coexister sans porter atteinte à la nécessaire unité nationale. Si durant les primaires en cours de la prochaine élection présidentielle des failles majeures se sont révélées, elles sont plus fondées sur les disparités économiques que sur les différences ethniques ou religieuses. Ce sont les énormes inégalités de revenus et non les affiliations communautaires qui divisent l’électorat et nos hommes politiques en ce moment.
Pour toutes ces raisons, l’obsession française du voile islamique nous semble correspondre à ce qu’Emmanuel Terray nommait en 2004 une « hystérie politique ». La rhétorique déchaînée, les menaces et les lois punitives visant les vêtements féminins (hijab, voile intégral, abaya) semblent excessives, pour ne pas dire insensées. L’alarme lancée en 1989 par Alain Finkielkraut, Élisabeth Badinter et d’autres, prédisant que la non-interdiction du hijab dans les écoles serait le « Munich » de la République a conduit certains d’entre nous à se demander comment ces supposés intellectuels sérieux pouvaient grossir le trait à ce point. Récemment, le commentaire de Laurence Rossignol comparant le port du voile à la soumission volontaire à l’esclavage a suscité une interrogation du même ordre : avait-elle la moindre idée de l’épisode historique auquel elle faisait allusion ? Et quand Charlie Hebdo puis la rédaction de Libération ont mis en garde contre l’inévitable pente glissante conduisant du voile aux attentats terroristes et fustigé les « islamo-gauchistes » qui dénonçaient l’amalgame entre les traditions musulmanes et l’islam politique, il était difficile de ne pas lire dans leurs articles autant d’exemples de l’islamophobie qu’ils niaient si bruyamment.
Un autre aspect troublant de la focalisation sur l’habillement des femmes musulmanes est l’idée que la « laïcité » exigerait l’interdiction du voile au nom de l’égalité entre hommes et femmes. Ceux d’entre nous qui connaissent un peu l’histoire de ce mot sont surpris de le trouver invoqué comme principe de l’égalité de genre. Cela n’était certainement pas la préoccupation des anticléricaux qui ont inventé le terme en 1871, ni celle des auteurs de la loi de 1905 qui prescrit la neutralité de l’État en matière de religion et ne dit absolument rien de la façon dont les femmes doivent être traitées. C’est plutôt la « nouvelle laïcité » (ainsi nommée par François Baroin en 2003 lorsque l’interdiction du voile était en débat) qui a fait entrer l’égalité entre les hommes et les femmes dans les principes fondateurs de la République. Elle transfère l’exigence de neutralité de l’État à ses citoyens, des institutions et des représentants de l’État à tout l’espace public et à tous ses habitants. La « nouvelle laïcité » exige des individus qu’ils comprennent que la neutralité, définie comme l’absence du plus modeste signe d’affiliation religieuse, est la condition sine qua non de l’appartenance à la nation.
Le mot « laïcité » est polémique depuis sa création en 1871 par les militants anticléricaux. À l’époque, il servait à contrer le pouvoir de l’Église catholique ; à présent, il est utilisé pour définir une identité française qui exclut les musulmans. Dans les deux cas, les femmes sont considérées comme un danger potentiel pour la République. Au XIXe et au début du XXe siècle, on soupçonnait les Françaises d’être sous l’influence des prêtres ; au XXIe siècle, ce sont les femmes musulmanes dont les foulards sont le signe d’un « défaut d’assimilation » inacceptable, et d’un refus agressif de l’égalité soi-disant caractéristique de la République. Finkielkraut l’a dit sans détour dans un entretien au New York Times1 : « la laïcité l’a emporté. Et nous ne pouvons faire aucun compromis sur le statut des femmes. (…) Tout vient de là. »
L’assimilation culturelle est une caractéristique bien connue de l’identité française. Le souci de représenter la France comme une nation homogène est ancien ; des générations d’immigrants ont ainsi été sommés de perfectionner leur pratique de la langue, s’identifier à « nos ancêtres les Gaulois » et déclarer avant tout leur loyauté envers les fondamentaux culturels et politiques du pays. Mais les partisans de l’assimilation n’ont que très rarement ciblé les femmes comme ils le font actuellement. Pourquoi sont-elles devenues l’objet d’une telle attention ? La plupart des terroristes sont des hommes ; les armées de l’organisation de l’État islamique sont complètement masculines. Pourquoi les politiciens français, notoirement rétifs à voter des lois sur la violence domestique, le harcèlement sexuel ou l’égalité salariale, et (pour la plupart) résistant activement à la mise en œuvre de la loi sur la parité en politique, pourquoi ces hommes — avec quelques soutiens féministes — sont-ils si soucieux du statut des femmes dès lors qu’il s’agit de l’islam ? Qu’est-ce que leur obsession du vêtement des femmes musulmanes nous dit sur les angoisses des républicains français ?
Certes, ils en appellent à la vieille idée d’une identité française homogène et à une vision de la laïcité dans laquelle la religion est privatisée — une question de conscience individuelle qui n’a pas à être publiquement exposée. De ce point de vue, peut-être, l’habillement des femmes musulmanes est vu comme marquant plus visiblement leur appartenance religieuse que les vêtements des hommes musulmans. On puise aussi dans les réminiscences de la « mission civilisatrice » coloniale qui vantait le traitement supérieur des femmes françaises (bien avant qu’elles aient le droit de vote ou qu’elles soient libérées des restrictions du Code napoléonien) sur celui des femmes « indigènes », dont les voiles avaient alors un attrait érotique, et n’étaient pas comme aujourd’hui un signe de répression sexuelle. Et puis, il y a la Marianne dévêtue, symbole de la nation ; poitrine nue, elle est La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix et l’icône qui figure en bonne place dans les hôtels de ville d’un grand nombre de municipalités. Dans la polémique actuelle, Marianne à la gorge offerte incarne les femmes françaises émancipées par opposition aux femmes voilées qui seraient soumises à l’islam.
Mais je pense qu’il y a plus que tout cela. Quelque chose qu’on pourrait appeler l’inconscient politique du républicanisme français, qui alimente l’hystérie autour du vêtement des femmes musulmanes. Cette hystérie dont nous sommes témoins provient d’une contradiction inavouée, mais persistante entre l’égalité politique et la différence sexuelle. Il est possible que ce ne soit pas le motif direct dans le cas de Badinter ou de Manuel Valls, mais je pense que cela va jusqu’à entacher leur défense inflexible de la République laïque et contribue à expliquer plus généralement la fixation sur les femmes musulmanes et leurs foulards.
La contradiction est évidente depuis 1789 et n’a pas disparu quand les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944. La citoyenneté en France est basée sur un individualisme abstrait. L’individu est l’unité essentielle, indépendamment de la religion, de l’ethnie, de la position sociale ou de la profession. Une fois ôtés tous ces éléments, les individus sont tous pareils, c’est-à-dire égaux. Mais dans la longue histoire de la politique française, la différence sexuelle a constitué le principal obstacle au « même », à la ressemblance, vue comme une distinction naturelle et donc impossible à éliminer. La nature a décrété un manque de similitude (donc une inégalité de ce point de vue) que la société ne peut pas corriger. Il y a une profonde incompatibilité entre la promesse universelle d’égalité dans la théorie politique républicaine et la différenciation sexuelle créée par la nature. Cela n’entre pas dans la logique républicaine.
Quand les femmes ont obtenu le droit de vote, ce fut en tant que groupe particulier, non en tant qu’individu(e)s. Dans les débats sur la parité, l’argumentation qui a finalement permis à la loi de passer a été celle qui a remplacé l’individu par le couple hétérosexuel. Sylviane Agacinski a ainsi affirmé (pour la parité et contre le PACS en 1999) qu’il ne pouvait pas y avoir de Parlement monosexué comme il ne pouvait y avoir de familles monosexuées. La complémentarité s’est ainsi substituée à l’égalité des individus. Dans l’éloge de la séduction comme trait de caractère national, la complémentarité est asymétrique : les femmes « consentent amoureusement » à leur subordination aux hommes.
L’accent mis sur le jeu de séduction ouvert entre hommes et femmes, et en particulier l’affichage public du corps des femmes, sert à démontrer leur différence et la nécessité de les traiter autrement. En ce sens, le problème que pose le sexe à la théorie politique républicaine est nié. Paradoxalement, l’« objétisation » de la sexualité féminine sert à « voiler » une contradiction inhérente au républicanisme français : son incapacité à réconcilier la différence sexuelle « naturelle » avec la promesse d’égalité pour tous.
Le voile des femmes musulmanes semble présenter un défi de ce point de vue, menaçant d’exposer la contradiction niée ou réprimée de la théorie républicaine. L’habillement « modeste » répond directement aux problèmes posés par le sexe et la sexualité dans les relations sociales et la politique. Il atteste que les relations sexuelles sont interdites sur la place publique. Certaines féministes musulmanes affirment que c’est ce qui les libère en fait, mais que ce soit le cas ou non, ou que chaque femme qui met un voile en comprenne le symbolisme de cette manière ou pas, le voile signale l’acceptation de la sexualité et même sa célébration, mais seulement dans des circonstances particulières — en privé, au sein de la famille. Le paradoxe ici est que le voile rend explicites — visibles pour tous — les règles de l’interaction de genre qui déclarent que les échanges sexuels se font hors de l’espace public.
C’est la reconnaissance explicite d’un problème que la politique française veut nier qui rend le voile « visible » au sens sexuel du terme. Le vêtement des femmes musulmanes est la preuve des difficultés que présente le sexe pour les échanges dans la sphère publique — difficultés que les républicains français veulent nier. Leurs pieuses déclarations sur l’égalité sont en totale contradiction avec leur profond malaise dès qu’il s’agit de partager le pouvoir avec l’autre sexe. La séduction est pour eux une alternative préférable.
Je ne veux pas nier les aspects patriarcaux des pratiques musulmanes, mais nous ne devons pas ignorer non plus le fait qu’il n’y a pas d’égalité de genre parfaite en France. Les femmes sont objétisées dans les deux systèmes, quoique différemment. Je veux simplement dire que l’hystérie politique sur le voile doit être comprise non pas comme une réponse simple et logique au terrorisme, ni comme la défense de l’égalité de genre. C’est plutôt une façon de nier la persistance d’inégalités à l’intérieur de la société française (inégalités qui vont du genre à la race et à l’ethnie). Ces inégalités ne sont pas accidentelles ; elles sont consubstantielles à un système politique qui fait du « même » abstrait le fondement de l’égalité, et de la différence sexuelle concrète l’exception et la justification d’une inégalité qui, parce qu’elle est « naturelle », ne peut pas être nommée.
C’est peut-être une autre manière de dire que toute l’attention portée à l’inégalité qui caractériserait le sort des seules femmes musulmanes est un moyen d’évacuer les problèmes concernant les femmes françaises en général — différents bien sûr, mais qui n’ont pas été résolus par la loi (le vote, les modifications du Code civil, la parité) ni par d’autres moyens. Une chose est sûre, si l’inégalité de genre existe également dans le monde anglo-américain, elle n’a pas pris la forme de cette obsession des femmes musulmanes et de leurs voiles dont on peut dire qu’elle est une singularité française.
Cet article L’obsession française sur le voile est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article Un entretien avec Marc Petitjean, réalisateur de « Dakar-Djibouti 1931 ». est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Paris était encore écrasé sous le soleil quand je rencontrai le réalisateur Marc Petitjean pour parler de son film sur La mission Dakar-Djibouti. Le butin du musée de l’Homme. La lumière paraissait plus éclatante à cause du bruit des voitures qui tournaient telles des mouches sur la place, nos oreilles bourdonnaient comme si nous étions à l’intérieur d’une calebasse. Nous nous réfugiâmes dans la brasserie qui jouxte le Théâtre du Châtelet, où Abderrahmane Sissako avait monté son spectacle sur Le vol du boli, quelques mois auparavant.[1] Cet objet rituel « prélevé » contre quelques francs par Michel Leiris sous les ordres de Marcel Griaule dans un sanctuaire à Kéméni, où ils n’auraient jamais dû pénétrer sans être initiés.
Marc Petitjean est un grand échalas que le sourire ne quitte jamais, bien qu’il boive du jus de citron sans sucre. J’ai visionné son film deux fois avant de le rencontrer. Il se regarde comme l’on part en voyage. Le narrateur, Damien Bonnard, a la voix chaude, il nous prend par la main et nous raconte l’expérience de la mission mois après mois, pays après pays. On assiste aux préparatifs, à la recherche de financement, on dirait aujourd’hui au fund-raising. C’était une époque où les missions scientifiques pouvaient faire appel à un boxeur, Al Brown, pour récolter des fonds. Organiser un combat de boxe, avant de partir en Afrique « sauver » la culture de peuples qui ignoraient qu’ils étaient en train de la perdre. Ils étaient trois au départ : l’ethnologue Marcel Griaule, formé à l’école de Marcel Mauss ; un dandy, conservateur de musée et ami de Joséphine Baker, Georges-Henri Rivière, et, enfin, un jeune écrivain surréaliste en psychanalyse, Michel Leiris, en quête d’un continent sauvage intérieur. Belle équipe. Georges-Henri Rivière organise la mission avec les autres mais reste à Paris.
Marc Petitjean me raconte que la famille de son père avait une pharmacie Boulevard de l’Hôpital, près du Jardin des plantes, et les chercheurs du Jardin des Plantes s’y rendaient. Son grand-père était très ami avec le directeur du musée d’ethnographie du Trocadéro de l’époque, Paul Rivet. Et à un moment donné, son père devait avoir 17-18 ans, le directeur lui demande s’il ne veut pas venir travailler comme bénévole. Il rencontre de nombreuses personnes, dont Robert Desnos qui venait lui aussi étiqueter des objets de manière bénévole. Il y régnait une ambiance très chaleureuse. On propose même à son père de partir avec la mission Dakar-Djibouti. Il refuse, comme bien d’autres à l’époque. Ces gens étaient jeunes, y compris Griaule. Il y avait un petit côté improvisé dans cette mission. Si son père ne part pas en Afrique, il continue néanmoins à fréquenter le musée d’ethnographie. Il assiste, mois après mois, à l’ouverture des caisses que Griaule envoyait d’Afrique et qui naviguait jusqu’au port du Havre, avant d’arriver à Paris. Son père lui racontait quand il était enfant l’émerveillement devant ces objets inconnus. C’est certainement ces récits, pense-t-il, qui lui ont donné envie de voyager tout au long de sa vie.
Marcel Griaule en revenant de sa mission en Abyssinie avait très envie d’écrire, il a des ambitions littéraires assez marquées, rencontre Georges Bataille, et collabore à la revue Documents. C’est là qu’il rencontre Michel Leiris, qui avait une longueur d’avance sur le plan littéraire, car il avait déjà publié. C’est à partir de L’Afrique fantôme et de la figure de Michel Leiris qu’il rédige un premier scénario sur la mission au début des années 2000. Il le propose à Arte, mais cela n’intéressait pas grand monde à l’époque, il doit remiser son projet. C’est sa productrice après le discours du prsident Emmanuel Macron à Ouagadougou qui représente le projet en 2019. Arte l’accepte tout de suite.
Il s’interrompt alors dans son récit pour me commander un jus de citron, que je me sens obligé moi aussi de boire sans sucre. Les lumières sont tamisées. Je me concentre sur sa voix. Douce.
Finalement, quand il reprend le projet, il décide de s’intéresser davantage à la question de l’activité scientifique dans les territoires colonisés, car l’ethnographie existe grâce au pouvoir colonial. C’est ce qui rend leur aventure paradoxale, dit-il. Marcel Griaule et les autres partent pleins de bonnes intentions, pour montrer que ces peuples ont une culture différente, que les cultures se valent. Mais, au bout du compte, on apprend aux colons comment les peuples africains vivent pour mieux les maîtriser, rendre plus efficace l’entreprise coloniale. On protège la culture de ces peuples pour mieux les exploiter. C’est, selon lui, le problème aujourd’hui de nombreux discours visant à « décoloniser » les collections de musées. Si on reste au niveau des objets, on ne dit pas grand-chose.
Au départ, les héritiers de Marcel Griaule sont assez opposés à l’idée qu’on réalise un film sur la mission. Ils exigent des garanties, veulent s’assurer qu’il ne va pas dire trop de mal de Griaule, en privilégiant la figure de Michel Leiris. Ce n’est pas évident, il doit faire des concessions. Il tente d’être le plus objectif possible, et va travailler à la Bibliothèque Jacques Doucet où Michel Leiris a déposé ses fonds manuscrits. Mais il y a plein de choses qu’il ne peut mettre dans le film. Il est obligé pour pouvoir réaliser le document de parler du soutien de Griaule à l’empereur Hailé Séliassé au moment de l’invasion italienne. Cela le contrarie encore un peu aujourd’hui, car cela rompt le fil chronologique auquel il tenait, et cela l’empêche d’évoquer en détail la première rencontre entre le Négus et Griaule, dont on a conservé une trace dans une lettre d’Henri de Monfreid. Il promet de m’envoyer la lettre trouvée au Muséum d’Histoire naturelle, quelques jours plus tard je reçois la lettre qu’il a photographiée au Muséum. Elle est assez édifiante, même si Henri de Monfreid n’a pas toujours été un enfant de chœur. Quand on s’intéresse en détail à la Mission Dakar-Djibouti, on ne peut qu’être impressionné néanmoins par la capacité de travail de Griaule.
Au moment où je viens de terminer ce travail sur l’Abyssinie, par une interview avec l’Empereur, j’ai eu la très désagréable surprise d’apprendre les gaffes majuscules de Griaule couronnées hier par son attitude presque insolente au cours de l’audience que Sa Majesté lui avait accordée, dans l’espoir de clore aimablement une affaire si désagréable à notre amour propre français. J’ai entendu les deux sons de cloche et je dois avouer que notre compatriote s’est conduit aussi maladroitement qu’il était possible. Il a agit en Abyssinie comme il venait de le faire, sans doute, chez les nègres du Centre Afrique où il pouvait échanger ses documents ethnographiques contre des bibelots de verroterie. Il a traîté ces gens là avec une sorte de mépris un peu trop apparent pour une supériorité dont il ne leur donne pas l’impression.
Lettre d’Henri de Monfreid à Paul Rivert, directeur du musée d’Ethnographie, 6 février 1933. Paris, Muséum d’Histoire naturelle.
Marc Petitjean a relu Terre d’ébène d’Albert Londres, paru en 1929, il dit combien on demeure choqué par la brutalité de la réalité coloniale. Et, malheureusement, malgré leur volonté humaniste, Griaule et Leiris sont embourbés dans la machinerie coloniale. L’intendance énorme de la mission, l’envoi des caisses, ne peut s’imaginer sans cette organisation qui broie des millions d’êtres. Ils boivent chaque soir leur bouteille de vin, font porter leurs caisses par les noirs. Et quand l’on garde cela en tête, cela devient un cauchemar de faire ce film, dit-il. Leiris peut critiquer ce système colonial, mais il en profite pleinement.
Il me raconte que même s’il s’est beaucoup basé sur L’Afrique fantôme pour réaliser son film, il a utilisé également le gros volume d’Éric Jolly, Cahier Dakar-Djibouti, un peu fastidieux à lire, mais important. Après avoir bu la dernière gorgée de son jus de citron sans sucre, il ajoute : « quand on fait un film, on a des intuitions, mais c’est important de pouvoir les valider, pour ne pas dire trop de conneries. »
Ce qu’il a essayé de montrer aussi dans ce film c’est la nature judiciaire de ces enquêtes ethnographiques, dont les scientifiques sont les premiers à avoir conscience. Cela finira par indisposer Michel Leiris. Les enquêtes aussi structurées soient-elles, finalement, en disent plus sur nous et la façon dont nous imaginons notre relation aux autres, que sur les personnes que nous voulons interroger, et prétendons vouloir connaître. C’est d’ailleurs pour cela que Griaule et Leiris ne cessent de penser que leurs informateurs leur cachent des choses. Ils ont parfaitement conscience que la nature de leur enquête, entraîne les interviewés à biaiser, à échapper au carcan dans lequel on les enferme avec ce questionnaire préétabli : où, qui, comment, pourquoi, quand une chose advient-elle ?, quel est cet objet ?, etc.
Quand je l’interroge sur le cheminement étrange de Leiris, qui finit par fuir la mission pour aller vivre dans une case en Éthiopie, ne supportant plus l’aspect administratif et judiciaire de l’enquête ethnographique, puis rentre à Paris et devient… ethnologue. Il me répond que, pour lui aussi, cela demeure un mystère.
La difficulté de réaliser ce film, c’est la beauté qui émane des photographies. Il voulait faire un film essentiellement avec des images d’archives, pour rendre compte d’une certaine image de l’Afrique au début des années 1930. Comme nous l’avons raconté lundi en évoquant la contre-enquête de Daouda Keïta au musée du quai Branly sur la mission Dakar-Djibouti, on a quasiment perdu l’ensemble des documents filmiques (à l’exception de la fameuse scène où Marcel Griaule filme le rituel de la cérémonie d’initiation du zar en Éthiopie) et audio. Il a dû combler les trous, en insérant des images d’époque, mais tournées hors du contexte de la mission ethnographique. Ces images animées, paraissent anecdotiques à côté des photographies de Marcel Griaule. Celles-ci donnent une richesse au film qui ne manque pas d’ambiguïté.
Nous parlons de cette frontière ténue entre l’observation scientifique, la beauté des prises de vues, la dénonciation du discours colonial et la fascination d’une Afrique « sauvage », rêvée. Comme il l’écrit dans le commentaire, en parlant du séjour de Marcel Leiris en Éthiopie quand il quitte la mission fascinée par une femme et avec l’envie de se livrer à corps perdu dans ce monde plein de mystères. Ce grand plongeon est un mixte de trivialité, de mystique, d’érotisme et d’amitié.
Il insiste sur la vitesse avec laquelle la Mission traverse le continent, c’est pour cela qu’il y a cette sensation qu’ils « arrachent » les informations ou les objets. Ils voyagent trop vite.
Pour terminer, il me raconte que les responsables du Muséum d’Histoire naturelle ont refusé pendant un an de lui permettre de filmer les collections de la Mission Dakar-Djibouti qu’ils conservent. . Mais avant tout, il aimerait que le film soit montré en Afrique.
On se quitte sur la place, le soleil mange tout. Je me dis que ce serait bien de tirer son portrait. Je regarde autour de nous, l’avenue Victoria, je vois une porte rouge, qui correspond bien à cette énergie chaleureuse qui émane de sa personne. On continue à parler, il se met devant la porte. Je sors mon téléphone, je fais la photo, je le range. Il me dit : « c’est tout ? » Je lui montre la photo : « c’est bien moi ».
Réalisation : Marc Petitjean
Production : Delphine Morel
Image : Olivier Petitjean
Montage : Isabelle Poudevigne
Musique : Camille Petitjean
Animation : Romain Renault
Voix : Damien Bonnard
PRODUCTION
TS productions
Arte France, TV5
DIFFUSION
Arte France, TV5, 5 avril 2022.
FESTIVALS
Selection au Festival Visions d’Afrique à Montréal. Mention spéciale du jury. Avril 2022.
[1] Créé en octobre 2020, Le vol du Boli est né des multiples voyages de Damon Albarn en Afrique et de sa rencontre avec le metteur en scène Abderrahmane Sissako. Porté par les voix et l’énergie des chanteurs, comédiens, danseurs et musiciens africains et européens, ce spectacle est un hommage et un chant d’amour envers le continent africain et son Histoire. La pièce est reprise du 15 avril au 8 mai 2022.
Cet article Un entretien avec Marc Petitjean, réalisateur de « Dakar-Djibouti 1931 ». est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article Ce procès Sarkozy qui a ignoré un témoin clé, Souheil Rached est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Indépendamment de l’intime conviction que l’on puisse avoir sur les possibles frasques financières de Nicolas Sarkozy, les condamnations que s’apprête à prononcer la justice française en première instance doivent reposer sur des faits précis. Ce qui n’est, hélas, pas le cas.
En l’absence de tout versement direct avéré de Mouammar Khadafi à l’ancien Président français, le pole financier s’est rabattu sur un délit, l’association de malfaiteurs, dont on connait l’approximation. Il n’est pas matériellement prouvé que Nicolas Sarkozy ait touché des fonds illicites. Certains de ses proches en revanche ont reçu quelques gâteries, bien modestes au regard des montants que l’ex chef d’état aurait reçu d’après l’instruction en profitant du réchauffement diplomatique entre la Libye et la France initié par Nicolas Sarkozy. Notons que la France n’est pas la seule alors à tendre la main aux Libyens; l’administration américaine très hostile au départ au régime libyen s’était elle aussi et avant Paris rapproché de la dictature libyenne.
Du coup pour faire tenir une procédure bancale, les magistrats français relayés par Mediapart et le Monde abruvés par la justice finanvière, ont accusé Nicolas Sarkozy d’être à la tète d’une association de malfaiteurs, mais sans que lui même, patron de cette bande quasi maffieuse, en profite. À l’exception de quelques valises de cash qu’aurait apporté à Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, et à son fidèle Guéant en vue de sa campagne présidentielle de 2007 un intermédiaire douteux et corrompu, Ziad Takieddine, qui en a fait lors de l’instruction un récit rocambolesque et invraisemblable, digne d’un mauvais polar.
Mondafrique revient sur le mystérieux Souheil Rached, un agent de la Libye qui n’a jamais été entendu par la justice et qui fait partie pourtant des onze personnalités que l’ancien Président de la République et ses amis n’ont pas eu le droit de rencontrer depuis le début de l’instruction. Cet oubli est d’autant plus surprenant que ce représentant de Mouammar Kadhafi en France, au mieux avec Nicolas Sarkozy et ses proches, actif en Afrique francophone et très lié aux services français, est parfaitement au courant des relations entre le pouvoir français et le Guide libyen.
Son audition aurait permis d’éclairer utilement les coulisses de ce dossier complexe de financement politique. En privé en effet et lorsqu’il se confiait à son entourage, Souheil Rachel révélait la réalité des aides de Kadhafi à la classe politique française, de gauche comme de droite. « Onze millions, leur expliquait-il, ont été versés à Nicolas Sarkozy via l’Allemagne et en deux fois, sept millions puis quatre millions. Une dizaine de millions ont été donnés à une personnalité de gauche très en vue au Parti Socialiste ». Nicolas Beau
Ancien photographe de presse au Liban, Souheil Rached aura été surtout dans sa jeunesse un militant courageux et déterminé du FPLP, l’organisation palestinienne de Georges Habache. C’est à ce titre qu’il rencontre, durant la guerre au Liban, les milieux de renseignement français ainsi que le colonel libyen Saleh Drouki, alors ambassadeur de Libye à Beyrouth.
Présenté à Tripoli au « Guide », le jeune Souheil débute une carrière brillante et foudroyante auprès de Moussa Koussa, qui est chargé, sous l’autorité directe de Kadhafi, de tous les dossiers sensibles à l’étranger. À ce titre, Koussa négociera avec les Anglais le dossier « Lockerbie », du nom de ce village écossais où un avion de la Pan s’écrase en 1988, victime d’un attentat meurtrier (270 morts) qui sera imputé aux Libyens. Apparemment, Moussa Koussa, adepte du double jeu, saura s’y prendre avec les services anglais. Durant la guerre franco-anglaise en Libye en 2011, ce proche parmi les proches de Kadhafi s’enfuit en Angleterre, porteur de ses secrets d’État; il y sera fort bien accueilli, avant de gagner l’Arabie Saoudite, où il séjourne.
Jusqu’à l’intervention en Libye en 2011, Souheil Rached, francophone et francophile, est l’homme qui connait le mieux les relations entre Tripoli et Paris, comme le raconte fort bien dans le livre « Sarkozy/Kadhafi, histoire secrète d’une trahison » (Le Seuil) la journaliste Catherine Graciet. Le domaine d’intervention de cet agent d’influence s’étend même en Afrique francophone. À l’époque, Kadhafi se veut le roi de l’Afrique sahélienne, où il déverse des dizaines de millions de dollars. Mais il s’agit de pays d’influence française. Souheil Rached déploie tout son talent pour rapprocher les hommes de Kadhafi, la diplomatie française et les chefs d’État africains, notamment au Mali et au Niger.
À Bamako encore aujourd’hui, cet homme de l’ombre est consulté par le président IBK. En revanche à Niamey, il n’est plus personna grata, car les militaires nigériens n’ont guère apprécié la façon dont il a mis en cause leur incompétence et leur corruption auprès du président nigérien Issoufou. Lors de son dernier séjour dans ce pays, il sera exfiltré par la DGSE française dès son arrivée. Les patrons de l’armée nigérienne voulaient lui faire la peau.
Bakchichs pour tous
Depuis peu, Souheil Rached séjourne au Caire où il joue un röle discret pour conseiller le pouvoir égyptien sur le dossier libyen. On peut imaginer qu’il est en phase avec son ancien patron, Moussa Koussa, qui, lui, est consulté par le régime Saoudien. À Riyad comme au Caire, on souhaite que l’ordre revienne en Libye et que les frères Musulmans soient définitivement chassés du pouvoir à Tripoli.
Fort habile, Souheil Rached a maintenu des liens étroits avec ses amis de la DGSE (services extérieurs) ou de la DGSI (contre espionnage), où il avait ses entrées. Ce qui explique que ses séjours parisiens aient toujours été discrets et protégés depuis que l’affaire du financement libyen a éclaté. À moins que les juges ne veuillent pas entendre un témoignage qui n’irait pas dans le sens de leurs à prioris. Ce qu’aurait à déclarer en effet ce témoin clé ne va pas dans le sens de ce qu’on entend généralement sur ce dossier, où seul Nicolas Sarkozy est mis en cause. En privé, Souheil Rachel n’hésitait pas à mettre en cause l’ensemble de classe politique française de gauche comme de droite. » Onze millions, leur explique-t-il, ont été versés à Nicolas Sarkozy via l’Allemagne et en deux fois, sept millions puis quatre millions. Une dizaine de millions ont été donnés à une personnalité de gauche très en vue au Parti Socialiste ».
Cette version est à l’image du roué colonel Kadhafi, quarante deux années de rêgne, qui ne voulait jamais insulter l’avenir.
Cet article Ce procès Sarkozy qui a ignoré un témoin clé, Souheil Rached est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Cet article Crise entre Paris et Alger : Retailleau contesté en France est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, a vivement critiqué Bruno Retailleau, allant même jusqu’à prononcer le mot « pyromane » lors de son intervention au Grand Jury RTL – M6 – Le Figaro – Public Sénat. Elle a reproché au ministre de multiplier les « incendies », citant sa sortie médiatique sur la place des femmes voilées lors des sorties scolaires avant d’évoquer l’expulsion précipitée d’un ressortissant algérien sans respecter les procédures légales.
« Les relations internationales ont des règles. Les gens ne sont pas des colis que l’on retourne à l’expéditeur », a déclaré la responsable politique. Pour Tondelier, Retailleau ne respecte ni les accords internationaux ni les principes de l’État de droit, au moment même où plusieurs analystes de la vie politique plaident pour des relations plus apaisées avec l’Algérie.
« Les relations avec l’Algérie, c’est une chose très importante, il y a près d’un quart des Français qui ont des relations avec l’Algérie, ça ne peut pas être une question parmi d’autres », a rappelé Catherine Tricot, directrice de la revue Regards. « Je pense que Bruno Retailleau connaît bien la question des OQTF, donc là, je ne sais pas à quoi il a joué. La question des OQTF est une question compliquée, on n’expédie pas les gens vers un pays sans avoir un accord du pays vers lequel la personne est expédiée », a ajouté la journaliste, qui constate que la France ne dégrade pas ses relations seulement avec l’Algérie, mais avec de nombreux pays africains.
Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, a lui aussi critiqué la gestion de la crise par Retailleau, estimant qu’elle est motivée par une recherche de buzz médiatique. Faure a souligné que cette approche pourrait avoir des conséquences stratégiques. « Attention à la relation que nous devons maintenir avec l’Algérie. Les Russes cherchent à s’implanter en Méditerranée et pourraient se tourner vers des pays comme l’Algérie. La diplomatie, ce n’est pas fanfaronner à la télévision », a averti le député.
Pour Faure, la procédure d’expulsion de l’influenceur algérien, jugée illégale par Alger, montre un manque de respect des règles internationales et compromet la crédibilité de la France sur la scène mondiale.
Face à ces critiques, Bruno Retailleau a défendu ses actions, affirmant que l’arrêté ministériel d’expulsion avait été pris sur la base d’une « menace grave à l’ordre public ». Il a insisté sur la séparation entre les procédures judiciaires et administratives, qu’il considère comme une composante essentielle de l’État de droit.
Malgré cette nouvelle justification, les appels à une désescalade et à un dialogue respectueux avec l’Algérie se multiplient, posant la question de la stratégie française face à un partenaire historique de premier plan.
Cet article Crise entre Paris et Alger : Retailleau contesté en France est apparu en premier sur Mondafrique.
]]>