Photographe et documentariste camerounaise, Osvalde Lewat a exposé du 8 au 22 octobre sa série de photographies « Couleur nuit » à la galerie parisienne Marie-Laure l’Ecotais. Son œuvre était également visible du 11 au 25 novembre 2015 à la Librairie Galerie « Le 29 », au 29 rue des Récollets, Paris 10ème.
Son ouvrage « Congo couleur nuit », consacré à l’exposition, a été publié début novembre aux éditions Phenix. Entretien.
Mondafrique. En quoi consiste le projet « Couleur Nuit » ?
Osvalde Lewat. Je suis documentariste et photographe depuis toujours. Cependant je n’exposais pas mes photographies. J’ai eu envie de partager la série de photos faites à Kinshasa et au Katanga parce que je trouvais que ce Congo là de la nuit, ce Congo vivant, très beau et très courageux était très peu connu. De plus, les personnes que je photographiais étaient très étonnées de se voir en image lorsque je leur remettais mes photographies. L’une d’elle m’a dit une fois « Ce serait génial que les gens autour de moi sachent qu’il y a quelqu’un comme moi qui vit ici à la périphérie de Kinshasa ».
Le projet « Couleurs Nuit » est né de façon intuitive et s’est construit pendant plusieurs mois. En tout, j’ai photographié pendant trois ans et demi. Ma première envie était d’exposer ce travail à Kinshasa sur une place publique, la place du 30 juin, qui est une espèce de lieu de jonction entre les quartiers résidentiels et les quartiers plus populaires. J’y ai donc exposé une trentaine de photos en grand format, sur des bâches. Cette exposition a duré un peu plus d’un mois et a connu un grand succès. Et l’envie de faire voyager l’exposition est née. Une envie de raconter et partager le Congo que j’aime en images. Des images de femmes qui travaillent parfois tard le soir, des jeunes femmes courageuses ou simplement partager mon regard sur la couleur, l’énergie de ces personnes que j’ai pu rencontrer.
Mondafrique. C’était donc un choix symbolique d’exposer en premier sur une place où se rencontrent deux univers : les quartiers résidentiels et les quartiers populaires.
O.L. Oui tout à fait. Ce choix n’était pas neutre car c’est une place assez belle et très fréquentée. De plus, c’est effectivement un point de rencontre entre ces deux univers qui ne se fréquentent pas. Dans mon travail de photographe, même si j’ai une approche artistique, j’ai aussi depuis toujours un regard à la fois politique et social et je pensais que faire une première installation de photo à cet endroit là me permettrait de faire se rencontrer ces deux univers. D’ailleurs, toutes les personnes que j’ai photographiées étaient présentes lors du vernissage. C’était a la fois drôle et émouvant de les voir surprises quand elles lisaient l’admiration dans les yeux des autres.
Mondafrique. Pourquoi avoir choisi de photographier la nuit ?
O.L. J’avais fait des photos de nuit de façon très spontanée et quelqu’un m’a fait la remarque que même dans mon travail de documentariste je filmais déjà beaucoup la nuit. La nuit nous force à regarder, à nous concentrer un peu plus dans un monde où tout est donné immédiatement à voir et où on est surexposé aux images. J’ai le sentiment qu’avec la nuit on est obligé de chercher, de se détacher même. La nuit apporte aussi une douceur, une certaine poésie que je cherchais à travers ce travail. J’ai photographié des personnes qui vivent parfois dans la précarité et je voulais faire ressortir à la fois leur humanité et ce qui m’a touchée chez eux.
Il faut prendre la peine de regarder en chaque personne pour voir ce qui est beau et ce qui peut nous toucher. Avec la nuit et la simplicité des lieux et des personnes, il se dégage une vraie douceur, une vraie beauté, une vraie poésie. Ce qui est sous-jacent et qui a motivé mon travail ces dernières années, c’est l’idée selon laquelle il y a toujours de la lumière pour peu qu’on se donne la peine de regarder. C’est pour cela que je n’ai pas utilisé, dans mes photos, de lumière additionnelle. Je photographie avec la lumière du lieu dans lequel je me trouve. Je n’ai pas de flash, pas d’éclairage artificiel. Pour moi c’est un peu le rapport que j’ai au monde : même quand tout est sombre il faut chercher la lumière car elle existe toujours quelque part.
Mondafrique. Pourquoi avoir exposé par la suite à Paris et pas dans d’autres villes africaines par exemple ?
O.L. L’expo a été montrée à Kinshasa et au Katanga, les lieux où j’ai photographié. Ensuite à Paris parce que je suis franco-camerounaise, je vis en partie à Paris, et puis cette ville est une place incontournable dans le monde de la culture, de l’art contemporain. Pour moi il était important en tant que photographe de confronter mon travail à des personnes qui ont un œil averti. J’ai eu envie d’avoir des retours différents de ce que l’on peut avoir lorsque l’on montre ses photos dans le contexte où elles ont été prises. Et Paris parce que c’est Paris !
Mondafrique. Quel a été l’accueil réservé à votre exposition ?
O.L. La première exposition à Paris (ndlr : qui s’est déroulée du 8 au 22 octobre à la Galerie Marie-Laure de l’Ecotais) a été très courte. Mais elle eu un succès auquel je ne m’attendais pas. J’ai eu des retours extrêmement positifs.
D’ailleurs tout ça m’a rappelé la phrase de Picasso qui disait que quand tout le monde aime votre travail c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas (rires). Cela commençait à m’inquiéter un peu puisque tous ceux qui venaient à l’expo étaient soit très positifs soit dithyrambiques et je me suis dis a la fin « bon il y a peut être un souci » (rires)! Mais en tant qu’artiste on est toujours rassuré de voir son travail bien accueilli.
Mondafrique. Vous êtes réalisatrice documentaire et photographe en parallèle. Votre activité photographique est elle assez importante pour que vous en viviez ?
O.L. Je ne veux pas séparer ces deux activités car pour moi c’est un travail global. La réalisation et la photographie font partie de mon activité d’artiste. J’écris aussi des textes, je fais des films, des photos… Il y a la partie visible – les photos, les expos, les films – mais il y a aussi tout un travail derrière au quotidien. Mes photos ont touché je pense, et les gens ont voulu les acquérir. Il faut savoir que je fais des tirages très limités : 5 tirages sous trois formats différents. Cela représente cinq photos. Je ne tire pas au delà. J’ai déjà des acquéreurs et donc je peux affirmer que je vis de mon travail oui.
Mondafrique. Pourquoi une série aussi limitée ?
O.L. Je voulais être peintre mais je ne sais pas peindre. Et l’idée d’avoir 250 photos de moi qui circulent à l’heure où, avec les smartphones on peut faire des photos à l’envi, ne me plait pas vraiment. Je crois qu’il faut donner une certaine valeur à son travail et éviter qu’il ne soit distribué comme des petits pains.