Nos chers espions en Afrique

Antoine Glaser et Thomas Hofnung, deux des meilleurs connaisseurs de l’Afrique dans la presse française, publient un livre fort instructif sur le renseignement français sur ce continent. Une chronique de Christian Labrande

Le continent africain où les espions continuent à s’agiter n’est plus ce qu’il était. La mondialisation est passée par là et on assiste à une privatisation croissante du renseignement, contexte  dans lequel les  agents français ne sont pas les mieux placés. Il sont désormais confrontés –comme sur  n’importe quel autre marché- à la concurrence  des agents russes, israéliens et chinois (pour ne citer que  les plus voyants)  avides de placer leurs pions sur un Continent  plein de promesses pour ses matières premières  et son potentiel humain.

On est loin de l’époque où la grande ombre de Jacques Foccart (Monsieur Afrique de De Gaulle) orchestrait  tout ce monde : « pas un criquet ne stridulait en Afrique sans que Foccart ne soit au courant », disait-on à l’époque ; aujourd’hui c’est plutôt une cacophonie où il est difficile de distinguer la mélodie dominante.

Un théatre d’ombres

Nos chers espions en Afrique, Le livre de Antoine Glaser et Thomas Hofnung s’apparente à un voyage dans un théâtre d’ombres évoluant  sur une scène mouvante.  En arrière fond la rivalité entre les services officiels du renseignement que sont la DGSE  (service extérieur), la DGSI  (renseignement intérieur)  et la Direction d renseignement militaire. Sur ce cadre institutionnel vient se greffer des ressources nées de plusieurs décennies de présence française en Afrique . Dans cet ordre d’idées, on goutera notamment les pages que les auteurs consacrent à la naissance du réseau  des « honorables correspondants » corses  utilisés par Elf Aquitaine (justement dénommée Elf l’Africaine…) pour assoir son expansion tous azimuts et collecter de l’information.

Autre exemple d’utilisation de liens historiques : pour juguler les menaces croissantes dans la région du Sahel, l’Etat français est tenté de s’appuyer sur les mouvements de rébellion touareg dont le vieux rêve d’indépendance est plus ou moins soutenu par la diplomatie hexagonale  depuis le début des années soixante. Stratégie d’alliance qui ,dans le cadre de l’opération Serval,  aboutit à des situations schizophréniques où les agents français sont amenés, par exemple,  à soutenir à la fois le pouvoir en place  à Bamako et  certains groupes séparatistes touaregs

Les avancées du Mossad

 Les pages consacrés aux agents israéliens,  redoutables concurrents des services  français de renseignement, sont savoureuses.   Agents du Mossad  ou anciens officiers de Tsahal passés maitre en matière de système d’interceptions téléphoniques et de pénétrations de données,  ils  se sont taillé une très bonne réputation auprès de nombre de dirigeants africains. Même si  leur techonologie sophistiquée est plus souvent utilisée  dans le cadre d’affaires de mœurs (« que faisait la femme du Président ? ») qu’au noble service de la sécurité nationale ….

Savoureux aussi le chapitre dévolu au système de vases communicants  entre le corps diplomatique, le monde du renseignement et le premier cercle des  patrons des groupes français. En ces temps de crise, l’étanchéité  entre mission publique et monde de la finance est de plus en plus difficile à garantir.

Au sein de la macronie ce processus n’a fait que s’accélérer comme le montre le cas de Frank Paris,  condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA et ancien diplomate, devenu « Monsieur Afrique » du président. Il réunit chaque mois un Conseil présidentiel pour l’Afrique mêlant agents du renseignement et personnalités franco- africaines bien introduites dans les diasporas installées dans l’Hexagone. Une bonne façon de faire remonter l’information et de rester en contact avec un continent en pleine transformation.

    L’Afrique serait décidément une bonne toile de fonds  pour une suite attendue du Bureau des Légendes , la série de Eric  Rochant   sur la DGSE !

Nos chers espions en Afrique. Fayard. 232  Pages . 19 euros

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