Le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) marocain appelle le gouvernement à une “révision ambitieuse” du code de la famille qui soit en mesure de protéger les femmes marocaines, en mettant sous pression le gouvernement d’Aziz Akhannouch.
Par Olivier DELAGARDE
Dans une note formelle destinée au chef du gouvernement Aziz Akhannouch à l’occasion récente de la Journée internationale des droits des femmes, le Conseil Economique et Social souligne que l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la pleine participation de ces dernières à l’ensemble des aspects de la vie sociale du Maroc “ne peut se faire sans un cadre juridique en harmonie avec les ambitions du pays, qui permet aux femmes de jouir pleinement de leurs droits, sans discrimination”.Le CESE considère ainsi, qu’il “est temps d’opérer une révision du Code de la Famille, en conformité avec la Constitution et en accord avec les Conventions internationales ratifiées par le Maroc, en ligne avec les ambitions d’émancipation des femmes et d’égalité des sexes inscrites dans le Nouveau Modèle de Développement”.
En effet, rappelle l’institution, le Maroc dispose depuis 2004, d’un nouveau Code de la famille qui a permis des avancées notables s’agissant du droit des femmes, affirmant que ce nouveau code a eu un impact positif contribuant à faire évoluer les mentalités en matière d’égalité entre les deux sexes.
En presque vingt années, le royaume chérifien a également ratifié de nombreuses conventions internationales et s’est doté d’une nouvelle Constitution qui institue le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, appelant à la mise en conformité des lois intérieures en vigueur dans différents domaines de la vie courante, avec les engagements internationaux du pays, souligne le Conseil.
Un bilan en demi-teinte
D’après le CESE, des discriminations persistent toutefois au nom d’une certaine « tradition patriarcale ». Ainsi la tutelle sur les enfants. “Les femmes ne peuvent être tutrices de leurs enfants. Dans les faits, la mère a la garde exclusive des enfants par défaut, sauf cas particuliers, et le père est considéré comme l’unique tuteur légal des enfants. Cette situation va à l’encontre des principes de partage entre les conjoints des responsabilités familiales, et notamment celle des enfants. Elle porte également préjudice aux droits et aux obligations des parents divorcés vis-à-vis de leurs enfants lorsque les conflits entre époux séparés se poursuivent. En plus, le droit de se remarier est sanctionné pour les femmes par la perte de la garde des enfants, sauf dans des cas exceptionnels”, indique les rapporteurs du CESE.
La question du mariage précoce, une pratique qui relève du pouvoir discrétionnaire des juges, devrait également évoluer. Tout comme le dossier des biens acquis durant la vie conjugale dont le partage entre époux, en cas de divorce ou de décès du conjoint. “En effet, le travail domestique des femmes pendant la durée du mariage n’est pas reconnu et conduit à leur privation de leur part des biens acquis par le ménage durant la vie de couple, lorsqu’elles ne sont pas en mesure de prouver leur contribution directe à faire fructifier les biens familiaux “, explique sans ambages la note.
Le CESE met également l’accent sur les délais des procédures de divorce pour cause de « discorde », qui dépassent largement les six mois. “Lors de cette période, les conditions de vie du ménage deviennent compliquées et les tensions autour de la procédure peuvent conduire à des violences conjugales et familiales”, souligne le Conseil.
Une pression constante de la société civile
De leur côté, de nombreux acteurs sociaux et féministes n’ont de cesse de rappeler leurs engagements au gouvernement. Parfaitement solidaire et d’une même voix avec l’institution rédactrice du rapport, ces derniers estiment que le temps de la décision politique est venu autrement que les belles paroles de campagne. A l’instar de la très influente organisation Oxfam Maroc qui œuvre pour un Maroc juste et inclusif, qui garantit à ses citoyen.ne.s l’opportunité de prospérer dans un environnement non discriminatoire et libre de violence.
Interrogée par Mondafrique, Kamilia Raouyane, chargée d’Influence et de plaidoyer pour la branche marocaine d’Oxfam, nous précise : « Au sein d’Oxfam au Maroc, nous encourageons et saluons l’initiative du CESE relative à la réforme du code de la famille, 18 ans après son entrée en vigueur. En effet, et comme nous l’avons souligné dans nos rapports, il est temps de lancer un chantier de reformes, pas uniquement en lien avec le code de la famille mais aussi en lien avec le code pénal. Ces réformes doivent s’inscrire dans la volonté du Maroc pour assurer une conformité avec ses engagements internationaux notamment ceux en lien avec la CEDAW ».
Pour l’organisation internationale largement représentée à Rabat, il y a urgence non seulement à se mettre en conformité avec les accords internationaux signés à grands renforts de communication sur l’instant, mais aussi à passer des promesses aux actes politiques. Et pour Kamilia Raouyane de rappeler les axes majeurs et indispensable à la réforme pour une société qui s’inscrit dans la modernité : « Pour revenir à la réforme du code de la famille, objet de la note du CESE datant du 8 mars 2022, que nous saluons, nous considérons, en effet, qu’il y a plusieurs problématiques à revoir en toute urgence, il s’agit notamment du mariage des/sur les mineures, l’intérêt suprême/supérieur de l’enfant devra être garanti par la loi d’où la nécessité d’abolir tout mariage de/sur les mineures, le travail de soin non rémunéré, la tutelle sur les enfants, et bien évidemment les violences faites aux femmes dans leur globalité ».
Un gouvernement pris en tenaille
A l’instar de quasiment toutes les nations du monde, le royaume n’est guère épargné par les turbulences sociales consécutives aux différentes crises. Bien sûr sanitaire en premier lieu avec l’épidémie de COVID-19, puis économique en conséquence de cette pandémie mais aussi climatique, avec cette inquiétude croissante sur une activité vitale pour le Maroc qui manque d’eau : son agriculture. Enfin, le conflit Russo-Ukrainien venant fortement impacter lui aussi l’économie chérifienne sur les marchés internationaux.
Autant de mobilisations gouvernementales afin de juguler les hémorragies sociales. Comme ailleurs, de nombreuses réformes de fond notamment sociétales sont passées au second plan, pour ne pas dire remisées. Et pourtant l’inquiétude du lendemain est bien présente, la grogne monte, la colère s’installe. Et les réponses tardent, semblent imparfaites.
Alors que le mandat du chef du gouvernement Aziz Akhannouch est déjà bien entamé, l’heure est venue d’un signal politique fort.
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