Emmanuel N’Djoké Dibango, dit Manu Dibango figure emblématique de l’afro-jazz est décédé ce mardi 23 mars 2020 des suites du Covid-19 à l’âge de 86 ans dans un hôpital de la région parisienne. L’artiste franco-camerounais est le premier artiste de renommée mondiale à être victime du Coronavirus.
L’auteur du mythique « Soul Makossa » (1972) qui a fait danser la planète entière de Douala à Harlem, incarnait l’universalisme musical. Lui qui incarnait la mondialisation heureuse, aura eu une mort symbolique. Alors qu’il était en pleine tournée marquant ses 60 ans de carrière, Manu Dibango a contracté le virus mortel.
Manu Dibango, était une star planétaire, une des rares venues du continent noir. Né à Douala, au Cameroun le 12 décembre 1933, ce fils unique élevé dans une famille protestante arrive par bateau en France en 1949 alors qu’il a peine 15 ans, envoyé par son père pour faire des études. Dans ses bagages, il y a trois kilos de café qui paieront son premier mois de pension à sa famille d’accueil installée à Saint-Calais (Sarthe)-il le racontera plus tard dans sa première autobiographie, écrite en collaboration avec Danielle Rouard, Trois kilos de café ( Lieu Commun, 1989).
Les années Lycée à Chartre seront les temps de l’amour, de l’amitié et des passions musicales placées sous le signe du jazz américain qui fait swinguait la France de l’immédiate après-guerre. Sur des airs de Duke Ellington et de Louis Amnstrong Manu Dibango va s’initier au piano puis au saxophone qui deviendra son instrument fétiche. A la fin de ses études, il s’installe à Bruxelles où la diaspora africaine danse aux rythmes de la rumba congolaise et autres musiques swinguantes des indépendances africaines. C’est d’ailleurs à partir de Bruxelles, où il va rencontrer Coco la femme de sa vie, ainsi que l’immense musicien-compositeur Joseph Kabasélé Tshamala, dit Grand Kalle (1930-1982), que Manu Dibango va trouve son style: un jazz joyeux qui assume ses racines africaines.
Kinshasa, le premier night-club
Les premiers disques de Manu Dibango enregistrés au début des années 60 font danser tous les zazous et les yéyés de l’Afrique. Manu Dibango est reçu en roi à Kinshasa où il ouvre le premier night-club pas seulement pour y jouer sa musique mais aussi pour faire danser les jeunes sur des faits twist et rock’n’roll. En 1967, Manu Dibango revient en France accompagné Dick Rivers ou Nino Ferrer, mais aussi pour écrire, composer et produire ses propres disques.
En 1972, il reste 4 mois d’affilée en Algérie où il joue dans les clubs de la côte algéroise. C’est dans ce pays qu’il va enregistrer outre « Nights In Zéralda », en hommage à la station balnéaire algéroise où il résida, mais aussi le fameux « Soul Makossa », et son gimmick« Mama-koo Mama-sa Maku-Maku-sa » qui sera utilisé sans vergogne et sans autorisation par Michael Jackson alors au top de sa carrière sur « Wanna be Starting Something ». Tout le monde se souvient que Manu Dibango avait dû intenté un procès au Dieu de la pop des années 80-90 pour plagiat. Un accord financier avait finalement été trouvé entre Michael Jackson et Manu Dibango.L’histoire de ce titre devenu légendaire est incroyable. Ce morceau n’était au départ que la face B d’un 45 tours dédié à l’équipe de foot du Cameroun à l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations. Repris par des DJs new-yorkais, le morceau « Soul Makossa » connaîtra plusieurs versions, plusieurs remixes et autant de vies, et consacrera Manu Dibango comme premier disque d’or africain aux Etats-Unis.
Direction: la Jamaïque
Manu Dibango qui a marqué le monde entier n’a jamais rompu avec son continent d’origine. En 1975, il accepte de diriger jusqu’en 1979 l’Orchestre de la Radio-Télévision ivoirienne. Ensuite avant tout le monde, il s’envole en Jamaique où il mêlera son jazz africain au reggae de Sly Dunbar. Le père des musiques modernes africaines, accepte d’enregistrer au début des années 90 l’album « Wakafrica avec Youssou N’Dour, Salif Keita, Papa Wemba, Angélique Kidjo, Peter Gabriel, Manu Katché…pour reprendre les plus grands tubes africains du 20 ème siècle.
Pappy Groove. Comme s’il pouvait vivre plusieurs vies à la fois, Manu Dibango a aussi composé quelques musiques de films dont celle Kirikou et les bêtes sauvages en 2005. Celui qu’on appelait affectueusement Pappy Groove était en tournée depuis l’été 2019 pour fêter les 60 ans de sa riche carrière, en mêlant sur scène son orchestre à des formations classiques. De Douala à Harlem, de Paris à Pekin, d’Alger à Kingstone, personne n’oubliera l’oeuvre de Manu Dibango , comment il vécut et comment il nous a quitté au petit matin de ce funeste 23 mars 2020