On assiste à des rivières de pleurnicheries sur le refus de visas français aux Marocains ‘’offrant toutes les garanties’’ de ne pas se transformer en migrants clandestins. Ces jérémiades recèlent des indécences dont la première est l’indifférence qu’on a souvent eu pour le calvaire des ‘’quidams’’ tout aussi nationaux qui, depuis l’instauration des visas il y a près de quarante ans, subissaient les humiliations aux portes des consulats et aujourd’hui encore devant les portiques bien gardés de leurs sous-traitants.s
Une chronique de Naïm Kamal, éditorialiste, Site Quid.ma
De ‘’va je ne te hais point’’ aux sérénades sous le balcon de Molière, de Voltaire, de Hugo, de Rousseau (même si l’on oublie souvent que ce dernier n’est pas français), de l’évocation des valeurs humanistes universelles supposées françaises à l’invocation des droits de l’homme et la libre circulation des biens et des personnes, tout y passe à grand renfort d’amitiés francophiles que le pays des lumières risquerait à ce train-ci de perdre. Sans se rendre compte que c’est vite oublier que les Etats n’ont pas d’amis et que c’est un illustre français qui nous l’a appris dans un rare accent de vérité, Charles de Gaulle, tenant à préciser : les Etats n’ont que des intérêts. Le même grand Charles qui, rapporté par Alain Peyrefitte dans C’était de Gaulle, parlant de la guerre des sables de 1963 entre le Maroc et l’Algérie, confiait : ‘’Par le fait, nous les aidons à s’entretuer. Pourtant, il faut faire comme si nous étions neutres !’’. Depuis rien n’a changé sous le soleil.
Notre ami Jacques Chirac
L’a-t-on oublié, mais c’est Charles Pasqua en 1987, alors ministre de l’Intérieur de ce grand ami du Maroc que fut Jacques Chirac, qui décida de la mise en place du visa. La suite est une succession de durcissements, y contribuant, pour les uns, par notre souci de ne pas mécontenter les consulats de peur de…, pour les autres par le louable mais crédule objectif de sauvegarder des relations présumées privilégiées et historiques.
Or, l’Histoire nous apprend que si la perfidie est souvent reliée aux Britanniques sous le toponyme d’Albion, elle est aussi française. Sans remonter trop loin dans les annales, la lecture dans différentes sources, romancées ou historiographiques, de nos relations avec le Royaume de France et de Navarre, rien que depuis l’ambassade de Moulay Ismail à Louis XIV jusqu’à l’occupation du ‘’l’empire fortuné’’ en 1912, montre que c’est un long feuilleton de duperies pour cantonner, à défaut de soumettre, le Maroc. Ce qui s’en est suivi ne fait pas exception à cette règle, fut-ce pour la confirmer.
Une longévité hors normes
Certes, il n’y a pas de puissances plus gentilles ou moins méchantes que d’autres. Mais n’est-il pas grand temps pour les Marocains d’accélérer cette tendance souvent sourde mais lourde de prendre le large par rapport au cher Hexagone. Et pour nos élites, nos responsables, nos cadres, nos entrepreneurs, « addicts » du détour par Paris, de s’affranchir enfin de l’invisible mais effectif cordon ombilical à la longévité hors normes.
Sans doute plus facile à dire qu’à faire. Le dictat de l’économie et du commerce est si difficile à découdre. Mais il y a un début à tout, clairement tracé par le Roi Mohammed VI dans ses discours d’Abidjan (2014) et de Ryad (2016). L’idéal serait déjà de commencer à une échelle individuelle en prenant pour Mecque d’autres destinations que Paris. La Terre de Dieu est vaste. C’est ce que le Tout Puissant a ordonné aux Mecquois vulnérables et fragiles devant le joug des puissants de leur cité.
La situation actuelle aussi bien que nos intérêts bien compris nous pressent à agir.
Il n’est pas de mes habitudes de me raconter dans mes articles. Mais ce serait une outrecuidance de dire ce que je ne fais pas. Il y a à peu près une quinzaine d’années alors que j’étais encore membre du Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle au sein de la HACA, j’ai subi, en demandant un visa pour ma fille, une attitude autrement moins vexatoire qu’un refus. Sans bruit et sans fracas, j’ai retiré ma demande, je n’ai plus demandé de visa ni remis les pieds sur le sol de « leurs » ancêtres les Gaulois.
La langue française, un choix contraint
D’aucuns seront fondés de rétorquer pourquoi je continue à utiliser le français dans mon travail. Par paresse et les années qui passent sans que l’on concrétise ses résolutions du 31 janvier. La mienne était de passer à l’anglais. Parce que dès la première fois où je me suis retrouvé en dehors d’un espace francophone, c’était en 1979 aux Nations Unies, j’ai pris conscience des limites de cette langue qui était jusque-là pour moi un sésame. Je me suis consolé en en faisant au moins l’égale de la langue de Molière (ou de Corneille ?) dans l’instruction de mes enfants qui ont fait leur enseignement supérieur dans celle de Shakespeare dans des universités marocaines, Al Akhawayne et l’UIR en l’occurrence.
Le français, je ne l’ai pas choisi. Né à la toute fin du protectorat, je l’ai trouvé devant moi à l’école, engagé dans une concurrence déloyale à l’arabe qu’on faisait tout pour le déprécier à commencer par les chantres de l’arabisation qui plaçaient leurs enfants dans les établissements de la mission (sic) française. Il était l’outil de travail de notre administration, la langue de nos élites et de nos décideurs, le vocabulaire des salons huppés comme des bars malfamés, la porte nécessaire pour prendre l’ascenseur social.
Captif d’une langue
Le grand paradoxe que j’ai découvert plus tard c’est que le Maroc n’a jamais été aussi francisé que depuis l’indépendance. La généralisation de l’enseignement, une bonne chose, et le recours aux enseignants français au titre pompeux de coopérants, une mauvaise (mais avait-on le choix ?), y ont grandement contribué.
Ai-je subi la fascination de cette langue ? Sans aucun doute. Mais mon affiliation précoce (au lycée) à la Nouvelle gauche marxo-lénino-maoiste m’a vacciné contre l’aliénation. Au profit d’une autre, il est vrai. Lui dois-je quelque chose ? Là aussi sans aucun doute. Elle a été l’outil, bien plus que l’arabe, qui m’a permis l’accès à d’autres cultures, notamment l’américaine, mais aussi allemande, russe, espagnole, voire turque et pakistanaise par le biais de la traduction, nos contrées arabes n’étant nullement très performant dans le vaste domaine de la traduction. Pour ça et pour ça seulement, je l’en remercie.
Mais contrairement à l’écrivain algérien Kateb Yassine, pour des raisons historiques évidentes, je n’ai jamais considéré la langue française comme ‘’un butin de guerre’’, mais plutôt les miens et moi comme des captifs de cette langue, capturés dès notre tendre enfance pour ramer dans ses galères. Il y avait un temps où je j’éprouvais pour elle le syndrome de Stockholm. Mais je m’en suis soigné, même si mon psychothérapeute ne me parlait pas la langue de Freud.
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Bonne analyse, merci!