Le Covid-19 a grandement impacté le secteur touristique mauricien, l’île ayant fermé ses frontières pendant au moins un an. Elle devrait se rouvrir au monde au plus tôt en juillet à l’issue d’une campagne de vaccination qui prétend inoculer 60% de la population.
« Sans touristes, je ne travaille plus depuis maintenant un an. C’est une situation particulièrement difficile. D’autres plaisanciers comme moi ont des familles à nourrir, des prêts relatifs à l’achat de nos bateaux à rembourser avec la fin du moratoire dans deux mois. Nous ne savons plus de quoi demain sera fait ». Skipper à Blue-Bay, une station balnéaire du Sud-est, Virginie Orange attend avec impatience que soit levé le second couvre-feu sanitaire imposée dans l’île le mercredi 10 mars après la découverte de cas autochtones du Covid-19.
La situation est quelque peu différente pour les employés du secteur hôtelier. Ceux au bas de l’échelle salariale peuvent toujours prétendre à un revenu de base grâce à un soutien de l’Etat qui garanti ainsi qu’il n’y aura pas de licenciement massif. « Nous nous sommes battus pour la préservation de nos emplois. Avec ce second confinement, nous vivons un stress permanent. Nos salaires sont garantis jusqu’à juin, après on ignore ce qui se passera », confie Preetam Bhugloaa, président syndical et chef de rang au Paradis Beachcomber, un 5 étoiles de la péninsule du Morne, au Sud-ouest.
A l’instar de Virginie, Preetam espère vivement que la fin du couvre-feu sanitaire sera synonyme de réouverture des frontières. L’île est demeurée fermée au monde depuis la mi-mars 2020, période qui a coïncidé avec le premier confinement qui a duré trois mois. Elle n’a été accessible qu’à certains pays à la fin de l’année dernière. Une centaine de touristes ayant opté pour le plan dit de « visa premium » y ont débarqué pour une durée d’un an, l’argument marketing étant alors que Maurice est « Covid Safe ». Les seuls cas positifs au coronavirus étaient alors enregistrés sur les voyageurs en quatorzaine.
Le grand retour des voyageurs sera salutaire pour l’industrie touristique qui contribue normalement – de manière directe et indirecte – à 23% du PIB. Il va sans dire que ne sera pas de sitôt que Maurice pourra atteindre le record des 1 399 408 arrivées de 2018 (+4,3% comparé à 2017). Alors qu’elle espérait accueillir 1 450 000 touristes l’année suivante, elle a dû faire face à un recul de 1,1%, surtout parce que certains conseillers du Premier ministre ont tablé sur le marché chinois qui a enregistré un résultat négatif de 35%.
En 2020, les arrivées ont baissé par 77% en comparaison aux 1 383 488 voyageurs qui ont visité l’île l’année précédente. Seuls 308 980 touristes ont sauté le pas et, là aussi, le gros contingent a fait le trajet entre janvier et février. Ils étaient 248 979 alors qu’ils ne sont que 2 461 pour la même période cette année, ce qui équivaut à un recul de 99% ! Durant l’année écoulée, malgré les baisses, la France a maintenu sa place de leader du marché avec 79 510 arrivées alors que La Réunion a conservé la 3e place avec 30 581 arrivées.
La réouverture du ciel mauricien ne signifie toutefois pas que les voyageurs vont se ruer dans l’île. Les marchés traditionnels sont la France, la Grande-Bretagne, La Réunion, l’Allemagne et l’Italie, entre autres, sont en proie à de vagues successives de Covid-19. Si 60% de la population mauricienne est vaccinée contre le coronavirus, le passeport vaccinal sera le sésame pour venir dans l’île, explique le Premier ministre adjoint Steven Obeegadoo, qui est aussi responsable du portefeuille du Tourisme, à Mondafrique.
« Nous n’avons pas fait le choix, comme certains pays, d’une réouverture forcée qui allait mettre en danger la population. Avec l’arrivée des vaccins, les données ont changé. Nous sommes désormais déterminés à inoculer le plus grand nombre de Mauriciens au plus tard durant la seconde moitié de l’année. Nous allons faire tout ce qui est possible pour terminer cet exercice plutôt vers juillet qu’en décembre », fait ressortir le n°2 du gouvernement qui préside également le Comité national sur la vaccination.
« Le scénario le plus souhaitable, et ce qui semble être le meilleur pour nous, c’est de pouvoir accueillir un touriste vacciné alors que nous avons déjà pris les dispositions pour permettre l’immunité collective au sein de la population », poursuit Steven Obeegadoo. Il compte également discuter avec le secteur hôtelier pour voir comment développer une offre pour les Mauriciens, nombre d’établissements qui snobaient les locaux ayant décidé de leur faire du pied durant la période festive l’an dernier, ce qui a été un pari gagnant.
« L’expérience du Covid-19 nous a permis de découvrir aussi bien les points faibles que les points fort du secteur hôtelier. Nous ne pourrons continuer à opérer comme nous le faisions auparavant. La pandémie nous impose à changer de stratégie et à nous renouveler. Nous avons découvert la potentiel du touriste local qui pourrait se tourner vers l’hôtellerie locale ou à se rendre à l’île Rodrigues, au lieu d’aller à Singapour, en Thaïlande ou en Malaisie », dit-il. Son analyse est partagée par Jean-Michel Pitôt, patron du groupe « Attitude Hotels » et président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim),
Le Premier ministre adjoint se dit conscient que le marché touristique traditionnel ne sera plus le même, d’où l’importance de définir une nouvelle stratégie pour mieux affronter l’avenir. Le gouvernement mauricien devrait également se pencher sur le futur d’Air Mauritius, le transporteur national, qui est sous administration volontaire depuis un an, ses finances étant dans le rouge après des mauvaises décisions découlant de l’emprise des politiques. Partenaire privilégié du tourisme, il devra être remis à flots pour soutenir ce secteur.
Jean-Michel Pitôt admet lui-aussi que Maurice a toujours été centré sur l’Europe et qu’il est sans doute temps de se tourner vers de nouveaux marchés, notamment dans les pays de l’Asie du Sud-est. « Nous sommes en contact avec nos partenaires au quotidien pour sonder le marché. C’est un brouillard total en ce moment, mais nous nous disons que quand les frontières vont rouvrir, nos marchés traditionnels seront parmi les premiers à réagir », souligne-t-il.
« Ce n’est sans doute pas adéquat de mettre de l’argent sur la table pour prospecter de nouveaux marchés, ne serait-ce que la Chine, l’Indonésie ou Thaïlande où nous avons failli à l’époque où tout était beau, tout bon. Ma logique me dicte qu’il faut s’agripper là où Maurice est connue pour relancer la machine. Il faut toutefois se réorganiser pour relancer le marché chinois », déclare celui qui n’a pas eu de cesse d’inviter le gouvernement mauricien à réinventer la destination Maurice. En la rendant plus propre, en tablant sur l’authenticité et en favorisant le tourisme culturel.
C’est à peu près le combat de Sen Ramsamy, consultant pour la Banque mondiale qui a été un ancien fonctionnaire au ministère du Tourisme, ancien directeur de l’Ahrim et ancien directeur de l’organisme régulateur du secteur touristique. Il plaide pour la désignation de professionnels compétents aux postes-clés, notamment à l’Office du Tourisme, au lieu des parachutages des nominés politiques. Il critique certaines stratégies marketing, comme le partenariat avec le club de foot anglais Liverpool qui représente des investissements de 400 millions de roupies.
« Cet argent aurait pu servir à l’embellissement de l’île pendant la fermeture des frontières d’autant que nous sommes une destination haut de gamme. Nous devons mettre l’accent l’hygiène, surtout avec le Covid-19. De l’autre, nous demeurons concentrés sur l’Europe et nous sommes entrés sur le marché chinois par la mauvaise porte. Nous n’étions nullement préparés. Il nous faut prendre conscience que l’offre aux touristes européens ne plaira pas nécessairement aux touristes Chinois ou Indiens », lance-t-il.
Sen Ramsamy ne croit pas dans le tourisme culturel, un Européen allant plutôt se tourner vers le Cambodge, l’Inde ou le Sri-Lanka que de venir à Maurice où les pierres de l’époque coloniales dans les rues de Port-Louis sont systématiquement remplacées par du béton. Les maisons créoles sont démolies pour faire place à des aires de stationnement et il n’existe aucun musée national digne du nom. Il invite le chef du gouvernement de relancer son concept de « Duty Free Island », d’une île hors taxe, à l’image de ce qui se fait au « Dragon Mart » de Dubaï au lieu de tabler uniquement sur le concept de « sea, sand and sun ».
Il suggère aux autorités d’investir dans l’embellissement de l’île pour la transformer en destination de « très haut de gamme ». Avec le Covid-19, inciter les super-riches à descendre dans un palace mauricien pendant au moins un an sera un plus. Au lieu de chercher à accueillir 1,4 million de touristes, 75 000 à 100 000 super-riches allant résider un an à Maurice et dépendant 100 euros chacun par jour rapportera autant de revenus à l’année, calcule ce mathématicien de formation. En attendant le coup de manivelle que sera la réouverture des frontières, le secteur hôtelier enregistre des pertes de 1 à 1,2 milliard de roupies par mois, l’équivalent de 20,9 à 25 millions d’euros.
Xavier-Luc Duval, l’actuel chef de l’opposition qui a été ministre du Tourisme entre 2005 et 2010 puis entre 2014 et 2016, rejoint Sen Ramsamy sur la nécessité d’embellir l’ensemble de l’île et de placer des hommes de calibre aux postes-clés. Il trouve que le gouvernement aurait dû tabler sur la période de fermeture de frontières pour réfléchir sur l’avenir. Voire à rehausser la compétence du personnel hôtelier. Soit à travers des formations au niveau linguistique, du service clients ou technique. La nécessité pour Maurice d’adapter son offre aux Chinois et aux Russes ou à offrir une vrai night-life aux jeunes Européens figurent au nombre de ses suggestions.
Il y aura du boulot pour relancer la machine