Emmanuel Macron s’affranchit de la mémoire coloniale

C’est à l’aune des reculades de la classe politique française qu’il faut apprécier la qualification par Emmanuel Macron des méfaits du colonialisme en Algérie en « crimes contre l’humanité ». Il faut comparer cette avancée sémantique avec le voyage de Bernard Kouchner en Algérie, alors qu’il était ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy. Au retour de cette visite infructueuse, Kouehner, peu convaincant sur l’Union pour la Méditerranée, fit une étonnante déclaration où il laissait entendre qu’il n’y auurait pas de refondation possible des relations bilatérales tant que restaient en vie d’anciens moudjahidines!

L’ancien ministre des finances de François Hollande a franchi le rubicon. Cet homme jeune, qui est né seize ans après la fin de la guerre d’Algérie, n’a pas les  blocages psychologiques de la classe politique française sur tout ce qui a trait au passé colonial.En rompant avec les prudences des générations qui l’ont précédé, Emmanuel Macron fait preuve d’une hauteur de vue comparable à celle qui a permis à  Jacques Chirac d’inspirer à l’ambassadeur de France à Alger de courageuses déclarations sur les massacres de mai-juin 1945 dans le Constantinois.

Tous coupables

Chirac a tenu compte du fait que dans le gouvernement qui mena la répression de mai-juin 1945 siégeaient les gaullistes ,la SFIO, les Radicaux socialistes, le MRP et les communistes, et qu’il est  difficile de faire croire que la gauche serait moins coupable que la droite et le centre.

Au retour d’Emmanuel Macron d’Alger, les Pieds Noirs restés attachés au passéisme du Cercle Algérianiste menacèrent d’amener des harkis et leurs enfants pour perturber les réunions électorales de l’ancien ministre des finances. Mais lors du meeting de Toulon, il n’y eut pratiquement aucu.n membre de la communauté des harkis. Cela montre que celle- ci échappe désormais à la tutelle des associations de rapatriés revanchards, comme les jeunes fils d’immigrés ont cessé de se conformer aux mots d’ordre de leurs anciens tuteurs de SOS-Racisme.

Emmanuel Macron ne s’est pas contenté de solliciter les avis d’historiens. Il avait pris soin de discuter de ces questions avec des fils de harkis. La réflexion de ces derniers, libérée des haines du passé, les a conduits à considérer leurs parents comme faisant partie  des nombreuses victimes du colonialisme. Une telle réflexion est plus utile à la paix des mémoires que les ressassements  d’une Jeannette Bougrab, hégèrie des nostalgiques de la bataille d’Alger, ou d’un Gérald Darmanin, le maire de Roubaix rallié à Nicolas Sarkozy.

Attention droit d’inventaire!

La déclaration faite à Alger par Emmanuel Macron n’est pas sans rapport avec les tentatives de Lionel Jospin de mettre la mémoire coloniale au service de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2002. Le premier ministre-candidat avait choisi le dîner annuel du CRIF pour reconnaître la pratique de la torture en Algérie. Ce qui était diplomatiquement habile. La dénonciation des crimes coloniaux pouvait rester ne pas s’accompagner de la remise en cause du dogme de l’unicité de la Shoa.

Puis il fit voter par les députés un texte reconnaissant qu’il y avait eu une vraie « guerre » entre 1954 et 1962 en Algérie et non de simples opérations de « maintien de l’ordre »- ce qui compte tenu du million d’hommes moilisés pendant près de huit ans semble vraisemblable! Lionel Jospin entendait attirer les voix de la « gauche morale ».en continuant de faire valoir son « droit d’inventaire ».

Contre attaque chiraquienne

Mais les calculs du premier ministre-candidat furent contrariés par la sortie du livre « services spéciaux » du général Aussaresses, dont la publication, voire la rédaction, aurait été encouragée par Jacques Chirac à l’Elysée. L’auteur révélait notamment que l’élimination de Larbi Ben M’hidi, membre de la direction du FLN, arrêté fin février 1957, avait été autorisée par le Garde des Sceaux de Guy Mollet, qui n’était autre que François Mitterrand. 

Cette révélation mit Jospin en difficulté avec les mitterrandistes inconditionnels qui étaient encore influents au PS. Jospin a dû battre en retraite en adressant son « salut à tous ceux qui traversèrent la Méditerranée entre 1954 et 1962 », parmi lesquels les « soldats perdus » de l’OAS. Le « droit d’inventaire » de Lionel Jospin aura pesé de peu de poids devant la préservation de la mémoire de Mitterrand. Le refus du ministre de l’éducation, Jack Lang, de modifier les programmes scolaires sur la guerre d’Algérie témoigne de ces résistances.

Encore que devenu « envoyé spécial »  de la candidate Ségolène Royal en 2007, Jack Lang s’est fait recevoir par Boutéflika, à qui il promit la modification des programmes scolaires qu’il avait refusé tout net avant 2002 ! Cette promesse, soi dit en passant, devait concerner surtout la dure répression du 17 octobre 1961 dont la célébration est encouragée par la gauche afin d’accabler les Maurice Papon, Roger Frey, Michel Debré qui firent les basses oeuvres du général De Gaulle au pouvoir.

Le spectre de la « communautarisation »

De jeunes agrégées ayant étudié quelques aspects de la guerre d’Algérie s’empressèrent d’apporter une caution apparemment savante au conservatisme du ministère. Ces jeunes diplômées-que les disciples du grand historien algérien Belkacem Saadallah ne croient pas en mesure de devenir un jour  des historiennes de toute l’Algérie- retenaient le thème de la « concurrence des victimes », pour expliquer  que toute modification des programmes scolaires sur les crimes coloniaux risquerait de « communautariser l’école républicaine »(1).

Autant de petits calculs et de grandes lachetés qui ont empêché les intellectuels et politiques français de refonder une mémoire commune franco-algérienne.

(1) On sait maintenant que la jeune historienne  qui inspira cette démarche, Sylvie Thénaut. mit en avant la crainte du « communautarisme » pour plaire à un ministère qui l’avait pressentie pour présider une commission destinée à promouvoir un « politiquement correct » sur la guerre d’Algérie.

Par ailleurs, la présidente de cette commission était une bonne spécialiste de …la Shoa ».

Benjamin Stora a contribué à lever l’hypothèque mitterrandienne en co-signant un livre sur  les rejets par Mitterrand, alors ministre de la Justice, des recours en grâce de dizaines de condamnés à mort algériens, dont beaucoup étaient des innocents.

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