Alors que les dirigeants égyptiens, hôtes de la COP 27, veulent faire croire que 40% de l’énergie utilisée en Égypte sera à 40% non fossile, les mêmes érigent en plein désert à 45 km à l’est du Caire la ville nouvelle d’Al-Masaest qui ne peut qu’aggraver le bilan écologiste du pays: des milliers de fonctionnaires utilisant leur voiture pour se rendre dans la nouvelle capitale; d’énormes besoins en eau…
Présentée sur maquette en fanfare en 2015 par le président Al-Sissi, à Sharm Al-Cheikh, devant un parterre de futur investisseurs internationaux, cette cité administrative a été construite sur le modèle de Dubaï mais avec un aménagement de parc verdoyants.
Conçue comme le nouveau centre du pouvoir, elle abritera une fois terminée un palais présidentiel pharaonique, le Parlement, les bâtiments des ministères et de la haute administration d’État, un quartier d’affaires ultramoderne, les plus grandes mosquée et église d’Egypte. Sans oublier des résidences de luxe fermées bâties à l’image des quartiers huppés américains, ainsi que des alignements d’immeubles destinés aux fonctionnaires. Ces derniers ont d’ailleurs commencé à y aménager en juillet dernier, l’inauguration de cette « Sissi-city » étant prévue pour la fin de l’année.
Une facture de 58 milliards de dollars
D’une superficie de 700 km² et prévue pour une capacité de 6 millions et demi d’habitants répartis dans 21 districts résidentiels, le coût de ce qui deviendra la vitrine ultra-moderne du régime est estimé à 58 milliards de dollars (soit 46 % de la dette extérieure égyptienne d’un montant de plus de 125 milliard de dollars), éclipsant de loin les 8 milliards du nouveau canal de Suez. Principal investisseur du projet, la Chine est aussi très présente dans la construction avec sa société nationale de BTP qui a réalisé 32 tours. Avec ses deux-pièces proposés à 62 000 dollars alors que le PIB s’élève à environ 3000 dollars par habitant, cette ville dont le nom n’a pas encore été dévoilé, sera ultra-sécurisée et est réservée aux élites économiques de la société égyptienne, ou du moins à celles qui sont le moins susceptibles de se révolter et forment les soutiens au régime parmi les civils.
De toute évidence, il s’agit de mettre le centre politique et économique à l’écart du Caire, ville propice aux révoltes urbaines. Le soulèvement révolutionnaire de 2011 qui avait provoqué la chute de Moubarak, et avait comme épicentre la place Tahrir, avait fait trembler l’oligarchie militaire. Avec ses quartiers populaires aux rues étroites et peuplés de millions d’habitants, l’armée égyptienne n’avait pu se déployer que sur les grands axes de la capitale. Elle n’avait pu éviter, par exemple, l’incendie du ministère de l’Intérieur situé à proximité de la place emblématique, et l’investissement par les manifestants du siège de la Sûreté Nationale jouxtant le quartier populaire de Aabdîne. Puis, sous la présidence Morsi en 2012, le Palais présidentiel avait été assiégé pendant des jours par une foule de manifestants en colère. Et ce, sans compter les confrontations avec les forces de l’ordre, les occupations d’espaces urbains et les grèves qui ont bloqué l’économie du pays fortement centralisée.
Officiellement construite pour désengorger le Caire qui compte plus de 18 millions d’habitants auxquels s’ajoutent environ 2 millions de personnes en journée (pour le travail ou les démarches administratives), cette nouvelle capitale répond donc à un impératif clairement sécuritaire.
Une capitale peu écologiste
Et les milliers de fonctionnaires qui feront la navette entre la capitale officielle et la nouvelle devront certainement montrer patte blanche après avoir passé des heures dans les embouteillages.
Parallèlement, les urbanistes signalent déjà un probable problème d’approvisionnement en eau, la seule ressource étant le Nil, et les spéculateurs un risque de bulle immobilière
De fait, le régime se séparera du Caire et de ses quartiers « dangereux » pour se réfugier dans une citadelle futuriste insérée dans le réseaux des ville mondiales, où le peuple sera persona non-grata. Mais il n’en demeure pas moins qu’en s’enfermant dans une cité-Etat dissociée des réalités du pays, le régime d’Al-Sissi ne fait que creuser le fossé le séparant de la majorité des Égyptiens qui continuent de s’enfoncer dans une crise économique sans fin.
Rabha Attaf, grand reporter, auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée »
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