Un jour de 1998, un bateau transportant deux cents kurdes échoue sur la plage de Riace, un village du sud de l’Italie. Spontanément, les habitants du village leur viennent en aide. Petit à petit, migrants et villageois vont réhabiliter les maisons abandonnées, relancer les commerces et assurer un avenir à l’école. Un an plus tard, impulsée par Domenico Lucano (qui deviendra maire de Riace en 2004), l’association Città Futura (Ville du futur) est créée. Soutenue par l’État et la Communauté européenne, la structure gère aujourd’hui l’accueil de 400 réfugiés de 22 nationalités différentes.
Dans l’attente de leurs papiers, les migrants doivent s’inscrire dans un projet de formation professionnelle et d’apprentissage de l’Italien pendant deux ans. Pendant ce temps ils perçoivent une allocation de 33 euros par jour qui comprend les frais d’hébergement, les vêtements, l’assistance sociale et juridique, l’école, les soins…
L’argent reçu est directement investi dans le village. C’est ainsi que chaque jour depuis 20 ans, le futur de Riace se réinvente.
Deux réalisatrices issues de l’immigration
Shu Aiello est d’origine calabraise et la famille de Catherine CATELLA est sicilienne. Elles ont passé des mois à filmer la vie quotidienne du village et de ses habitants : vieux calabrais et jeunes migrants. « En faisant le portrait de ce village, nous pouvions montrer qu’accueillir de nouveaux habitants n’empêche pas de garder son identité. Nous avons pu filmer des gens simples, plutôt pauvres, qui ont l’intelligence du coeur mais aussi le pragmatisme de penser que l’étranger peut être une chance dans un village désertifié et vieillissant. Ce sont des gens qui ont la mémoire de l’exil des leurs, et qui ont l’habitude de regarder la mer. »
Domenico Lucano, un Maire de choc
Domenico Lucano est né et a grandi à Riace. Ancien instituteur, lui aussi a songé à quitter le village à la fin des années 90. L’arrivée des migrants et le projet Città Futura le convaincront de rester. Figure de l’alternative de gauche, il entre au Conseil municipal en 1999 et inscrira la commune au « Programme national d’accueil » en 2001. Domenico est élu maire pour la première fois en 2004 ; est réélu en 2009 et en 2014.
En 2016, le magazine Fortune le classe quarantième des leaders les plus influents du monde aux côtés d’Obama, Poutine, Merkel…
La Mafia…
La mafia s’inquiète de l’attention médiatique qu’attire le projet de Ciità Futura, et a tenté d’intimider les riacese à plusieurs reprises. Pour les habitants, le combat contre la mafia et pour l’accueil des migrants, fait partie d’une même démarche d’ouverture du village au monde.
Catherine Catella : « Chacun a compris que c’était une vraie opportunité ! La seule opposition silencieuse est celle de la mafia qui voit d’un mauvais oeil se perdre de potentiels «esclaves» pour leurs grandes exploitations. Mais la résistance du maire tient la mafia à distance. Même si elle se livre à des intimidations, la réponse collective du village désarme la loi du silence.
Riace est en effet est un des rares villages à s’être porté partie civile contre la ‘Ndrangheta.
L’envers du décor
Le documentaire, dont l’image est superbe, le ton enlevé et le point de vue à la fois poétique et politique, ne cède jamais au didactisme car il laisse la part belle à des personnages hauts en couleurs : jeunes ados africains ou vielles calabraises hiératiques, autant de protagonistes qui semblent cohabiter dans une harmonie totale. C’est un peu la limite du film, qui semble ignorer tous les éventuels problèmes que posent l’arrivée de ces jeunes ou moins jeunes, traumatisés par la guerre, la misère, une traversée en bateau ou ils ont vu périr les leurs, le problème de la langue etc…
Il y a bien ces quelques scènes consacrée à la lutte contre la Mafia et d’autres qui laissent imaginer les conflits latents : une adolescente qui boude, une bande d’ados bruyants, un candidat maire adverse qui menace le projet et quelques regards sceptiques… mais le tout est balayé par un enthousiasme communicatif, voire oeucuménique. En témoignent les scènes filmées dans l’église du village où le curé accueille les « fidèles » toutes religions confondues et les invite à prier dans leur langue, puisque somme-toute musulmans et chrétiens honorent le même dieu…
On aimerait y croire, on y croit, on y croirait encore davantage si l’envers du décor nous était plus précisément montré. Pourquoi avoir à ce point pris le parti d’occulter toutes les contradictions qui, on l’imagine, agitent cette magnifique entreprise ? Les réalisatrices l’expliquent dans leurs propos…
Shue Aiello : « Curieusement, l’opposition politique n’a jamais remis en question l’accueil des migrants. Pour une raison avant tout pragmatique : les écoles du village, les épiceries et autres commerces ont rouvert, les habitants majoritairement très âgés ont eu des aides à domicile, quelques jeunes ont retrouvé un peu de travail… Personne ne veut renoncer à cette renaissance. »