L’association « Un œil sur la Palestine » continue le récit passionnant de son carnet de route à Jérusalem. Elle nous emmène à travers son voyage, au cœur de cette ville trois fois sainte, entre les checkpoint et les combats quotidiens des habitants. Récit.
Vendredi 22 mai, 06 heures du matin : début du week-end pour les palestiniens. Le manque de sommeil n’a pas ralenti nos ardeurs de découvrir les lieux saints de la vieille ville. En effet, la nuit fut courte, le réveil matinal, mais l’ambiance, dans le car, détendue. Une fois n’est pas coutume, la circulation est fluide jusqu’au checkpoint de Qalandia, où descendent deux vieilles femmes, qui se sont levées, subitement, pour emprunter la porte de sortie, sans que nous sachions trop vraiment pourquoi.
Une autorisation pour prier
Une fois arrivés, nous avons constaté que nous n’étions pas les seuls à avoir réveillé le coq aux aurores : de nombreux pèlerins, appartenant aux trois cultes monothéistes, arpentaient les ruelles qui les menaient chacun sur leur lieu de prière. Une femme d’une cinquantaine d’années nous interpelle sur les raisons de notre présence dans la ville trois fois sainte. Elle nous explique que nous sommes chanceux de nous trouver là, ses deux jeunes filles ne pouvant avoir accès au dôme du Rocher, étant originaires de Naplouse, et devant solliciter une autorisation pour prier à la Mosquée El Aqsa. Cette autorisation, nous précise-t-elle, est délivrée, de manière aléatoire, par les autorités israéliennes, selon un critère d’âge : « plus tu es jeune et moins tu as de chances de l’avoir ». Faut croire que la jeunesse porte, ici, les germes de la révolte…
Il nous est, alors, apparu le sentiment que si cette femme s’infligeait trois heures de route pour être là, malgré son âge avancé, c’est parce qu’elle s’en sentait le devoir de le faire aussi pour ses filles, et de représenter, ainsi, sa famille nucléaire autant que sa famille au sens large, à savoir la communauté musulmane. C’est que se rendre, le vendredi, sur ce lieu saint est pour cette femme un acte de résistance. L’islam est un élément essentiel de son identité palestinienne, et il n’est nullement question, pour elle, d’en stopper sa pratique, en raison des restrictions, en toutes matières (liberté d’aller et de venir, liberté religieuse etc..), imposées par l’Etat d’Israël aux musulmans présents sur cette terre. Là voilà qui s’éloigne sous nos yeux, pour franchir un checkpoint d’un tout autre style. En effet, avant d’accéder à l’Esplanade de la Mosquée, tout musulman non d’apparence doit se soumettre à un contrôle de religiosité. Il lui est demandé, par les gardiens des lieux, de réciter la profession de foi du musulman ou une sourate coranique, afin de vérifier qu’il n’est pas là pour mettre en danger la sécurité des pèlerins. Si cette mesure nous a paru pour le moins choquante, comme pouvant être discriminatoire à l’égard des touristes du monde entier, elle s’explique, néanmoins, au regard des heurts qui ont, parfois, eu lieu sur ce site sacré. Dernier en date, le 6 novembre 2014.
Une résistance extraordinaire
Nous nous rendons à Sheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem, où la gauche israélienne manifeste tous les vendredis. On peut apercevoir sur les banderoles et pancartes apportées par les militants « Non à la colonisation » ou encore « Sheikh Jarrah est la Palestine ». C’est que cette partie de Jérusalem Est est gangrénée par la colonisation. La mobilisation de ce jour n’a réuni qu’une vingtaine de personnes eti, hélas, s’essouffle de semaine en semaine. Elle n’a duré qu’une heure mais nous a donné l’occasion de rencontrer Salah Dyab, un habitant de Sheikh Jarrah.
Après la manifestation, il nous invite à nous rendre, à ses côtés, chez sa voisine, qui « partage » malgré elle, sa propriété avec une famille de colons israéliens. Assis, dans la cour, il nous raconte l’histoire de son quartier sous mandat britannique, puis sous administration jordanienne, avant d’échoir entre les mains du Goliath israélien. Salah affirme, qu’il assiste, impuissant, depuis une dizaine d’années, aux spoliations des habitations voisines, nous expliquant, alors, le « processus » d’expulsions des palestiniens d’habitations qui pourtant leur appartiennent. Toutes les familles ont en leur possession un titre de propriété mais cela ne suffit pas : « La police israélienne débarque et permet aux colons de s’accaparer les lieux, sur le seul motif que cette terre appartiendrait aux juifs ». Pour nous témoigner de la violence de ces exactions, il nous remet des photos de tentes montées dans la rue, par les familles palestiniennes, expropriées dans ces conditions. Il convoque, ainsi, à notre assemblée, tous ces opprimés que la Justice humaine n’a jamais entendus. C’est pourquoi, conclut – il, « il préfère s’en remettre à la Justice de Dieu ». Curieux, comme son discours fait écho à celui de cette vielle dame rencontrée quelques heures plus tôt. Elle et Salah ont été, aujourd’hui, les deux profils du même visage d’une résistance, qui s’appuie sur « le religieux » pour garder espoir.