Chroniques Palestiniennes (5) : De l’utilité d’un cirque palestinien et du boycott anti-israélien

Stéphanie Latte est chercheuse à l’institut français du proche orient, Jessika Devlieghere a créé l’école du cirque de Palestine. Rencontre

unnamed-2Pour cette rencontre avec Stéphanie Latte-Abdallah, retour au Jérusalem Hôtel, à Jérusalem-Est, où nous avions déjà rencontré Daniel Seideman. L’ échange fut passionnant avec cette chercheure venue nous apporter son éclairage sur les différentes questions qui émergent. Et des questions, il y en a !

90% de prétendus coupables 

La mobilisation pour le boycott des produits israéleins a trouvé sa source dans des initiatives locales. L’autorité palestinienne s’y est ralliée. Chacun donne son point de vue « L’Etat d’Israël est un Etat colonisateur, le boycott institutionnel est donc légitime, ensuite, se pose la question des individus. » Le poids des arrestations arbitraires, dès 12 ans, « instrumentalisées pour savoir qui sont les vrais leaders ». Ces arrestations sont justifiées de manière perverse par les autorités israéliennes, décrypte Stéphanie Latte : « il est possible d’éviter un procès en reconnaissant sa culpabilité et en payant une amende (dont le montant est soumis à négociation). Cela permet à Israël de dire que 90% des personnes arrêtées sont coupables. »

Cette spécialiste de la région s’étend enfin sur les thèmes abordés au sein de son institut, les alternatives économiques : monnaie (la Cisjordanie utilise le shekel israélien, faute d’avoir sa propre monnaie), circuits d’approvisionnement locaux… Si elle s’exprime face à nous en tant que scientifique, on sent poindre la conviction, elle ne nie d’ailleurs pas que ces interventions ont un rôle politique évident.

Un cirque en Cisjordanie

Pour notre deuxième rencontre de la journée, c’est une femme ouvertement engagée, Jessika, qui nous attend dans un tout autre décor. Une vieille bâtisse de style ottoman, aux plafonds voutés et aux poutres apparentes, rénovée il y a deux ans. Bienvenue à l’école du cirque de Palestine, à Birzeit, en périphérie de Ramallah. C’est ici que le chapiteau accueille chaque année 200 élèves.

L’aventure a commencé en 2006, et s’est étendue à Jenine, Ramallah, Al Fara et Hébron. Les activités du cirque sont divisées en deux axes. Une partie de représentations à travers la Palestine et le monde, l’autre à l’adresse des enfants. Sur 4,4 millions de Palestiniens, 2 millions ont moins de 18 ans. « C’est une façon de promouvoir la liberté d’expression, renforcer la personnalité des enfants » explique Jessika, dans un français au fort accent néerlandais (cette dernière est belge). Bien sûr les difficultés sont nombreuses : trouver des fonds, et faire avec les coutumes locales. Car le cirque ne fait pas partie de la tradition palestinienne, pas plus que la mixité sociale. « Le but, c’est de jouer avec toutes les couches de la société. Je répète à nos professeurs qu’il ne faut pas que leur comportement ferme la porte à d’autres. On aime rappeler que la Palestine a connu une autre période, où les jeunes filles allaient à l’école en jupe.  On se rattache à ça, et on s’adapte, les professeurs font très attention ! »

Heureusement, la magie du spectacle, du rire, de l’émerveillement prend le pas sur les possibles crispations. Généralement, lorsqu’il découvre le chapiteau de 8 mètres de haut, caché derrière le bâtiment, le public d’abord bruyant, se fait silence, bouche bée. Et puis, comme elle le dit avec un clin d’œil : « Qui a décidé quelles sont les traditions palestiniennes ? »

Si ces deux femmes nous ont particulièrement touchés, c’est autant pour leur activité que pour le parcours qui les a menées ici. Elles mènent pourtant deux vies différentes. Alors que le fils de Stéphanie va à l’école à l’institut Français de Jérusalem, celui de Jessika, est scolarisé à Birzeit. Elever un enfant entre les checkpoints et les incursions de soldats, c’est un choix parfois difficile à assumer. Cela l’a été cet été, pendant la guerre à Gaza : « Il entendait le bruit des tirs au loin. Je lui expliquais que ce devait être un gros camion qui était rentré dans un mur ! En grandissant, les enfants comprennent la situation. Jusqu’à huit ans ça va, mais après, ils prennent leur indépendance et ça devient dangereux pour eux. Il y a un enfant qui participe au cirque et qui est dans la même école que mon fils. Il a failli mourir l’année dernière lors de la Nakba. Deux de ses amis ont été tués. »