Le régime, dont les caisses sont vides, veut pousser le développement des infrastructures pour donner des airs de grandeur à une ville encore marquée par la pauvreté.
Place de la Nation à N’Djamena, fierté du pouvoir tchadien, symbole d’une gloire retrouvée. Trop bien cadrées, les photos officielles montrent les statues de bronze d’un couple de combattants tchadiens. En arrière plan, la monumentale arche métallique. La com’ du régime est lisse et le message est clair : la capitale tchadienne n’est plus cette ville délabrée qui porte les stigmates des guerres civiles et rebellions à répétition.
Une forteresse imprenable
Mais l’impression de grandeur de ces « Champs Elysées tchadiens » n’est qu’illusion. Situé à quelques dizaines de mètres du palais présidentiel, le rond-point est bordé d’espaces vides. Les quelques gazons ombragés sont squattés par des jeunes à motos alors que, très vite, la verdure laisse place à de vastes terrains vagues abandonnés. La végétation se fait rare depuis que le président Idriss Deby Itno a ordonné la coupe de tous les arbres du centre-ville en février 2008. Paniqué par la progression des rebelles, IDI craignait qu’ils empêchent ses hélicoptères de combat de stopper les miliciens.
À cinquante mètres du rond-point de la place de la Nation, un autre terrain vague. Là, au milieu, la cathédrale délabrée de la ville garde les stigmates des batailles. Un officiel explique que les travaux de réhabilitation ont été arrêtés faute de moyens, on est loin de l’image de la ville-phœnix que le pouvoir brandit. Un peu plus loin, le château-fort du président tchadien. À peine perceptible de la rue, ce palais rose symbolise plus de deux décennies de règne sans partage du clan Deby. Entouré de murailles construites par Sogea-Satom, filiale de Vinci, l’étranger de passage découvre un dispositif de sécurité impressionnant. Palissades, cubes de bétons et miradors entourent les jardins présidentiels. En faction, la garde prétorienne du président veille. Celle-là même qui est partie au Mali, en Centrafrique et maintenant sur les traces de Boko Haram. Célèbre pour son savoir-faire, elle est constituée en grande partie de membres de l’ethnie du président, les Zaghawa. Choisis pour combattre dès leur enfance, beaucoup sont passés par des stages encadrés par la DGSE, l’agence française d’espionnage qui œuvre aux côtés de Deby depuis avant sa prise de pouvoir en 1990. Aux abords de la citadelle présidentielle, la tension est palpable. Un vieux tchadien s’amuse de la surprise du français à peine débarqué, « c’est grand hein ! Mais ne t’arrête pas devant, ils tirent avant de réfléchir par ici. »
Développement sans lumière
Les officiels du régime ont beau s’évertuer à louer l’édification d’infrastructures, la ville reste marquée par de nombreux signes de pauvreté. Les quelques hôtels et restaurants climatisés accueillent le gratin tchadien, les businessmen de passages, les expatriés ou militaires français en courte permission. La quasi inexistante classe moyenne tchadienne n’y met que très peu les pieds.
Partout, des palissades entourent des travaux. D’ici 2015, réception du sommet de l’Union africaine, des immeubles ultra modernes – télévision publique, hôtels luxueux, ministères – viendront accentuer l’opposition flagrante entre opulence et extrême pauvreté. Depuis l’exploitation du pétrole, au début des années 2000, le pouvoir voit les choses en grand. Ce jour-là, sous 45 degrés à l’ombre, un officiel, par ailleurs homme d’affaires, guide une délégation de Chinois du géant de la construction Soluxe. À chaque coin de rue il commande un établissement de restauration rapide, un stade, des logements. Il ira ensuite convaincre le responsable des « travaux présidentiels ». Des commandes qui jurent avec le niveau de développement et la pauvreté des périphéries. Les habitations de fortunes vont côtoyer les buildings. L’argent du pétrole a couvert d’une mince couche de goudron les routes principales mais le réseau électrique est catastrophique, la moindre pluie inonde les trottoirs et habitations les plus spartiates. Sans travail pour ces habitants qui vivent dans des conditions très précaires, la ville peine à s’adapter à l’accroissement fulgurant de la population. De 530 000 en 1993, on estime aujourd’hui à un million le nombre de ndjamenois.
« N’Djaména brille de mille feux en ses quatre coins » lit-on dans un magazine du pouvoir. En tous cas pas après 18h30. Passée cette heure la nuit tombe, seuls quelques axes, dont la fameuse avenue Charles De Gaulle, sont éclairés par des lampadaires aux lueurs orange. En s’éloignant de cet axe, puis de la ville, le goudron disparaît petit à petit et les lumières des phares éclairent des habitants de quartiers pauvres, rassemblés autour de feux ou de petits lumignons à pile.
Ville sous surveillance
« Il ne faut pas sortir après 22heures, les policiers et les militaires font des problèmes » préviennent des religieuses bienveillantes. La nuit tombée, les quelques ronds-points éclairés sont contrôlés par des policiers et militaires désœuvrés qui, lorsqu’ils voient passer des étrangers trouvent une infraction qui, selon le sens des affaires de ces derniers, peut leur coûter entre 500 et 10 000 Francs CFA. Beaucoup de Tchadiens racontent des anecdotes sur le harcèlement ou les intimidations des policiers ou militaires. Le traitement varie selon la langue parlée ou la région d’origine.
Les hommes de l’Agence Nationale de Sécurité (ANS) ou des Renseignements généraux locaux inquiètent beaucoup les tchadiens qui osent critiquer le pouvoir. Tristement connus pour les arrestations et emprisonnements arbitraires, maintes fois dénoncés par les militants des droits de l’Homme, ils trainent dans les halls d’hôtel ou les restaurants. Très évasif et conciliant, un haut fonctionnaire invite son interlocuteur à prendre à emporter le repas, « cet endroit est rempli de types des renseignements ou de gens à eux » explique-t-il en sortant. Réaction compréhensible quand on sait que l’année passée le député d’opposition Gali Gata Ngoté a été emprisonné quelques jours pour avoir été vu avec un blanc dans un café d’un hôtel de la ville. Un espion disait l’avoir vu donner un paquet à un employé de l’ambassade française. Qui oserait douter de la parole d’un agent tchadien ?
Ville martiale
À N’Djamena, les militaires sont partout. Les journalistes et observateurs prennent la température sécuritaire du pays grâce aux allées et venues des militaires. Enturbannés avec des lunettes de soleil, ils sont parfois plus d’une dizaine par pick-up à dévaler en trombe les plus grands axes goudronnés.
Par son histoire même, N’Djamena est une ville martiale. Baptisée Fort-Lamy au début de l’installation des colons français en 1900, elle est un de ces coins d’Afrique que l’armée française connaît bien. Depuis 1986, l’Opération Epervier y est installée : 1 000 hommes dans tout le pays. N’Djamena est une pièce maîtresse de la présence militaire française en Afrique.
Discrets dans le reste de la ville, on voit parfois de grandes tablées de crânes blancs rasés dans les endroits les plus huppés. Le reste du temps ils sont cantonnés derrière les murs épais de leur base qui jouxte l’aéroport international Hassan Djamous et son unique piste d’atterrissage. Sous ses airs de gymnase, cette plateforme internationale est partagée par les forces françaises et tchadiennes, les ONG mais aussi les compagnies aériennes, un vrai fourbi logistique qui cause régulièrement des cafouillages et du ressentiment de la part des tchadiens.
Malgré la frustration et les bravades de façade, le pouvoir continue à défendre cette discrète mais importante présence française. Sans elle, le pouvoir tchadien ne ferait pas long feu. Dans ce pays de guerriers et d’instabilités, les seuls arguments qui tiennent sont d’ordre sécuritaire.