CAN 2024 : la Côte d’Ivoire rêve de victoire face au Nigéria

Faciles dominateurs des Léopards du Congo (1-0) en demies finales de sa coupe d’Afrique, les Eléphants de Côte d’Ivoire ne sont plus qu’à 90 minutes du bonheur absolu, dimanche, face aux Supers Eagles du Nigéria. Mais, plus que jamais, les Ivoiriens sont convaincus que le vent a définitivement tourné en leur faveur.

Bati Abouè

C’est l’histoire d’un premier tour de CAN qui a failli briser un rêve national. Le 22 janvier 2024, au terme d’une dernière rencontre de poule qui a rapidement tourné à la déroute pour les Ivoiriens battus 4-0 par la modeste équipe de la Guinée Equatoriale, les Eléphants manquent de se faire lyncher au stade Alassane Ouattara où ils se réfugient durant des heures. Dans les vestiaires devenus une vallée de larmes, les joueurs réalisent qu’ils ne sont plus les héros acclamés à chaque coin de la rue par un pays qui respire le football et son adrénaline. En ces heures de détresse nationale, la Côte d’Ivoire est même au bord du chaos. Un début d’émeute vite circonscrit par la police éclate à Abobo et dans les alentours d’Ebimpé (20 Km d’Abidjan, ndlr) où a été construit le stade.

Les vitres de la dizaine de bus garés à proximité volent en éclats sous les assauts des gangs de microbes », du nom de ces jeunes délinquants protégés par le régime du président Ouattara qui se promènent avec des machettes dans le manche. Dans les rues, des pneus enflammés projettent leur fumée noire dans le ciel sans éclat et jusque dans leur dernier retranchement les joueurs sont pourchassés par la foule qui leur reproche leur manque d’investissement sur le terrain. « Ils n’ont pas joué avec le cœur ; c’était pourtant tout ce qu’on leur demandait », justifie une jeune supportrice qui a vécu son « pire cauchemar » dans la fan-zone surchauffée de Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan.

Panique au sommet de l’Etat

La déroute ivoirienne fut une incroyable rouste pour le pouvoir ivoirien qui a misé sur cette CAN pour se refaire une virginité auprès des Ivoiriens dont le quotidien est miné par l’inflation.

Pour faire de la Côte d’Ivoire le centre de gravité du monde pendant un mois, il a en effet fallu investir sans compter. Au total, quelque 1000 milliards auraient été investis pour la construction de quatre nouveaux stades de toute beauté, ainsi que pour la réhabilitation de deux autres stades à Abidjan et à Bouaké. Le gouvernement a également ouvert de nouvelles voies à Abidjan et autour du stade d’Ebimpé. Le président Ouattara n’a pas hésité à renvoyer son ministre des sports en raison de la mauvaise qualité de la pelouse du stade qui porte son nom. Mieux, Robert Beugré Mambé sur qui avait reposé le succès des Jeux de la Francophonie en 2017 en tant que ministre gouverneur a également pris la tête du gouvernement…

Le président de la Fédération ivoirienne de football (FIF), Idriss Yacine Diallo, est détesté par une grande partie de la population pour avoir battu Didier Drogba lors de son élection.

Mais pendant que la colère continue de monter, une personne cristallise toutes les rancœurs. Il s’agit du président de la Fédération ivoirienne de football (FIF), Idriss Yacine Diallo, détesté par une grande partie de la population pour avoir battu Didier Drogba lors de l’élection du président de la FIF. Si cette élection avait été au suffrage universel direct, M. Drogba l’aurait emporté haut la main ; sauf que seules 81 personnes qui se méfient des méthodes de la star internationale étaient appelées à trancher. Mais Idriss Diallo s’est aussi fait de nombreux ennemis en défendant la nomination de l’entraineur français Jean Louis Gasset jugé incompétent par les ivoiriens. « Jugez-nous aux résultats », avait alors sèchement répondu M. Diallo qui venait de réaliser, ce 22 janvier 2024, son infortune.

Plusieurs entraineurs pour une équipe

Pour calmer la clameur populaire, Idriss Diallo dû d’abord se résoudre à limoger l’entraîneur français qui n’a obtenu que 3 points sur les 9 possibles. Jean-Louis Gasset est remplacé à son poste par son adjoint Emerse Faé, un ancien international ivoirien qui s’est reconverti très tôt comme entraîneur de football quand il a su que sa vie était en danger à cause d’une malformation cardiaque.

Mais pendant que celui-ci prend ses marques avec l’équipe nationale, le président de la FIF négocie discrètement l’arrivée d’Hervé Renard, un entraîneur français bien connu en Côte d’Ivoire puisque les Eléphants lui doivent leur deuxième étoile sur leur tunique. Renard qui est encore sous contrat avec l’équipe féminine de la France est d’accord. S’ouvrent alors des négociations avec la Fédération française de football (FFF) qui est son employeur. Ces négociations impliquent directement la présidence ivoirienne et le Premier ministre Robert Beugré Mambé qui sent la terre se dérober sous ses pieds. Mais celles-ci sont ébruitées par la presse hexagonale.

En fait, Idriss Diallo n’a pas confiance en son nouvel entraîneur qui préfère faire le dos rond quand il apprend la nouvelle. « Personne ne m’a dit que je n’étais pas l’entraîneur de l’équipe », répond malicieusement Emerse Faé aux journalistes qui le titillent sur l’affaire « Hervé Renard ».

La 3è étoile au bout du rêve ?

A trois jours d’un match crucial contre le Sénégal qui a dominé de la tête aux pieds sa poule en arrachant les 9 points possibles, ces négociations sont du plus mauvais effet pour le moral des Eléphants traumatisés. Mais Emerse Faé a de la ressource et de l’intelligence. Sur le terrain, il fait montre de personnalité en repositionnant son équipe. Les joueurs jusque-là bannis sous l’ère Gasset retrouvent ainsi de la place. Menés dès la 4è minute du jeu sur un délicieux retrait de Sadio Mané, les Eléphants montrent de la détermination et finissent par égaliser sur pénalty par Franck Kessié, dans les ultimes minutes du match. Le miracle Faé opère également pendant les séances de tirs aux buts que les Eléphants remportent.

Cette victoire décisive que les Ivoiriens doivent en partie à leur repêchage par les Lions de l’Atlas marocains, aide désormais à rêver grand. D’ailleurs, Abidjan ne s’y trompe plus. En plus de croire que la coupe leur est désormais acquise par les cieux ouvertement cléments, les Ivoiriens ont retrouvé leur unité. Sur les réseaux sociaux et dans les gradins du stade, tous les leaders politiques s’affichent dans les couleurs nationales et chacun y va de son mot de soutien aux joueurs. Malgré les récurrents problèmes liés à la billetterie, des milliers d’Ivoiriens expriment leur patriotisme en se rendant massivement dans les stades. Les stocks de maillots s’en retrouvent, du coup, épuisés dans les boutiques, ce qui est plutôt bien pour les affaires. Le moral est donc haut à quelques jours d’affronter le Nigéria. D’autant plus que les victoires contre le Mali (2-1) et la République démocratique du Congo (1-0) ont montré que le rêve d’une troisième étoile n’était plus vraiment une chimère.

La Côte d’Ivoire aurait alors organisé la meilleure des CAN, la plus populaire sans doute pour ne pas la laisser à ses visiteurs, même si le maître mot à Abidjan durant tout ce mois de compétition a toujours été d’offrir au monde la CAN de l’hospitalité.