Présentée comme la grande favorite pour l’organisation de la CAN 2017, l’Algérie s’est inclinée face au Gabon qui a n’a pas hésité à invoquer la menace djihadiste
L’Algérie n’organisera pas la CAN 2017. Convaincus de posséder le meilleur dossier de candidature, les Algériens ont pourtant vu la Confédération africaine de football leur préférer le Gabon d’Ali Bongo, déjà coorganisateur de l’épreuve (avec la Guinée Equatoriale) en 2012. La CAN élit donc domicile en Afrique centrale, la région de son président, le Camerounais Issa Hayatou : après l’édition 2015, organisée au pied levé en Guinée Equatoriale, le tournoi 2017 aura donc lieu dans le Gabon voisin, alors que le suivant a déjà été attribué au Cameroun.
En comparaison, le Nord du continent fait figure de parent pauvre. Déjà recalée pour les éditions 2019 et 2021, l’Algérie voit celle de 2017 lui filer sous le nez, après que la Libye et le Maroc, pour des raisons diverses, aient jeté l’éponge. Surprenant eu égard à la qualité supérieure du dossier algérien, le choix des 14 membres du comité exécutif de la CAF étonne moins quand on l’examine sous l’angle de la géopolitique du football.
Fronde maghrébine
Les derniers mois ont en effet été marqués par une nette dégradation des relations entre la CAF et les pays du Maghreb. Le Maroc, tout d’abord, s’est mis à dos l’instance dirigeante par son refus d’accueillir la CAN 2015 sur son sol aux dates prévues, en invoquant le risque lié au virus Ebola. On ne rappellera pas la suite en détails, juste son épilogue : frappé lourdement sur les plans sportif (une suspension pour les CAN 2017 et 2019, après avoir manqué de facto celle de 2015) et financier (une amende de 1 million de dollars et une autre de 8 millions pour dommages et intérêts), le Royaume a contesté ces sanctions devant le Tribunal Arbitral du Sport et obtenu gain de cause, infligeant par là même un terrible camouflet à la CAF, accusée d’avoir pris des décisions arbitraires.
La décision marquait la fin d’une longue séquence « judiciaire » : menacée également d’exclusion de la CAN 2017 pour avoir mis en doute la probité de l’arbitrage de son quart de finale face au pays organisateur lors la récente CAN en Guinée Equatoriale, la Tunisie avait vu la CAF passer l’éponge après avoir présenté des excuses. Mais la guerre des communiqués entre la Fédération tunisienne et l’instance avaient laissé des traces. Quant au club algérien de la JS Kabylie, exclu des compétitions africaines pour deux ans suite à l’assassinat en plein match de son attaquant Albert Ebossé (voir plus loin), il avait également eu gain de cause devant le TAS.
Hayatou-Raouraoua, la brouille
Cet agenda judiciaire chargé n’aura pas contribué à la popularité des pays maghrébins auprès des hiérarques de la CAF. Et pourtant, jusqu’à la fin 2014, Issa Hayatou pouvait compter sur le soutien inconditionnel de Mohamed Raouraoua. Le puissant président de la Fédération algérienne de football avait par exemple approuvé sans réserve le choix fait par le boss de la CAF de confier la CAN 2015 à la Guinée Equatoriale. Seulement voilà, les rapports entre les deux hommes s’étaient, de sources proches des intéressés, nettement refroidis ces dernières semaines. La décision prise par Raouraoua de ne pas briguer de nouveau mandat au comité exécutif de la FIFA, début avril (la CAF a élu le Tunisien Tarek Bouchamaoui et le Congolais Constant Omari) aurait ainsi été mal perçue par issa Hayatou.
Officiellement, pour Raouraoua, il s’agissait de se « consacrer à (ses) activités au sein de la FAF et de la CAF », jugées suffisamment chronophages, le temps que les mandats au comité exécutif de la FIFA ne soient remis en jeu selon une nouvelle répartition géographique, chose prévue pour 2017. Mais cette date correspond également à la prochaine « présidentielle » de la CAF, à laquelle Issa Hayatou (68 ans) pourra se représenter après avoir fait voter une levée de la limite d’âge, jusqu’alors fixée à 70 ans. Considéré comme un successeur potentiel, le dirigeant algérien aurait pu être tenté de se mettre sur les rangs, fort d’une CAN réussie à domicile. De ce point de vue-là, le Gabon, non représenté dans l’actuel comité exécutif de la CAF, ne représentait aucune menace. Et ce n’est pas le désistement de l’Egypte en faveur de l’Algérie qui y changea quoi que ce soit, tant le pays des Pharaons a perdu ces dernières années en influence dans les coulisses de l’instance africaine.
Lobbying gabonais
Le lobbying, précisément, a sans doute été le principal point faible de la candidature DZ. Très confiante en la qualité de son dossier, l’Algérie n’a sans doute pas suffisamment pris le soin de soin d’en assurer le « service après-vente » auprès des décideurs de la CAF. Une chose que le Gabon n’a pas manqué de faire, profitant notamment de la proximité de la CAN 2015, organisée chez son voisin équato-guinéen, pour soigner son image auprès des décideurs de la CAF. Pour ce faire, le pays aura su user d’un argument de poids : celui de la sécurité.
Le décès tragique d’Albert Ebossé, buteur camerounais de la JS Kabylie tué par un de ses propres supporters dans l’enceinte du stade de Tizi Ouzou le 27 août 2014, aura apporté un argument inespéré au Gabon. Quitte à insister dans l’analyse sur l’insécurité autour des matchs de Championnat (et l’assassinat resté impuni d’Ebossé) et oublier que l’équipe nationale et ses adversaires jouent depuis plusieurs années dans un climat apaisé. Egalement évoquée par les lobbyistes gabonais, la menace djihadiste qui aurait pu menacer la bonne tenue d’une CAN en Algérie. Là encore, l’argument avait ses limites, en ceci qu’il faisait bon marché du fait que la compétition se serait déroulée loin des régions montagneuses où se sont développés des foyers djihadistes…
Agent Orange
Qui dit Coupe d’Afrique dit aussi cagnotte financière. Devenue un produit marketing de choix, la CAN représente une manne importante pour les chaînes de télévision et les opérateurs de téléphonie. C’est aussi là que le bât a blessé pour l’Algérie. Grand sponsor de l’épreuve, le géant français Orange s’était pris un vent en novembre 2014, quand l’opérateur public de téléphonie mobile algérien Mobilis avait refusé de lui ouvrir son capital. Aucune raison donc de faire un cadeau à Alger quelques mois plus tard. Par contraste, Orange est particulièrement bien implanté au Gabon. Son réseau couvre par ailleurs le Sénégal et le Maroc, alliés privilégiés du régime d’Ali Bongo, si généreux avec ceux qui sont dans ses bonnes grâces, au premier rang desquels un certain Issa Hayatou.