Le retour de la dépouille de Lumumba en RDC, un geste historique, malgré le fantome du père de Félix Tshisekedi, l’actuel Préident congolais, qui a joué un rôle dans l’anti-Lumumbisme ». Un article de Ghizlane Koundau
La dépouille est une dent qui a été saisie par la justice en 2016 chez la fille de Gerard Soete, le commissaire qui a été chargé de découper et dissoudre dans l’acide, le corps de Lumumba, deux jours après son assassinat.
Cette cérémonie qui se veut solennelle, se déroulera en comité restreint, en présence du Premier ministre Alexander De Croo et de son homologue congolais, Jean-Michel Sama Lukonde. Ce dernier a dû remplacer le président Félix Tshisekedi, retenu par les conflits à l’Est de la République démocratique du Congo. Dès le lendemain, la dépouille retournera au pays pour des funérailles, occasionnant trois jours de deuil national.
Ce retour en RDC revêt une dimension symbolique, historique mais aussi politique. Car aujourd’hui, si tous les Congolais veulent tourner cette page douloureuse de l’Histoire, certains plus que d’autres, attendent encore un travail de mémoire.
Face au silence du Président Tshisekedi sur ce passé, d’aucuns voient dans ce retour un acte inachevé, voire une récupération politique à des fins électorales. Et pour une majorité de Congolais, la priorité aujourd’hui, est bien celle de la sécurité à l’Est du pays.
Retrouver une trace de sa dépouille et l’inhumer, permet de faire le deuil
En dehors de toute considération politique, cette restitution est d’abord un aboutissement, rappelle Dieudonné Wamu Oyatambwe, politologue, spécialiste de l’Afrique centrale. « Dans les traditions congolaises, un deuil ne se clôture pas tant qu’il n’y a pas eu un enterrement avec des funérailles. Donc le fait de retrouver une trace de sa dépouille et de l’inhumer, permet de faire le deuil« .
La particularité de ce deuil est qu’il est impossible d’ignorer le poids de l’Histoire, notamment ici, la part congolaise de cette Histoire.
Que sait-on des implications dans l’assassinat de Patrice Lumumba ? L’enquête parlementaire belge qui a débouché sur un rapport en 2001, a permis de connaître certains faits, des implications directes ou indirectes, les décisions qui ont conduit à l’exécution. Il reste encore beaucoup d’ombres sur les différentes responsabilités. Mais il est certain que la CIA, le gouvernement belge et des acteurs politiques congolais se sont entendus pour écarter Lumumba du pouvoir, jusqu’à le transférer au Katanga, le 17 janvier, là où tous savaient qu’il allait être tué.
Pour les Belges et les Américains, Patrice Lumumba était un « communiste », un radical anti-blanc qui gênait leurs intérêts économiques et géostratégiques. Pour Moïse Tshombe, Albert Kalonji et leurs entourages, les convictions unitaristes de leur Premier ministre, contrariaient leur projet de sécession au Katanga et au Sud-Kasaï, les deux provinces les plus riches du Congo.
Félix Tshisekedi est l’héritier politique de son défunt père, Etienne
« Félix Tshisekedi et le roi Philippe qui revient d’une visite officielle en RDC, sont tous deux des héritiers de l’Histoire dont ils veulent tourner la page« , analyse Jean Omasombo, politologue, chercheur à l’AfricaMuseum. « Le roi Philippe représente la monarchie Belge coloniale, celle du Roi Leopold puis du Roi Baudouin, tandis que Félix Tshisekedi est l’héritier politique de son défunt père, Etienne ».
« Avant de devenir l’opposant historique à la tête de l’UDPS, Etienne Tshisekedi a joué un rôle dans l’anti-Lumumbisme. Alors qu’il était jeune étudiant en droit en 1960, il a d’abord fait partie du premier gouvernement du Sud-Kasaï sécessionniste, d’où il est originaire », explique le politologue.
Le 8 août 1960, un mois après que Moïse Tshombe a proclamé la sécession du Katanga, Albert Kalonji, leader du MNC-K (Mouvement national congolais), le parti de Patrice Lumumba qui se scinde en deux (MNC-K pour Kalonji et MNC-L pour Lumumba), proclame à son tour l’autonomie du Sud-Kasaï, avec comme capitale Bakwanga.
En réaction, Patrice Lumumba envoie l’Armée nationale congolaise pour reconquérir le Katanga et le Sud-Kasaï où des exactions sont commises, ce qui amènera le président Kasa-Vubu à révoquer le Premier ministre.
Le Collège des commissaires, c’est le gouvernement dont le but est de faire liquider Lumumba
En retour, Lumumba obtient la confiance du Parlement. C’est alors que Mobutu, commandant en chef des forces armées, fait son premier coup d’Etat. Etienne Tshisekedi devient Commissaire adjoint à la justice dans le Collège des commissaires généraux à Léopoldville, le gouvernement de transition mis en place le 19 septembre 1960.
Pour Jean Omasombo, il n’y a pas de doute, « Le Collège des commissaires, c’est le gouvernement des technocrates dont le but est de faire liquider Lumumba. On y trouve sept à huit ministres Luba, dont Etienne Tshisekedi. Le pouvoir anti-Lumumba a voulu exploiter l’opposition entre le MNC d’Albert Kalonji, dont les membres sont issus du groupe ethnique Luba Lubilanji et le MNC de Lumumba, représenté par le groupe ethnique Luluabu« .
Selon plusieurs sources, Etienne Tshisekedi était présent à la réunion du 14 et 15 janvier 1961, lorsque le Collège des commissaires a décidé de transférer Patrice Lumumba à Bakwanga, là où personne ne doutait qu’il allait se faire tuer. Sous la pression de la Belgique, Lumumba sera finalement transféré le 17 janvier au Katanga sécessionniste de Moïse Tshombe, où il fut assassiné le soir même.
Félix Tshisekedi a un devoir de mémoire à l’égard de tous les Congolais
Félix Tshisekedi, comme le Roi Philippe, est un héritier du passé, mais il n’est pas coupable. Pour autant, selon Jean Omasombo, le Président Congolais devrait s’exprimer sur ce passé. « Félix Tshisekedi a un devoir de mémoire à l’égard de tous les Congolais. Il aura fait construire le mausolée à Kinshasa, ça c’est positif. Mais il ne se prononce pas sur l’assassinat de Lumumba« , déplore-t-il. « Comment tourner une page de l’Histoire qu’on ne connaît pas ? Comment faire le deuil sans expliquer ce qui s’est passé ?« . Et d’ajouter : « Il n’y a jamais eu d’enquête judiciaire, ni de procès au Congo. Cette histoire n’est même pas enseignée à l’école… ».
Le discours de Jean-Michel Sama Lukonde, lors de la cérémonie du 20 juin et aussi ceux qui seront prononcés après, en RDC par les autorités congolaises, seront écoutés avec beaucoup d’attention.
La visite de Lumumba-ville, à titre symbolique c’est beaucoup !
« Mettre en place une Commission d’enquête aujourd’hui… pour quoi faire ?« , s’interroge Dieudonné Wamu Oyatambwe. « Que cherche-t-on encore à savoir ? Il y a encore des zones d’ombre à éclaircir, mais malheureusement, la plupart des témoins ne sont plus là pour témoigner. En revanche, la recherche historique se poursuit. C’est ça qu’il faut valoriser« .
En décembre dernier, Félix Tshisekedi s’est rendu à Onalua, le village de naissance de Patrice Lumumba, rebaptisé Lumumba-ville en 2013. « A titre symbolique, c’est beaucoup ! », note Dieudonné Wamu Oyatambwe. « Et dans l’ethnie Tetela de Sankuru, dont Lumumba est originaire, cette visite a été accueillie avec beaucoup de considérations. Le fils d’Etienne Tshisekedi qui se rend à Onalua pour honorer la mémoire de Lumumba est à mettre de son actif« . De fait, ce geste a été salué en RDC.
« Le fait qu’il veuille donner à cette dépouille – même si ce n’est qu’une dent – cette portée historique, est aussi à mettre à son actif, au regard de l’évocation de la mémoire de Lumumba », ajoute Dieudonné Wamu Oyatambwe.
Et de conclure : « Je ne pense pas qu’on puisse demander à Félix Tshisekedi davantage. Sinon, continuer à gérer cette histoire de manière positive. D’une part, pour consolider l’unité congolaise, ce qu’incarne Lumumba. D’autre part, pour donner aux relations belgo-congolaises une base toujours plus positive« .
La question de la réparation en débat à la Chambre
Les mots prononcés par le roi Philippe, lors de sa visite en RDC du 7 au 13 juin, ont aussi un poids symbolique et historique. En réaffirmant ses plus « profonds regrets » pour les « blessures du passé« , causées par un « régime colonial […] marqué par le paternalisme, les discriminations et le racisme« , le roi a reconnu ainsi une vérité dans le discours que Patrice Lumumba a prononcé, contre attente, le jour de l’indépendance.
On verra quelle teneur aura le discours du Premier ministre, Alexander De Croo, le 20 juin. En février 2003, Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères, avait présenté ses « excuses » au peuple congolais, pour le rôle de son pays dans la mort de Patrice Lumumba. Il avait reconnu la responsabilité « tout court » de la Belgique, corrigeant ainsi le rapport de la Commission d’enquête parlementaire qui conclut à une « responsabilité morale » de la Belgique.
Depuis, une enquête judiciaire s’est ouverte, à la suite d’une plainte déposée en 2011 par la famille Lumumba. Une plainte contre X et contre dix personnalités belges, pour « crimes de guerre », « torture » et « traitement inhumain ». L’Etat belge est visé.
Et aujourd’hui, la question de la réparation liée au passé colonial est en débat à la Chambre, au sein de la Commission spéciale « chargée d’examiner le passé colonial de la Belgique ». La Commission Lumumba avait recommandé en 2001 de verser à la famille, une compensation financière. Un geste que la Belgique n’a jamais accompli.
Une édition spéciale du JT lui sera consacré ce lundi 20 juin présentée par François De Brigode.
Quand la CIA voulait éliminer Lumumba au Congo