Le pouvoir algérien a toujours utilisé la question linguistique pour faire passer des messages politiques ciblés. Une tradition reprise par l’actuel président Tebboune qui cherche à séduire aussi bien les dirigeants chinois que la communauté kabyle.
Le premier ministre algérien, Abdelaziz Djerrad, a inauguré, le mardi 19 Mai, une chaine thématique « Al Maârifa » (« la connaissance ») destinée à dispenser des cours de Mandarin, la langue majoritaire en Chine. Ainsi, les Algériens désireux de se tourner vers l’extrême Orient peuvent suivre de tels enseignements gratuitement via le bouquet des chaines publique diffusées par le satellite algérien Alcomsat-1.
Des messages ciblés
Dans un pays où les discours politiques sont très codés, la question des langues enseignées, très symbolique, a toujours une signification politique et diplomatique. Le président Tebboune et son Premier ministre, formés à l’école du FLN, usent et abusent des initiatives dans le domaine linguistique pour rallier des soutiens.
On a vu que dans le cadre de la réforme de la constitution à venir, le pouvoir algérien rendait irréversible la reconnaissance de la langue « Tamazight », qui est parlée notamment par les kabyles. Une façon de ne pas s’inscrire dans la logique des arabisants purs et durs et de séduire des communautés berbères qui sont, ces temps-ci, vent debout contre le pouvoir et représentent une grande partie des mobilisations du Hirak en Kabylie, à Alger et à Paris.
Le Chinois, « la langue de demain«
Après les kabyles, le président Tebbbounne joue la carte de la Chine. Pékin a dépêché, dès le début de la crise sanitaire, des médecins et du matériel médical qui ont profité, dans plus grande opacité aux autorités militaires. Les généraux algériens en effet ne peuvent plus en ces temps d’épidémie se soigner en Suisse, en Espagne ou en France. Dans ces conditions, l’aide chinoise a clairement renforcé l’amitié entre les deux pays.
Alger a privilégié cette relation avec un pouvoir chinois qui, contrairement à l’Europe, ne se soucie guère des violations des droits individuels et collectifs contre les militants du Hirak. Lors de l’inauguration, le premier ministre, Abdeaziz Djerrad, a couvert d’éloges la Chine, un pays ami depuis la guerre de libération, une référence aux voyages historiques de feu le Premier ministre chinois Chou En Lai et vanté le Mandarin, « la langue de demain ».
L’Algérie en crise économique grave souhaite également bénéficier d’un soutien financier du fond du développement chinois disponible pour l’Afrique.
Une étrange cacophonie
Cet alignement sur la Chine s’accompagne d’une hostilité crossante à l’enseignement du français dans les cercles du pouvoir. L’actuel Président, faute de trouver des relais au sein du Hirak, qui regroupe les forces vives du pays, tente de trouver des soutiens chez les Frères Musulmans dont les mouvements avaient été légalisés et instrumentalisés par le pouvoir algérien sous Bouteflika. C’est ainsi que le chef du parti islamiste MSP, Abderrezak Mokri, propose, le19 mai, de criminaliser l’usage du Français au sein des institutions de l’Etat.
Ce qui est cocasse quand on sait que sa propre fille est inscrite comme étudiante dans un établissement francophone dans l’Ontario au Canada. Et que lui même comme médecin a toujours pratiqué le français avec le patient. Ce leader islamiste, dont l’opportunisme est connu, reprend l’antienne anti française des caciques du FLN des années 80. Chacun sait que ces chantres de la politique d’arabisation inscrivaient leurs rejetons au lycée René Descartes, l’établissement francophone et élitiste d’Alger.
Dernière facétie, le ministre de l’enseignement supérieur du gouvernement actuel a exigé, lui, une rédaction des thèses de Doctorat en Anglais. Un tel fardeau supplémentaire n’a juste aucun sens pour les chercheurs tant que la langue de Shakespeare n’est pas bien ancrée dans l’espace universitaire.
Si l’arabisation accélérée du système scolaire du temps du FLN a fabriqué des « analphabètes » bilingues, la nouvelle République de Tebboune pourrait voir apparaitre des « analphabètes trilingues ».
« Un partenariat extrème »
Ces questions linguistiques, à consommation interne, masquent les réalités diplomatiques du moment. La coopération entre la France et l’Algérie, très ralentie sous le règne de Gaïd Salah, l’ex chef d’état major très russophile, a repris de plus belle. D’après le ministre français des Affaires Etrangères, jean Yves Le Drian, le président Tebboune aurait demandé un « partenariat extrême ». Ce qui s’est traduit par plusieurs rencontres entre ministres, la tentative de positions communes sur la Libye et le Mali et enfin les demandes discrètes des sécuritaires algériens d’une surveillance par les services français des opposants à Paris.
Ce sont toujours les vieilles recettes qui sont à l’oeuvre au sein d’un pouvoir algérien sans ressort ni projet.